Sans nostalgie excessive, le nouveau film de James Gray fait le portrait d’une certaine jeunesse américaine juste avant l’élection à la présidence de Ronald Reagan, entre insouciance, conflits avec le monde adulte et préjugés raciaux et sociaux.
Avec Armageddon Time, James Gray nous conte avec beaucoup de tact, de tendresse et de force l’adolescence de Paul Graf, un élève insouciant, drôle, parfois turbulent – voire désagréable et méchant avec son père et sa mère – qui rêve de devenir un artiste. Paul est le plus jeune des deux garçons d’une famille juive démocrate où personne ne comprend ses désirs artistiques. Ses parents souhaitent qu’il mène de grandes études. Seul, son grand-père semble plus ouvert et quelque peu rebelle face à la bêtise du monde. Il comprend les désirs et rêveries de son petit-fils, bien qu’il ait parfois tendance à trop le choyer et à le couvrir de cadeaux, mais il sait aussi lui dire la vérité sur son comportement désagréable envers ses parents et lui faire comprendre les cruelles violences du réel, de la société ainsi que celles dramatiques de l’histoire (guerre, Shoah) – particulièrement celle de l’antisémitisme.
Paul rentre en sixième et aime dessiner et faire rire ses camarades. Il se lie d’amitié avec un jeune garçon noir, orphelin issu d’un milieu défavorisé. Vivant chez sa grand-mère mais abandonné à lui-même, Johnny Davis est un redoublant, comique, irrévérencieux et arrogant. Tous deux, folâtres, font les quatre cent coups. Ils vont vite se retrouver face à des déboires à l’école, à l’incompréhension des adultes et surtout au racisme de certains élèves envers le jeune Noir. Paul se confronte alors à ses parents et aux vicissitudes du réel.
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Armageddon Time est un superbe film simple et classique, un récit autobiographique – sans aucun doute romancé – filmé à hauteur d’enfant. C’est ce qui fait assurément la grande force et la beauté de cette histoire émouvante. Dans ce récit d’amitié où se côtoie béatitude et amertume, naïveté et insolence, douceur et méchanceté, James Gray ne tombe jamais dans le piège du teenage movie ni dans la nostalgie surannée. Avec un sens aigu de l’introspection, il met en scène avec une grande rigueur, la fougue et la langueur, la joie et la tristesse, l’enthousiasme et l’amertume d’une jeunesse insouciante qui jouit de l’immédiateté de la vie, de la beauté de la peinture, de la musique, de l’amitié, mais qui découvre les affres de la société : la pauvreté , le racisme, la gravité effarante de l’antisémitisme et de l’injustice, présente dans leur quotidien. Servi par les lumières chaudes du chef-opérateur, Darius Khondji qui adoucissent la dureté de la prise de conscience de Paul et par la richesse de la bande musicale du film – The Clash, Stan Getz & Joao Gilberto, The Raincoats, The Sugarhill Gang, Boz Scaggs, Franz Liszt… – Armageddon Time est sans conteste l’un des plus beaux et bouleversants films de l’année. Une œuvre nous parle des thématiques résurgentes du cinéaste, de la filiation, de la famille, du devoir moral de citoyenneté, de la faillite des valeurs des États-Unis.
Armageddon Time, un film de James Gray. Etats-Unis – 2022 – 1h55 – V.O.S.T.F.
Interprétation : Anne Hathaway, Michael Banks Repeta, Anthony Hopkins, Jaylin Webb, Jeremy Strong, Ryan Sell, Andrew Polk…. Toujours en salle.
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