Le Retour de Majorque de Jean-Yves Clément est le journal imaginaire du grand musicien polonais.
Chopin n’a pas écrit de symphonie, mais le journal que je viens d’achever a quelque chose de symphonique, justement. Ce journal retrace le voyage du compositeur polonais avec George Sand de Majorque à Nohant, en passant par Gênes, Marseille, ou encore Saint-Etienne, entre février et juin 1839. Mais ce qui est admirable, c’est qu’il s’agit d’un faux journal écrit par Jean-Yves Clément, fin mélomane et subtil écrivain. Il fallait en effet réunir ses deux qualités pour se glisser dans la peau du valétudinaire Chopin.
Pari audacieux
Le pari était audacieux, il est réussi. On se délecte à découvrir le Polonais en train de composer ses 24 Préludes aussi délicats qu’un roman d’André Gide. Jean-Yves Clément résume la situation créatrice de Chopin : « Ecrire ces vingt-quatre « chapitre de l’âme » que sont pour moi les Préludes, et ressentir pleinement quelle résonance chacun a dans mon existence, ce qu’il traduit, dans mon art comme dans ma vie, puisqu’il en manifeste aussi l’essence ».
Grand connaisseur de l’œuvre de Chopin, Clément indique le message implicite contenu dans certains morceaux. À propos de la Mazurka en mi mineur po. 41, n°1, il nous révèle qu’elle exprime l’exil, des bouts de « souvenirs imaginaires » ainsi que des bouts de terre modelés par le musicien. Clément devenu le temps de ce journal Chopin lui-même, écrit : « Je me suis confié dans cette Mazurka funèbre comme si je chantais pour la dernière fois… »
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Jardin aux citronniers
On voit Chopin flâner sur son piano monté à dos d’âne jusqu’à la chartreuse de Valldemosa cernée par les montagnes, agitée par les vents violents. Il compose difficilement car l’humidité continue de détruire ses poumons rongés par la tuberculose. En proie à des hallucinations visuelles, il maudit ce lieu sauvage qui me rend triste aujourd’hui quand je me souviens de m’être recueilli dans le jardin aux citronniers, devant le buste du pianiste aux cheveux longs. Il veut le fuir avant qu’il ne soit trop tard, d’autant plus que les problèmes d’argent l’assaillent et que George Sand devient de plus en plus irritable. Mais comme toujours chez les grands sentimentaux, « ce qui dévaste notre cœur est aussi ce qui parfois le remplit ».
Ce faux journal, pourtant si vrai, est également une réflexion sur la création. Clément ou Chopin, on ne sait plus, et c’est tant mieux, note : « C’est ce que j’ai tenté de reproduire dans mon 5e Prélude ; non pas une imitation des choses, je n’ai que dégoût pour l’imitation ou la quête de l’authenticité, stérile, mais une impression, la plus furtive possible, comme leur reflet en nous ; ainsi nous en devenons leur miroir ». Au siècle de Balzac et Zola, c’est jubilatoire.
Comme j’aimerais revoir les citronniers de Valldemosa en écoutant la Nocturne Op.9 N°1 !
Jean-Yves Clément, Le retour de Majorque – Journal de Frédéric Chopin, Le Passeur, 2022, 160 pages, 7,90€.
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