12 mars 1992 | Ça y est ! La soupière à la connerie a pété ! Toute la sauce est sur les murs !
Les vitres ont explosé, le quartier est sinistré, les sirènes hurlent, c’est la fin. Chaque jour, de nouvelles merdes affluent dans la bouilloire médias en ébullition. Comme elles arrivent de partout, je ne peux pas toutes les retenir, il faut bien que je sélectionne.
Les reality shows, tenez, voilà du nouveau ! Ultime espoir, semble-t-il, du spectacle agonisant ! Grouchy du Waterloo des abrutis ! Le vécu refait, arrangé, recréé. Toutes les détresses viennent s’y rééponger. La vieille loi du Marx se confirme d’une façon plus que tordue : l’histoire se déroule une première fois en tragédie et une seconde fois en reality show. La télé veut qu’il soit à jamais entendu : 1° qu’il n’est plus question que vous disparaissiez sans lui rendre des comptes ; 2° qu’il ne sera également plus toléré que vous restiez tout seul avec votre chagrin. Deux droits de l’homme essentiels, prendre congé et rester seul, sont donc abolis.[access capability= »lire_inedits »]
Je ne voudrais pas non plus oublier de parler un peu de cette « affaire » (il faudrait mettre tous les mots entre guillemets si l’on voulait vraiment être précis, c’est-à-dire insister, insister sans relâche sur le fait qu’il ne s’agit jamais de la réalité – mais j’y renonce, et d’ailleurs, est-ce qu’on peut accrocher des guillemets dans la merde ?) inventée de toutes pièces de la Marseillaise.
Affaire dont je ne cesse de me mordre les doigts de ne pas avoir pu me la mettre sous la dent lorsque j’écrivais Cordicopolis, tant elle en pousse jusqu’à la caricature les symptômes essentiels : la charité consensuelle (il faut très vite « changer en message d’amour ces paroles de haine »), l’européanophilie (cessons de pourfendre par hymne national interposé les ancêtres de « nos partenaires européens »), l’infantomanie idolâtre enfin (« scandale » de la petite fille chantant ces strophes terribles à l’ouverture d’Albertville).
Merde ! C’est toute la réalité contemporaine qu’il faut faire retravailler au hachoir électrique du reality show ! J’ai quelques idées qui auraient un peu plus de gueule que celles de la télé. J’imagine des reconstitutions fantastiques : la terrible et véridique histoire d’un vide juridique par exemple (on y verrait tomber 90 % de la vie contemporaine)…
Évidemment, rien n’est à prendre au sérieux dans tout cela, rien n’est objet de discussion ni de débat. Je n’en parle que pour cracher. Il ne faut jamais pamphlétiser oupolémiquer, il faut cracher. La question du pamphlet est d’ailleurs très mal posée, de nos jours. Les temps ayant changé (ainsi que les armes de l’ennemi), on devrait revoir les définitions. Pour commencer, il faudrait évoquer l’écriture pamphlétaire contemporaine comme une sorte de rejet de greffe. Il ne s’agit plus de dénoncer, d’attaquer, ni même sans doute d’analyser (si venimeusement que ce soit). Dans cette mission de métamorphose de l’être humain pièce par pièce que
se propose le Spectacle, celui-ci procède à la façon dont un chirurgien greffe un organe (puis tente d’empêcher son rejet par injection de doses massives de médicaments corticoïdes destinés à déprimer les réactions immunitaires du receveur). Je dis « greffe » par facilité, pour me faire mieux comprendre, mais c’est de transplantation d’organe, je sais bien, qu’il faudrait parler. Chaque innovation spectaculaire (et, par définition, il n’y a plus d’autres innovations) se déroule à la façon d’un transfert d’organe de donneur dans un organisme de receveur (ensuite, vascularisation rétablie par suture des artères et des veines, etc.).
Transplants médiatiques. Écrire en rejet de greffe (on rejette la greffe européenne, par exemple).
En vérité, en vérité, c’est moi qui vous le dis, de notre société il serait presque suffisant de rejeter TOUT et l’on serait déjà écrivain ! Ou au bord de l’être ! Ce siècle qui naît ouvre un champ nouveau et fantastique à la littérature, c’est-à-dire à l’exposition du Négatif sous toutes ses coutures, le Négatif effacé par tous, effacé de partout, effacé avec acharnement.
Les choses sont si claires ! Il y a d’un côté le monde, c’est-à-dire la Culture, qui est le Bien dans ses habits neufs, et de l’autre côté moi, et c’est la guerre à mort.
Et ainsi de suite. À développer. Développer aussi :
1° Les femmes n’écrivent pas de pamphlets. Jamais. Pourquoi, etc.
2° La grande vague pamphlétaire constante, en revanche, de la Bible hébraïque.[/access]
*Photo : COLLECTION YLI/SIPA. 00552452_000007.
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