Le mois passé ne fut pas avare en tracasseries variées – mais toutes dues, il faut bien le dire, aux engagements à contre-temps de mon épouse actuelle. Attaques tous azimuts dans la presse et sur Internet (de Mediapart à Fdesouche, on ratisse large !) ; expulsion de Barjot de sa « Manif pour tous » remastérisée, en attendant celle de notre logement réclamée par Delanoë…
Heureusement qu’entre-temps, ma vie intellectuelle m’a procuré quelques satisfactions, et des plus rares. À trois reprises au moins, figurez-vous, je me suis senti glisser à gauche – sous les influences successives de Piketty, Badiou et même du pape François… Et le pire, c’est que ces enthousiasmes sont sincères ; je ne dis même pas ça pour attendrir le maire de Paris !
NOUS DEUX BADIOU
LUNDI 2 SEPTEMBRE. J’ai suffisamment moqué Alain Badiou pour son « hypothèse communiste » toujours recommencée et la solennité tautologique de ses « énoncés » maoïstes.
Sarcasme de classe, sans doute : comme l’avouaient spontanément les accusés lors des grands procès de la Révo Cul, moi aussi « mes origines bourgeoises me prédestinaient à trahir la classe ouvrière ».[access capability= »lire_inedits »]
Raison de plus pour dire mon admiration lorsque je l’entends, au micro de Philippe Vandel (« Tout et son contraire », France Info) expliquer joliment la différence qu’il fait entre réel et réalité : « Le réel, c’est cette partie de la réalité que l’on ressent dans l’amour, la poésie, la révolution. Le réel, c’est le possible dans l’impossible. »
Face à cela, qu’importe nos petites divergences idéologiques ! Le style, c’est l’homme, et Badiou, même à l’oral, c’est la langue du cardinal de Retz au service d’illuminations rimbaldiennes.
RIGIDES CONTRE FRIGIDE
VENDREDI 6 SEPTEMBRE. Ce jour-là, en pleine nuit, un communiqué apparemment urgent des nouveaux maîtres de La Manif pour tous annonce unilatéralement la rupture avec la bande à Barjot – quatre heures à peine après une prétendue « réunion de conciliation ».
Pas question, explique en (très) gros le Pilotburo renforcé, de frayer plus longtemps avec une bande de laxistes homophiles et décadents, irrespectueux par surcroît envers l’autorité autoproclamée ! Autant dire que l’affaire était jugée avant même d’avoir été plaidée.
À quoi bon pleurer sur le venin renversé ? L’entente était-elle encore possible avec ce quarteron de tradis en bois d’époque, aveuglés par leur « mauvaise foi » ? Plutôt jouer au croquet de salon.
Frigide et les siens étaient condamnés d’avance pour des hérésies, schismes et scandales qui ne datent pas d’hier : Union civile ! Adoption simple ! « Homo-éducation » ! (Là, il y faut au moins italiques et guillemets, faute de pincettes…) Et puis quoi encore ?
Chez ces gens-là, n’est-il pas entendu une fois pour toutes, dans les siècles des siècles, que les homosexuels – contrairement aux catholiques – ont à peine le droit d’être croyants, et sûrement pas pratiquants ? Qu’ils doivent tous faire moine, ou à défaut Ariño[1. Philippe Ariño, leader charismatique du mouvement homosexuel anti-homosexuel, prêche aux gays l’abstinence pour tous.] ?
On est loin du mouvement « apolitique et aconfessionnel » lancé il y a un an. Depuis l’origine, Frigide et les siens s’adressent à l’ensemble de la population. Ce qui les préoccupe, dans la poupée russe habilement baptisée « mariage pour tous », ce sont les petites matriochkas qu’elle renferme, dangereuses pour la filiation, les droits des enfants et la génération elle-même.
Quant aux apparatchiks du mouvement, au fil du temps, il est apparu qu’ils menaient un tout autre combat ; non pas ouvert à tous, mais réservé aux fondamentalistes catholiques, et éventuellement aux athées homophobes.
C’est bien simple : ils ne veulent pas entendre parler d’union, quelle qu’elle soit, entre personnes du même sexe. Ni mariage bien sûr, ni alliance civile, ni même Pacs : que dalle pour les « antiphysiques » !
Face à ce navrant repli communautaire, j’ai prodigué aux dissidents barjotoïdes un conseil d’ami, de mari et, accessoirement, de spectateur engagé : laissez LMPT enterrer LMPT ! Ne vous retournez pas sur les « sépulcres blanchis » à force de pharisaïsme ; vous n’êtes chargés que des vivants, c’est-à-dire des « pécheurs ».
Même le pape François se range volontiers parmi eux, qui n’a pas craint de déclarer : « Si une personne est gay, qui suis-je pour la juger ? » Sur une telle lancée, je prie pour qu’un de ces jours il prenne carrément à revers nos amis intégristes – rien que pour voir leurs têtes. Comment réagiraient-ils à une telle trahison ? Feraient-ils un nouveau schisme bien « décônant »[2. Du nom d’Ecône, l’évêché fermé de l’intérieur par Mgr Lefebvre en 1988.] ? Ou se contenteraient-ils de perdre la foi ?
ÇA BOUGE AU VATICAN
MERCREDI 11 SEPTEMBRE. Qu’est-ce que je vous disais l’autre jour ? Dès sa première interview, Mgr Parolin, nouveau secrétaire d’État nommé par le pape François, rappelle que le célibat des prêtres n’est pas un « dogme », mais un « précepte dont on peut discuter ». C’est Jean-Claude Barreau qui aurait été content d’apprendre ça plus tôt !
N’allons pas trop vite en besogne : il n’est pas encore question ici de mariage entre prêtres. N’empêche ! Le n°2 du Vatican rouvre ainsi le débat sur un canon solennellement réaffirmé par Paul VI dans une encyclique au titre assez explicite : Sacerdotalis Caelibatus.
Ce changement de ton témoigne d’un esprit d’ouverture que confirmera, quelques jours plus tard, le long entretien donné par le pape aux revues jésuites. « Je n’ai jamais été de droite ! », commence-t-il par balancer. Ça tombe bien, ce n’est pas ce qu’on lui demande : l’Évangile est « pour tous », comme feu la « Manif » avant la manip’.
Et le bon pape François d’annoncer, pour l’Église, un véritable renversement de perspective : « L’annonce de l’amour salvateur de Dieu est première par rapport aux obligations morales et religieuses. Aujourd’hui, il semble que prévaut l’ordre inverse. » Et pan dans les dents des Tartufe de la Curie !
« Progressisme ! », se félicite Le Monde. « Volonté de rupture », nuance pudiquement Le Figaro. En réalité, le pape ne fait là que rappeler à l’Église le message de son père fondateur Jésus : « La lettre tue, et seul l’esprit sauve. »
Pour définir la mission évangélique, François recourt à une belle et audacieuse image : « Je vois l’Église comme un hôpital de campagne après une bataille. Il est inutile de demander à un blessé grave s’il a du cholestérol et un taux de sucre trop haut ! Nous devons soigner les blessures. Ensuite nous pourrons parler de tout le reste. »
Une autre façon de réaffirmer la primauté de l’amour divin sur les « obligations » disciplinaires. La discrétion du pape sur les questions de mœurs ne s’explique pas autrement : il ne voit pas la nécessité d’ « y insister en permanence ».
Certes, la morale sexuelle de l’Église condamne toujours les divorcés (remariés), les homosexuels (pratiquants) et les femmes ayant avorté (sans raison valable…). La barque de Pierre ne se manœuvre pas comme un hors-bord, mais François ne ferme pas la porte aux évolutions : « Il est erroné de voir la doctrine de l’Église comme un monolithe qu’il faudrait défendre sans nuance. »
Cette erreur-là – toujours la lettre contre l’esprit – le pape la condamne dans un mini Syllabus anti-intégriste qui clôt le débat : « Celui qui ne cherche que des solutions disciplinaires, […] qui cherche obstinément à récupérer le passé perdu, celui-là a une vision statique et non évolutive de l’Église. » Des oreilles ont dû siffler…
MA FEMME EST FOLLE !
LUNDI 16 SEPTEMBRE. Après l’excommunication des dissidents de LMPT-maintenue, voici le coup de pied de l’âne : un implacable réquisitoire d’avocat (!) contre la Barjot. Ça fait le buzz depuis huit jours dans la catho-réacosphère, c’est signé du blogueur Koz Toujours, et je goûte enfin tout le sel de ce pseudo. Le bavard s’improvise expert psychiatre, et son diagnostic est sans appel. Fébrile, versatile, ingérable, incontrôlable, autoritaire, paranoïaque, hystérique : ma femme, c’est Charlot dictateur !
Fort bien, Maître. Compte tenu de ta qualité, tu connais sûrement mieux que moi le dossier. Reste une question : qui a fait le job ? Sans cette « folle »-là, jamais le mouvement contre le prétendu « mariage pour tous » n’aurait fait mieux qu’une démonstration boutinienne anti-Pacs, mariant pour l’occasion l’inutilité au ridicule. C’est d’ailleurs ce qu’espérait le Camp du Progrès pour enchaîner directement sur la PMA, la GPA et autres avancées civilisationnelles. Depuis les manifs monstres de la saison passée, bizarrement, les voilà moins pressés.
Sans l’ « hystérie » barjotienne, LMPT aurait-elle acquis en quelques mois cette dimension massive, populaire et bon enfant qui a pris de court nos gouvernants – persuadés que leur loi passerait « comme Papa dans Maman », selon l’expression imagée de Frigide ?
Il fallait l’ « inconscience » de cette Madame Sans-Gêne pour braver seule, dans des médias hostiles, le mauvais Bergé, le commissaire Fourest et la cauteleuse Najat. Six mois durant, tous les crieurs d’égalité se sont donc acharnés sur elle – avant que les réacs pur porc ne s’y mettent aussi !
Pourquoi croyez-vous donc que, tout au long de la bataille, « on » ait laissé l’insensée seule en première ligne, sinon pour prendre seule les coups ? C’est tout simple : on attendait qu’elle et ses amis, ces « personnalités fragiles », comme dit l’autre, aient tiré les marrons du feu pour les planqués de l’état-major.
Alors et alors seulement, quand l’essentiel fut fait, on s’est avisé de virer ces irresponsables, « en douceur et profondeur » comme disait Adamo.
Quoi de plus logique ? Les gens « normaux » ne sont pas faits pour les circonstances exceptionnelles ! N’empêche qu’en expulsant du combat la « folle » qui en fut l’âme, ces gens-là se sont comportés eux-mêmes en insensés. Ils me font penser au Woody Allen de Take the Money and Run, qui croit dévaliser une joaillerie en n’emportant qu’un morceau de la vitrine.
Jamais ils ne rallieront à leur morale hypocrite, inapplicable pour tous, des citoyens en majorité agnostiques − sans parler de ceux qui se sont éloignés de l’Église justement à cause de ça.
Mais qu’ont-ils fait des promesses de leur baptême, ces « professeurs de la loi » qui prétendent imposer leurs règles dans le vide ? Jésus, lui, proposait à chacun un chemin de vie en fonction de sa situation. Apparemment, tel n’est pas le but de ces étranges cathos-cathares, qui préfèrent rester entre « parfaits ». Mais quand on n’est pas là pour témoigner à l’image du Christ, est-on encore chrétien ?
Un dernier mot sur notre kozeur. Dans son double numéro de psy-proc, l’avocat hyper-chouan serait risible sans une ultime calomnie, aussi ignoble que contradictoire avec les autres : Frigide la fêlée aurait fait tout ça froidement pour le pognon ! Folle comme une Thénardier, donc… Mais vas-y, Maître, sors tes dossiers : dis-moi combien ça lui a rapporté, je te dirai ce que ça lui a coûté, et lui coûte encore.
Oui, tes potes ont viré Barjot dès qu’ils ont cru n’en avoir plus l’usage ! Et mille fois oui, ils ont viré barjots en transmuant l’or d’un élan populaire en plomb sectaire.
DE KOCH À MOSCOU !
SAMEDI 21 SEPTEMBRE. Deviendrais-je marxiste sur le tard ? Est-ce l’influence de Badiou, mon nouveau maître à danser ? Toujours est-il que j’ai été convaincu par l’argumentation de Thomas Piketty dans son dernier bouquin, Le Capital au XXIe siècle.
Certes je n’entends rien à l’économie et n’en parle jamais ; ça m’évite au moins de me tromper systématiquement, comme de nombreuses grandes marques d’expertologues.
Mais là, pour une fois, ça m’a paru limpide. En gros, on a assisté au cours des dernières décennies à une concentration croissante des patrimoines. Au terme de ce processus, nous voilà revenus au règne d’un capitalisme d’héritiers qui s’exerce au détriment des producteurs et des entrepreneurs. Il y aurait comme une espèce de contradiction fondamentale entre croissance économique et rendement du capital. (J’ai bon, Jérôme ?)
Non seulement j’ai trouvé Piketty clair, mais modéré ! Pour inverser la tendance, il ne prône pas la Révolution, mais plus modestement une taxation limitée du capital qui l’encourage à redevenir productif.
Hélas, renseignement pris, cette mesure de bon sens ne fait l’unanimité nulle part en Europe, et encore moins en France… À sa simple évocation, la droite et le patronat pâment ; quant à la gauche, elle a pour le concept une ardeur toute platonique, peinant à dépasser la drague électorale. Le pikettisme ? Au Bourget, tant qu’on veut ; au pouvoir, non Bercy !
Bref, les propositions de mon nouvel ami Thomas risquent fort de rester lettre morte. Et pourtant « le pire serait de ne rien faire », comme on disait pour la Syrie le mois dernier.
LA VOIX DE SON MAIRE
MERCREDI 30 OCTOBRE. Pour une fois que je suis en avance… Ce jour-là, donc, le tribunal rendra son jugement dans le litige qui nous oppose à notre bailleur, la Régie immobilière de la Ville de Paris.
Me croirez-vous si je vous dis qu’en nous assignant « aux fins d’expulsion immédiate » après vingt ans sans nuages, la RIVP n’a fait qu’obéir à la Voix de son Maire ?
Non pas que Frigide soit le principal souci de Bertrand, ni même de sa petite sœur Anne. Mais une partie de leur électorat réclamait à cor et à cri la tête de l’ « ex-égérie de LMPT », et plus précisément son éviction du « luxueux HLM » qu’elle occupait. Pas de raison de leur refuser ça, surtout en période électorale !
Restait à trouver le prétexte et, faute de mieux, ma société Jalons fit l’affaire. Nous avons déjà répondu sur causeur.fr aux allégations fantaisistes de la RIVP.
Le truc marrant, quand même, dans cette affaire de cornecul, c’est cette histoire de vraie-fausse domiciliation clandestine.
À l’audience, notre avocat a produit l’autorisation écrite expresse que nous avait donnée la Régie, et dont elle avait apparemment perdu toute trace… Une chance qu’on ait gardé l’original ! Mais ce que je trouve réjouissant, c’est l’idée que chez eux, ça soit encore plus bordélique que chez nous… J’espère au moins qu’ils n’auront pas à déménager.[/access]
*Photo : REVELLI-BEAUMONT/SIPA. 00656417_000007.
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