Accueil Édition Abonné Décembre 2022 L’humanitarisme n’est pas un humanisme

L’humanitarisme n’est pas un humanisme

Ni les postures ni l'émotion ne permettent de faire face à l'afflux toujours plus important de candidats à l'Europe.


L’humanitarisme n’est pas un humanisme
Une famille de migrants originaire du Kurdistan irakien, dans le camp de Grande-Synthe, en banlieue de Dunkerque, 24 novembre 2022 / Kiran Ridley/Getty Images via AFP

L’affaire de l’Ocean Viking a démontré l’incurie (ou l’inexistence) de notre politique migratoire. Une majorité de Français, inquiets, ne veulent pas que leur pays soit ouvert à tous. Mais nos dirigeants semblent plus soucieux de câliner les médias que de rassurer les électeurs.


« Nous y arriverons ». On se rappelle la formule d’Angela Merkel, le 31 août 2015, lorsque celle-ci a décidé d’ouvrir ses bras – et les nôtres – aux migrants (terme qui a alors remplacé celui d’immigrants, comme si le voyage était leur condition ontologique) fuyant la guerre en Syrie. La photo du petit Aylan, échoué sur une plage de Turquie, avait eu raison de la raison politique. Peu importait alors qu’Aylan et sa famille ne fussent pas venus directement de Syrie, mais de Turquie où ils s’étaient installés. Il aurait fallu avoir un cœur bien dur pour résister à l’image d’un enfant mort.

La décision d’Angela Merkel a inauguré une nouvelle phase dans le (non-)débat sur l’immigration, que Stephen Smith définit comme une opposition frontale (et stérile) entre « sans-frontiérisme » et « rideau-de-ferisme »[1]. L’affaire de l’Ocean Viking, dont les 230 passagers ont pu débarquer à Toulon après vingt-et-un jours en mer, avant que presque tous se retrouvent dans la nature, illustre ce dialogue de sourds en même temps qu’il révèle une fois de plus l’inanité (ou l’inexistence) de notre politique migratoire, condamnée à errer au gré des émotions médiatiques et des postures politiques. En effet, la décision du gouvernement d’accueillir le navire a d’abord été dictée par la volonté de monter qu’il ne mangeait pas du pain rance du député RN Grégoire de Fournas qui, quelques jours plus tôt, avait déclenché un scandale de carnaval en souhaitant que ce bateau retourne en Afrique. Emboîtant le pas aux Nupistes, des élus de la majorité avaient sans surprise évoqué les heures-les-plus-sombres (qui reviennent tous les quatre matins), avant de piteusement sanctionner le trublion… pour tumulte. Ce qui était considéré par Emmanuel Macron comme « intenable » il y a quatre ans, lorsqu’il a refusé d’accueillir l’Aquarius, est devenu un impératif catégorique auquel nous ne pourrions nous soustraire sans montrer notre inhumanité.

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L’ennui, c’est que nous n’y arrivons pas. Dans la majorité des cas, cette immigration n’est une chance ni pour nous ni pour eux. Du reste, les États, malgré les grandes proclamations de leurs dirigeants, s’emploient à refiler le mistigri aux autres. Quant à l’eldorado rêvé par les arrivants, il aboutit trop souvent à ces consternants bidonvilles plantés aux périphéries de nos villes où nombre de malheureux voient échouer leurs rêves d’une vie meilleure pour eux et leurs proches restés aux pays. Certes, il y a des histoires qui finissent bien : peut-être qu’un des occupants de l’Ocean Viking sera médecin, professeur d’université ou ministre. En attendant, beaucoup d’autres, après s’être vu refuser le statut de réfugié, se retrouveront à faire la plonge pour un salaire de misère ou, pis encore, à faire la manche, violer des filles et dépouiller les malchanceux croisant leur chemin. Si délinquants et criminels constituent une minorité des migrants, inversement, une partie non négligeable des délits et des crimes, dans nos villes, sont commis par des déboutés d’un droit d’asile devenu la principale filière d’immigration – d’où la confusion sémantique entre réfugiés et demandeurs d’asile. Il ne se passe pas de semaine sans que soient évoqués sur les plateaux télé un viol, une agression ou un meurtre commis par un étranger sous le coup d’une OQTF, quand ce n’est pas par un « mineur isolé » frisant parfois la quarantaine. Certes, notre législation, imbibée des bons sentiments immigrationnistes des instances européennes, est particulièrement protectrice pour les individus et singulièrement indifférente au droit de la collectivité de choisir qui elle reçoit. Mais, comme le souligne Patrick Stefanini (voir notre dossier de décembre), si elle impose certaines contraintes, l’Europe ne nous interdit pas d’avoir une politique migratoire. Et on comprend en lisant les textes de Michel Aubouin et de Carl Hubert (voir notre dossier) que, si nos lois sont imparfaites, les appliquer serait déjà un grand progrès. Ce qui fait défaut, c’est le courage politique de gouvernants qui redoutent plus les foudres des médias que la colère des électeurs. De sorte que quiconque parvenant à poser le pied sur le territoire français a de bonnes chances de ne jamais repartir.

On répète à l’envi que rien n’empêchera des hommes et des femmes (enfin surtout des hommes) souffrant de la guerre, de la misère ou du réchauffement climatique de tenter l’aventure européenne, ce qui revient à faire de l’immigration un phénomène naturel aussi incontrôlable qu’une tornade. Aussi compréhensibles soient les aspirations individuelles, il est absurde de croire qu’on résoudra tous les problèmes de l’humanité en transvasant les populations africaines en Europe.

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Surtout, il est particulièrement intolérable qu’un phénomène aussi fondamental que l’immigration, qui engage l’avenir économique et culturel de nos sociétés, échappe à la délibération démocratique. La question migratoire est probablement l’une des plus consensuelles dans l’opinion. Enquête après enquête, deux tiers des Français, ce qui comprend aussi des électeurs de gauche, souhaitent que l’on réduise drastiquement ou que l’on stoppe le flux d’arrivants qui ont peu de chances de s’acculturer aux fameuses « valeurs » invoquées pour les accueillir. C’est qu’en plus des difficultés créées par cet afflux, une proportion alarmante des Français issus de l’immigration extra-européenne ne se sentent pas français, refusent d’adopter les mœurs de la société qui a accueilli leurs parents ou leurs grands-parents et le font savoir de mille manières, du vocabulaire – « les Gaulois » – à l’adhésion vestimentaire et culturelle à l’islam politique, en passant par la surreprésentation dans la délinquance : on trouve d’autant plus naturel de nuire à son prochain qu’on ne le reconnaît pas, justement, comme un « prochain »[2]. La faillite de l’intégration de nombreux Français explique que beaucoup de nos concitoyens se sentent déjà culturellement minoritaires chez eux. On comprend qu’ils ne soient guère enthousiasmés par l’arrivée de migrants venus de contrées physiquement et mentalement bien plus lointaines. Seulement, cette majorité silencieuse n’a jamais le droit à la compassion des belles âmes qui, au contraire, la couvrent d’invectives, estimant qu’il faut être un fieffé raciste pour s’opposer à la « créolisation ». Macron et Mélenchon qui la trouvent si désirable devraient se souvenir que même ces « déplorables » ont le droit de voter.


[1]. Stephen Smith : « Chaque migrant qui quitte l’Afrique renforce un sentiment d’échec collectif », propos recueillis par Eugénie Bastié, Le Figaro, 28 novembre 2022.

[2]. Sans parler des militants qui, à l’instar de la chanteuse Yseult, débitent volontiers leurs fadaises sur la France qui leur a fait tant de mal, ce qui n’a pas empêché Emmanuel Macron de la choisir comme marraine de la francophonie.

Décembre 2022 - Causeur #107

Article extrait du Magazine Causeur




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Fondatrice et directrice de la rédaction de Causeur. Journaliste, elle est chroniqueuse sur CNews, Sud Radio... Auparavant, Elisabeth Lévy a notamment collaboré à Marianne, au Figaro Magazine, à France Culture et aux émissions de télévision de Franz-Olivier Giesbert (France 2). Elle est l’auteur de plusieurs essais, dont le dernier "Les rien-pensants" (Cerf), est sorti en 2017.

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