J’ai longtemps lu L’Humanité. L’Huma, c’était le journal des ouvriers. Pas celui qu’ils lisaient, simplement le leur. C’était intéressant, il y avait les communiqués du Bureau Politique. Pratique, comme ça on connaissait la ligne, qui, quoi qu’on en dise, changeait assez souvent. La meilleure page culturelle de la presse quotidienne française, la meilleure page sportive aussi avec les articles de Michéa (Abel) sur le Tour de France, Pif le chien… Aussi, c’est vers L’Huma que je me suis tourné, pour savoir qui était ce « Khatchik » dont les lycéens du Marais réclamaient la « libération » avant de partir en vacances. Bonne pioche, il y avait tout.
Et ça démarre fort.
« Avec Leonarda Dibrani, Khatchik Khachatryan est devenu le symbole de la cruauté de notre politique migratoire et l’étendard des fortes manifestations lycéennes de la semaine dernière. »
Chiffres de manifestants gonflés, grands mots (cruauté, étendard) on est bien dans L’Huma. Suit une interview du héros âgé de 19 ans, où l’on en apprend un peu plus. En Arménie, son pays natal qu’il a quitté il y a moins de deux ans, chose atroce, la justice souhaite aujourd’hui lui voir faire son service militaire. On pense qu’il l’a quitté, probablement parce qu’il y subissait une répression politique, puisqu’il a sollicité précisément l’asile du même nom dans notre pays.
«Les activités politiques de mon père avaient éveillé l’attention des autorités arméniennes : nous devions partir. » On n’en saura pas plus. Nous voilà bien avancés. On comprend que sur la base d’un argumentaire aussi charpenté, le statut lui fut refusé définitivement en janvier 2013. Depuis il était clandestin.
Il a été arrêté le jour de son anniversaire. Avec une candeur stupéfiante, relayée par L’Huma, il nous explique qu’à cette occasion, il s’était rendu au centre commercial du Châtelet (haut lieu de la culture française) pour y faire, gratuitement bien sûr, l’acquisition d’articles de sport. Sauf que, le voleur s’est fait piquer et que le contrôle d’identité a permis de constater sa « qualité » d’expulsable. Direction son pays et accomplissement de son service national. La cruauté ne saute pas aux yeux. Oui, mais il veut devenir français et sa mère va être opérée du dos. Cet argumentaire aussi est un peu sommaire.
On pourrait, pour l’étoffer, lui demander ce qu’il serait prêt à faire pour le pays auquel il veut appartenir. Un petit quelque chose peut-être ? La question ne lui sera pas posée. Espérons que Khatchik réussira sa vie, on ne lui veut aucun mal. Mais pour L’Huma d’aujourd’hui un voleur un peu déserteur est un « étendard ». On a les héros qu’on peut. Je préférais ceux d’avant.
Causeur ne vit que par ses lecteurs, c’est la seule garantie de son indépendance.
Pour nous soutenir, achetez Causeur en kiosque ou abonnez-vous !