Accueil Monde Pour la finale, j’enfile mon survêt’ « Challenger »

Pour la finale, j’enfile mon survêt’ « Challenger »

Ce soir, pour conjurer le mauvais sort et soudoyer les dieux du stade, je ressortirai ma veste vintage.


Pour la finale, j’enfile mon survêt’ « Challenger »
Supporters des bleus. JEANNE ACCOSRINI/SIPA 01024594_000005

Pour supporter les Bleus, il faut absolument ressortir la tenue mythique de 1984 signée Adidas.


Je regrette le temps où les marques de sport faisaient appel à nos meilleurs poètes pour rédiger leurs encarts publicitaires. C’était autrement plus beau que du Ernaux, plus soyeux qu’un édito de Rousseau et moins austère qu’un point-presse d’un obscur ministère. On savait écrire et enflammer le cœur des adolescents par des mots simples. Les slogans d’alors réveillaient nos sens, on invoquait des images champêtres, ça sentait le sous-bois et la chaleur d’un foyer aimant, une France pas du tout rance qui s’admirait et ne se reposait pas sur ses lauriers. Á la lecture de ces quelques lignes, on apercevait une biche par la fenêtre de notre HLM, le Concorde dans les airs mettait trois heures et quinze minutes pour rallier JFK Airport et nous espérions courir à la vitesse de Mach 2 sur les pelouses de banlieue. L’acte d’achat n’était pas moralisateur mais libérateur d’énergies. En 1984, Adidas prônait la douceur dans la victoire, le bien-être au service de la Nation, le confort dans l’effort, la sape dans les stades, la « Marseillaise » a cappella. Je souhaite qu’au baccalauréat, nos lycéens étudient ce tercet d’inspiration nervalienne dont subsistent quelques traces d’un surréalisme qui n’aurait pas déplu à Éluard. Il y a dans ces vers parfaits d’équilibre et de sensibilité, l’emphase et l’onde nostalgique, l’élan et la sérénité, la confiance dans notre modèle républicain et aussi une forme de cohésion apaisée. J’en pleure tellement cette époque semble lointaine. Si Jacques Prévert n’était pas mort en 1977, il en aurait certainement fait une chanson populaire. Sardou ou Mort Shuman auraient été des interprètes merveilleux, capables de donner à ce refrain suffisamment de puissance et de gloire pour animer tout un peuple. Écoutez et laissez-vous porter par cette vague, cette flamme intérieure : « Tout en velours, beau comme le daim ; souple et ultra-doux, tonique et confortable ; taillé pour le bien-être de tous ». Après avoir lu ça, vous imploriez vos parents de vous offrir ce survêtement existant en sept coloris et parfois plastronné d’un coq brodé. Son prix élevé, plus de 600 francs, était à la hauteur de vos ambitions sportives ou urbaines car il se portait partout en boîte de nuit ou sur un terrain de foot, au collège ou au solfège.

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Le « Challenger » était altruiste et cocardier. Sans le savoir, il fit le trait d’union entre les cités et les campagnes, entre les podiums de mode et les pistes d’athlé. Avant d’être la tenue officielle de nos champions d’Europe, le « Challenger » incarnait un art de vivre nouveau. Le mantra des Eighties : « Aisance sans élégance n’est que ruine de l’âme » avait été créé spécialement pour lui. Il fut précurseur des grandes tendances vestimentaires et musicales, du décloisonnement du survêt qui sortait enfin des vestiaires, de « Public Enemy » remplaçant Tino Rossi au combat sans merci que se livrèrent les géants du secteur et de l’avènement du sport-business. Un an après le tournant de la rigueur, le « Challenger » ouvrait la voie au réenchantement des cours de récréation. Avec lui sur le dos, nous criions ensemble : « Vive la crise ! » Ceux qui n’ont pas été jeunes et cons dans les années 1980 ne peuvent comprendre à la fois, l’attrait et la fascination du « Challenger » sur les masses studieuses. Un jour, peut-être, des universitaires sérieux s’intéresseront à ce creuset anthropologique aussi profond que le « 501 » et la polaire pour la génération « yéyé » ou « milléniale ». Et son contact sur la peau, plus jamais nous ne connaîtrons un tel velouté, une caresse sur les bassesses de la mondialisation en marche. Dans la famille « Challenger », il y avait les légitimistes en bleu marine, les dandys en blanc période Eddie Barclay, les exhibitionnistes en bleu ciel, les effacés en gris souris, les ombrageux en rouge, quant aux possesseurs de l’ensemble « vert », nous n’avons jamais réussi à bien déchiffrer leur caractère. Si nos héros du Parc des Princes, les Platini, Giresse, Tigana, Fernandez et el señor Hidalgo avaient choisi de s’habiller en « Challenger » lors de la finale du 27 juin 1984, nous nous devions de les imiter. Cet esprit de concorde, je le retrouve dans notre équipe nationale actuellement au Qatar. On joue ensemble, on se regarde, on s’épaule et quand le danger est imminent, un sursaut d’orgueil, un coup de tête ou un coup franc viennent nous sauver. Alors, cet après-midi, pour conjurer le mauvais sort et soudoyer les dieux du stade, je ressortirai ma veste vintage.

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Journaliste et écrivain. À paraître : "Tendre est la province", Éditions Equateurs, 2024

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