Les livres de cuisine font florès avant la Noël. Depuis que les chefs se sont reconvertis en animateurs télé, ils soliloquent dans le poste, ils paradent aux avant-premières et ils publient à tour de bras. Ce n’est plus cauchemar en cuisine mais indigestion en librairie. Étrange paradoxe dans une France qui n’a jamais aussi mal mangé, on n’en finit plus de vanter, sur les ondes, une gastronomie moribonde. Tous ces beaux livres qui font appel aux meilleurs photographes, embaumeurs émérites, manquent cruellement d’appétit. Les mets prennent la pose avec autant de naturel qu’une stripteaseuse feint le désir.
Dans cette débauche esthétique, les vrais gourmands sont à la diète. La petite vermillon vient secouer les casseroles en rééditant en poche Simenon et Maigret passent à table, un ouvrage qui redonne corps à des plats robustes, ces classiques de la cuisine familiale qui font toujours autant saliver.
La maison d’édition a choisi comme maître d’hôtel Robert Courtine (1910-1998) qui a tenu pendant quarante ans la chronique gastronomique du Monde. Il sait mieux que quiconque nous mettre l’eau à la bouche.
Avec lui, pas de fusion, d’audace, de performance culinaire, ces excentricités qui épatent le gogo, mais un retour aux valeurs, au terroir et aux plats de l’enfance. Pour nous appâter, Courtine a choisi d’ouvrir le livre de recettes de Mme Maigret, la gironde épouse du commissaire, la grande prêtresse alsacienne des fourneaux du 130, boulevard Richard-Lenoir, l’adresse éternelle du couple. Au 36, quai des Orfèvres, il y a toujours eu une solide tradition du bon coup de fourchette. En inventant le personnage de Maigret, Georges Simenon a surtout laissé parler son ventre. Il a fait partager ses goûts au policier à la pipe.
Dans son avant-propos, Sébastien Lapaque rappelle que les bonnes recettes de Mme Maigret « ce sont les bonnes recettes de l’enfance liégeoise de Simenon : soupe à l’oignon, potée lorraine, moules-frites, macaronis gratinés, œufs au lait, crêpes et surtout tarte au riz ». Simenon, l’ami de Curnonsky, le prince des gastronomes, se serait damné pour un bœuf rôti à la bordelaise ou une poule au pot. Celui qui organisa le Bal anthropométrique à la Boule Blanche, rue Vavin, en février 1931 et invita le tout-Paris (Derain, Colette, Carco, Lazareff, Kiki de Montparnasse, Suzy Solidor, etc…) pour lancer sa série policière avait une attirance filiale pour les plats de sa Belgique natale.
Au fil des années, Simenon et son double Maigret ont sillonné la France des bistrots, des auberges, chantant ainsi un véritable hymne à nos plats régionaux. Sébastien Lapaque, toujours aussi inspiré, met en avant les quatre points cardinaux de cette cuisine populaire : « la bouillabaisse –devenue son plat préféré après un premier séjour à Porquerolles en 1933, la choucroute, le cassoulet et la garbure ». Les amateurs de faux exotisme, de mélanges improbables et de saveurs indéfinies peuvent laisser leur place. À la table de Maigret et/ou de Simenon, on mange avec plaisir en communiant avec le passé, on ne chipote pas, on coupe, on mâche, on s’évade. Il n’y a rien de pire qu’un homme et une femme qui mangent avec parcimonie, une calculette à calories dans la tête, c’est un manque évident de savoir-vivre. Courtine a recensé dans ce livre toutes les affinités culinaires du Commissaire (soupes et potages, entrées, œufs, sauces, crustacés et coquillages, poissons, gibier et volaille, abats, viandes, légumes et desserts), il en donne les recettes et même les accompagnements. Il conseille ainsi de boire une bière blonde à la pression avec une soupe à l’oignon gratinée, un Vouvray sec avec une omelette aux fines herbes, un Ménetou-Salon avec une friture de goujons ou un Riesling avec des escargots à l’alsacienne. Ce livre de recettes est succulent d’inventions et de poésie. Certains mots nous font même chavirer (pintadeau en croûte, perdreaux au chou, fricandeau à l’oseille, tarte au riz ou l’énigmatique épaule de mouton farcie bonne femme).
Bon appétit !
Simenon et Maigret passent à table, Robert Courtine (La petite vermillon).
*Photo : A. GELEBART/20 MINUTES/SIPA.
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