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L’enfer vert

Ce qui frappe, dans ce roman, c’est sa vraisemblance.


L’enfer vert
Thomas Bronnec / Francesca Mantovani/Gallimard/opale.photo

D’un réalisme étonnant, Collapsus de Thomas Bronnec, raconte la fin du quinquennat d’un président écologiste qui, pour le bien des peuples et de la planète, a fait basculer la France dans un régime totalitaire.


Vous ne le savez pas encore mais Pierre Savidan a été élu neuvième président de la Ve République. Et c’est un écologiste. Enfin presque. Il a été choisi bon gré, mal gré par des Verts à bout de souffle dans un contexte de défiance générale à l’égard du monde politique et de catastrophes climatiques à répétition. À la surprise générale, il est arrivé en tête au premier tour et a été élu au second de justesse contre Violaine Roy, la candidate commune des Républicains et du RN. Et c’est ainsi que la France a glissé dans ce qu’il est convenu d’appeler une démocratie illibérale. Déjà, l’Allemagne et le Danemark s’inspirent de Pierre Savidan et de sa manière très erdoganienne de gérer à marche forcée la transition écologique.

À vrai dire, rien ne le prédisposait à la magistrature suprême. Savidan est un Breton issu des classes populaires, alcoolique repenti, autodidacte, qui a failli mourir plus jeune d’une pancréatite aiguë doublée d’une tuberculose provoquée par l’aiguille d’un tatoueur amateur. Il garde d’ailleurs sur son bras droit, comme un souvenir de ces années sombres, une vilaine tête de mort. Bref, comme l’écrit Thomas Bronnec, l’auteur de Collapsus : « Il n’était pas né pour le pouvoir, c’est le pouvoir qui était venu le chercher, au bout de vingt années ».

Savidan avait simplement décidé de commencer à surveiller son alimentation pour guérir. Et puis il s’est dit qu’il pouvait monnayer ses talents sur internet et il est devenu un gourou version xxie siècle, c’est-à-dire un influenceur avec des vidéos aux millions de vues. Adepte du crudivorisme – hormis la nourriture crue, point de salut –, il a commencé à organiser des stages payants pour un public en quête de mieux-être. Cela s’est vite transformé en une entreprise très prospère, Vitalise, qui s’est révélée, avec ses centaines de milliers de clients, une rampe de lancement idéale pour sa candidature. Il a adouci les contours de sa doctrine en prônant simplement le véganisme et en tentant de faire oublier que son antivaxisme et sa prétention à soigner le cancer lui avaient valu d’être dans le collimateur de la Miviludes, la mission interministérielle de lutte contre les sectes.

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Quand le roman commence, Savidan en est à sa quatrième année de présidence dans une ambiance préinsurrectionnelle. Parmi ses mesures phares, le SEI, « Scoring écologique individuel ». C’est une application pour smartphone. Chacun y note ses actions en faveur de la transition écologique. On est noté sur une échelle de 50 à 950, sachant qu’au-delà de 500, les impôts commencent à baisser et qu’en dessous, évidemment, ils augmentent. Si le Conseil constitutionnel s’est opposé au caractère obligatoire de l’appli, comme tout le monde a envie de payer moins d’impôts, elle a été téléchargée 38 millions de fois. L’autre mesure, c’est le programme Paire, le « Programme d’accueil individualisé et de réafilliation écologique ». Vous pouvez vous y rendre volontairement pour vous faire rééduquer et accessoirement gagner des points de bonus pour votre score écologique. Dans ces camps qui ne disent pas leur nom, on trouve du beau monde comme l’ancien secrétaire général du gouvernement et beaucoup de riches essorés fiscalement.

Une sorte de terreur verte règne dans le pays, menée par des militants fanatisés qui servent d’avant-garde éclairée à Savidan. Des groupes s’infiltrent sur les pistes d’aéroport et empêchent le décollage des avions privés des grands patrons ou des longs courriers touristiques. Ou alors, ils attaquent les maternités pour dénoncer les gens qui continuent à faire des enfants. C’est que Savidan, comme son âme damnée Fanny Roussel, une conseillère occulte, l’une de ses premières disciples, née avec un bras en moins, est convaincu que le malthusianisme est la seule solution pour éviter l’effondrement ou le « collapsus » qui marquerait la fin du monde d’ici une ou deux générations.

Lors de l’une de ces intrusions dans une maternité de l’Ouest parisien, la femme d’Olivier Fleurance, patron du plus grand groupe laitier de France, saisie de panique, se jette par une fenêtre avec son bébé. Et Fanny Roussel est filmée parmi les assaillants de la clinique. À partir de ce moment, une guerre à mort s’engage entre Savidan et Fleurance.

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La première chose qui frappe, dans ce roman, c’est sa vraisemblance. Il faut dire que Thomas Bronnec, journaliste et déjà auteur d’une trilogie sur le pouvoir, dont l’étonnant La Meute, sur la manipulation réciproque des réseaux sociaux et des politiques, est un remarquable connaisseur des institutions. On voit en détail comment les contre-pouvoirs cessent de fonctionner les uns après les autres dans un mélange de peur et d’opportunisme. La seconde est que Bronnec s’inspire, pour nous montrer à l’œuvre ce « populisme vert », du mariage potentiellement totalitaire entre une idéologie et les nouvelles technologies de l’information, ce qui était déjà l’intuition fondatrice d’Orwell dans 1984. Ce mariage est représenté par une jeune stagiaire à l’Élysée, issue de Sciences-Po avec tous les classiques de la collapsologie dans sa bibliothèque et, accessoirement, maîtresse du Président.

Ajoutez à cela une absence de manichéisme de l’auteur qui ne juge jamais : tous les personnages, même Fanny Roussel qui flirte avec la folie, ont de bonnes raisons de faire ce qu’ils font. Savidan est sincère dans son désir de sauver le monde par une décroissance féroce tandis que Fleurance n’est pas un salaud de riche, mais croit au contraire que seul le progrès permettra de sauter les obstacles.

Pour couronner le tout, on salue la lucidité de Thomas Bronnec et son questionnement inquiet : face aux crises de toutes sortes qui nous attendent, sera-t-il encore possible de gouverner démocratiquement ? Les réponses apportées à cette question lors de la récente pandémie de Covid n’invitent pas forcément à l’optimisme…

Collapsus, de Thomas Bronnec, éd. Gallimard, 480 pages, 20€.

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