De journaliste à légionnaire, quand l’amour de la France pousse à combattre et à mourir en héros sous le drapeau tricolore.
À l’occasion de ce jour de l’Armistice, et en notre temps où les Français s’estiment trop peu, souvenons-nous de la vie d’un de ces héros venus de loin, les armes à la main, pour défendre la France durant la Grande Guerre. À l’époque, alors que plusieurs Canadiens français ultramontains s’étaient désolidarisés d’une République jugée apostate, et que beaucoup d’autres partirent combattre sous le drapeau de l’Empire britannique, une poignée d’irréductibles Québécois préférèrent consacrer leur vie à la mère patrie. À des milliers de kilomètres, et après des siècles d’isolement, c’était une minorité d’hommes qui se crurent encore et à ce point redevables. Parmi eux se trouvait Paul Caron, dont l’histoire méconnue mériterait d’être rappelée en ce 11 novembre.
Le jour même qu’on annonça la guerre, il quitta son travail de journaliste pour traverser l’océan et s’engager comme simple soldat à la Légion étrangère. Il n’avait pas encore 25 ans. Il est profondément marqué par tous ces soldats – « Français, Anglais, Russes, Belges, Italiens et sujets de vingt autres pays » –, unis au sein de ce célèbre régiment et sous un seul drapeau, le drapeau français. Comme il le décrit dans une lettre le 18 avril 1915, ils sont plusieurs, à l’image des Italiens qui l’émeuvent sans doute parce qu’ils lui ressemblent, qui « paient de leur sang la dette de reconnaissance que leur patrie doit à la France ». Mais dans le cas de Paul Caron, quelles furent les raisons personnelles qui pouvaient bien motiver ce jeune Gaulois, ce qu’il était à la fois dans l’ascendance et dans l’âme ?
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C’est que, depuis sa tendre jeunesse, Paul Caron vouait à la France un amour passionnel. Au collège, il ne se gêne pas d’annoncer à ses camarades de classe qu’il « désirerait être soldat de l’Armée française », tel un chevalier au service de sa dame. C’est une vocation qui lui mérita incompréhension et moqueries (une de ses biographes, Béatrice Richard, la traite elle aussi de « folle chimère »), mais, comme ces grands exaltés de la littérature française – nous pensons à Charles Péguy ou bien à Ernest Psichari –, Paul Caron n’en fit rien ou, plutôt, carburait à tout.
La France n’était pas à ses yeux un pays comme les autres. Déjà, sa défense face à l’Allemagne devait, selon lui, importer à tous les Canadiens français, car c’était bien la civilisation française qui était en danger. Si celle-ci devait disparaître sous la mitraille dans la Somme, elle devait peu après s’éteindre en Amérique. Mais, il y a d’autres raisons qui le poussèrent à affronter la bouche des canons, dût-il en mourir, pour une patrie qui n’était pas tout à fait la sienne dans les faits, mais qui l’était entièrement dans le cœur.
« France reviviscente, France inexpliquée, il y a toujours du miracle en toi », cite-t-il dans une de ses lettres envoyées depuis les tranchées, le 25 septembre 1915. C’est précisément cette propension française au merveilleux qui lui inspirait une dévotion mystique envers sa patrie d’adoption et qui lui transmettait aussi une infatigable énergie pour accomplir son devoir au front. S’il ne cachait pas la misère de la vie de soldat dans ses lettres et ses chroniques transmises au journal québécois Le Peuple de Montmagny, il lui était impossible de se complaire et de se plaindre. Chaque difficulté était l’occasion d’un redressement, et chaque malheur, l’occasion de s’obstiner dans une espérance intarissable en la France. Une joie, si justement aveugle, qui ne requerrait pas la vue puisqu’elle avait la foi.
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Dans sa correspondance, Paul Caron nous brosse un portrait de la France, mais n’y verra pas, comme Charles de Gaulle, « une princesse des contes de fées » ; plutôt, il vénère la simplicité plus charnelle « des vieilles églises villageoises » dont les clochers sont pris pour cibles, « le tableau réconfortant que présentent les prairies où le foin abonde » et ses paysans qu’il lui coûtait de quitter, « car, à les connaître, on apprend à trouver tout naturel que la France inspire de par le monde de si chaudes sympathies et provoque de si grands et pressants sentiments d’admiration et d’amour ». Dans une lettre datée du 24 juin 1915, il ne tarit pas d’éloges non plus sur les femmes françaises, « dévouées et laborieuses comme toujours, pour affirmer de toute la grandeur de leur esprit de sacrifice, la parfaite communauté d’aspiration, d’idéal qui fait de toute la France le bloc intact et sans fissure », puis qui « ne craignent pas d’assumer des travaux souvent disproportionnés à leurs forces, mais non à leur courage ».
Après avoir été versé dans un régiment français et au terme d’une formation d’officier au Centre d’instruction d’élèves aspirants de Saint-Cyr au mois de février 1917, Paul Caron fut chargé avec ses hommes de prendre la ville de Loivre au Chemin des Dames. Le 16 avril, après trois ans d’engagement, il y trouvera la mort en héros, face aux mitrailleuses, et recevra la Médaille militaire à titre posthume. Bien avant la guerre, il avait confié à un ami : « J’ai voué ma vie à la France, en voudra-t-elle ? C’est le secret de Dieu ». La France accepta volontiers et, voyant qu’il se fut fait tout petit, lui fit passer par la porte étroite ; de l’autre côté, les témoins nous disent qu’il a mené sa dernière charge en criant « En avant ! C’est pour la France. Vive la France ! »
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