Au États-Unis, une créatrice de sites pour mariage porte plainte contre une loi du Colorado à titre préventif afin de garantir sa liberté d’expression. Au nom de sa foi, elle ne veut pas proposer ses services aux couples homosexuels. Son cas est aujourd’hui devant la Cour suprême.
Lorie Smith est créatrice de sites internet pour mariage. Son objectif est de « créer des sites uniques pour célébrer la beauté du mariage entre un homme et une femme ». N’ayant commis, ni subi de préjudice selon le droit, elle souhaite néanmoins se prémunir d’une éventuelle plainte de la part de personnes à qui elle aurait refusé ses services. Or une loi de 2008 du Colorado où elle habite, « Unfair housing practices prohibited », interdit à tous commerçants le refus d’un service ou d’un produit à un client en raison de son appartenance religieuse, de son origine ou de son orientation sexuelle. Ce que souhaite Mme Smith, c’est de se garder le droit de refuser de travailler pour des couples homosexuels et aussi de l’afficher par une bannière sur son site. Cela sonne comme un rappel des pancartes à l’entrée des cafés à l’époque de la ségrégation noire : No dogs, no Blacks, no Gays… D’appel en appel, l’affaire est montée jusqu’à la Cour suprême. Cette dernière est la plus haute instance juridique des États-Unis et tranche en dernier recours une décision prise par l’un des cinquante États. Elle est composée de neuf juges, tous nommés par le président dès lors qu’il y a une place à pourvoir. Son rôle est essentiel dans l’établissement de la jurisprudence. Ce qui rend les juges très puissants politiquement, d’autant qu’ils sont nommés à vie sans obligation de se retirer.
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Quels sont les arguments des deux parties ? Kristen Waggoner, avocate de Lorie Smith et présidente du groupe juridique chrétien Alliance Defending Freedom, plaide devant les juges de la Cour suprême qu’il ne s’agit pas d’une vulgaire discrimination homophobe mais d’une défense de la liberté d’expression de sa cliente « artiste » (puisque « créatrice »), qui n’a pas à être contrainte de faire passer un message contre sa religion. Si Lorie Smith est considérée comme « artiste » par les juges, elle pourra invoquer le Premier amendement qui garantit la liberté d’expression. Ainsi, en raison de ce droit, elle pourrait refuser la production de sites internet aux couples gays.
Ce à quoi, Eric Olsen, avocat du Colorado, rétorque que la loi de 2008 n’est pas une loi qui porte sur le contenu des produits, mais qui oblige les commerçants à les proposer à tous clients. De cette manière, Mme Smith pourrait décorer ses sites de symboles religieux mais ne pourrait pas en interdire leur vente.
En ce qui concerne les magistrats de la Cour suprême, leurs avis semblent pencher majoritairement pour Lorie Smith. En effet, six magistrats ont une position très conservatrice (trois ont été nommés par Trump lors de son mandat : Neil Gorsuch, Brett Kavanaugh et Amy Coney Barrett). Les trois autres juges, Elena Kagan et Sonia Sotomayor nommées par Obama, et Ketanji Brown Jackson récemment nommée par le Président Biden, sont progressistes.
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La solution que préconise le juge Brett Kavanaugh serait que la Cour suprême ne réponde uniquement à la question : « les concepteurs de sites sont-ils comme des restaurateurs ou des éditeurs ? » Il rejoint ainsi la plaidoirie de Me Waggoner et met en évidence la différence de traitement entre le simple commerçant (comme un jardinier ou un plombier) qui ne peut invoquer le Premier amendement et l’artiste. Cela serait l’issue la plus consensuelle vis-à-vis de la Cour suprême en désaccord sur le sujet des droits des homosexuels.
Pour la juge conservatrice, Amy Coney Barrett, Lorie Smith pourrait refuser également les mariages de premier divorce ou issu d’adultère, ainsi « c’est le message qui compte. Pas l’orientation sexuelle ». Le juge Samuel Alito, lui, soutient que la décision de la Cour en 2015 qui a établi le droit au mariage pour des personnes du même sexe n’interdit pas l’expression d’une opposition à de telles unions par « les gens honorables qui s’opposent au mariage de même sexe ». Pour lui, cela crée une différence par rapport à ceux qui s’opposaient dans le passé au mariage entre Américains noirs et blancs. A cet argument, la juge Ketanji Brown Jackson (afro-américaine) objecte que « historiquement, l’opposition aux mariages interraciaux et à l’intégration a souvent été justifiée par des principes religieux ». La première autorisation de discrimination dans un arrêt de la Cour suprême ouvrirait la voie à d’autres ségrégations accordées aux commerçants, comme le met en garde, la juge Sonia Sotomayor : « pour la première fois [la Cour pourrait autoriser une entreprise] à refuser de servir un client sur des critères raciaux, de sexe ou de religion ». Et demande à juste titre, « où est la limite » ?
Suite à l’audience, les juges donneront leur arrêt en été 2023. L’attente de ce jugement nous rappelle le pouvoir extraordinaire de cette Cour suprême qui est revenue il y a quelques mois sur un de ses arrêts pour laisser aux états le choix d’interdire ou non l’IVG.