Se remémorer ce chevalier moderne, cette âme légionnaire au parcours incroyable, reçu par le général de Gaulle au sein de l’ordre des Compagnons de la Libération.
« L’oubli vient seulement quand le canon se tait », disait le général Hallo. Alors que règne le silence des batteries et que le commun des Français en ignore le son sur son territoire depuis deux générations, que reste-t-il du souvenir ? Le 12 octobre soulignait le premier anniversaire de la mort du dernier Compagnon de la Libération, Hubert Germain. Son inhumation dans la crypte de la France combattante au Mont-Valérien, le jour de l’Armistice en 2021, doit encore nous interpeller, inquiet comme il l’était de transmettre le souvenir des morts à une société davantage préoccupée par des droits que par les devoirs, dont celui de la mémoire collective.
Dans l’optique d’un tel devoir, l’auteure Guillemette de Sairigné rend hommage au chevalier croisé dans un émouvant ouvrage, Le dernier des Compagnons : Hubert Germain, paru aux Éditions Tallandier. C’est l’occasion de se remémorer la vie de cet homme si humble, mais aussi terriblement farouche qui avait tant à dire pour ceux qui savaient l’écouter. Au-delà de sa mort, sa voix se fait entendre grâce aux entretiens transcrits par l’auteure, des entretiens vécus non seulement à titre d’historienne chevronnée, mais aussi à titre d’amie, car Hubert Germain avait servi durant la Seconde Guerre mondiale sous les ordres de son père, le capitaine Gabriel de Sairigné, dont la vie fut fauchée trop tôt au champ d’honneur en Indochine. Ainsi, pendant toute une année s’échelonnèrent des rencontres hebdomadaires lors desquelles les souvenirs, les leçons de vie et le parcours furent évoqués.
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Et quel parcours ! Celui d’Hubert Germain le menait tout droit vers la chevalerie moderne. La prédisposition à la noblesse de cœur n’est pas réservée à une caste ; elle est accessible à tous, pourvu qu’on honore la terre et les morts au sein de la famille ou au contact d’un entourage enraciné. Voilà Germain qui, à son baptême, reçut le prénom Joseph de son petit-cousin tué au front à la Grande Guerre ; voilà encore le maréchal-ferrant du village qui, mailloche en main, lui vante le paysage drômois qu’il aida à modeler en ferrant les mules qui trainèrent les charrues qui, à leur tour, tracèrent les sillons ; voilà, enfin, la grand-mère Léocadie, « couturière dans une vallée perdue du Dauphiné », qui exigeait de sa descendance, du fils jusqu’au petit-fils, d’aller « toujours plus loin, toujours plus haut » pour la France et – sans jamais l’oublier –, grâce à celle-ci. L’amour de la patrie est palpable et ses liens sont charnels.
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Il semblait donc naturel aux yeux d’Hubert Germain, lorsque les Allemands envahirent Paris, de remettre copie blanche aux examens et partir faire la guerre ; c’est la simplicité de l’homme qui ne va pas au plus facile, mais qui va au plus propre. Fasciné depuis toujours par la Légion étrangère, il intègre ses rangs à l’âge de 21 ans. Deux ans plus tard, il sera reçu par le général de Gaulle au sein de l’ordre des Compagnons de la Libération alors qu’il n’est qu’un simple lieutenant. On suit ensuite Hubert Germain dans sa carrière politique de l’après-guerre, d’abord en tant que maire, jusqu’aux fonctions de ministre.
Mais il revient sans cesse à la Légion étrangère et c’est cet exemple de fraternité indéfectible qui jalonne le fil rouge de la biographie. Au-delà des décorations, il dira que la Légion l’aura accompagné toute sa vie durant, elle qui lui aura inculqué le culte des morts. La devise de son régiment sera d’ailleurs restée avec lui jusqu’à la fin : More majorum, à la manière de nos anciens.
Il est vrai que la Légion étrangère entretient le souci constant de préserver la mémoire et elle ne manque pas de symboles et de rites pour en assurer la transmission ; Hubert Germain vient donc s’apaiser auprès des képis blancs. Lorsqu’on dit que les engagés volontaires de la Légion étrangère sont « dépositaires » de la gloire des Anciens, ce n’est ni une exagération, ni une métaphore : les nouvelles recrues se présentent à la crypte d’Aubagne à l’obtention de leur premier contrat, où ils s’inclinent devant la main en bois du célèbre capitaine Danjou – qui, avec ses hommes, « fit Camerone » –, puis devant les noms de tous les officiers de la Légion morts pour la France. Ils y retournent à la fin de leur carrière à l’occasion d’un ultime hommage. Ces idées du temps long, de l’ascendance et de la tradition, les légionnaires les retiennent jusqu’à la fin de leur vie. Aux côtés des jeunes, les anciens continuent d’y jouer un rôle actif : c’est parmi eux qu’est sélectionné chaque année l’ancien qui aura l’honneur de porter la relique du capitaine Danjou lors des commémorations de la bataille de Camerone le 30 avril à Aubagne. Hubert Germain en a été le prestigieux élu en 2012 et, à cette occasion, avoua à l’auteure qu’il se sentit enfin de retour chez lui. La Légion étrangère, avec notre héros pour parangon du souvenir, nous enjoint en ces jours qui nous mènent aux commémorations du 11 novembre : « On ne pleure pas ses morts, on les honore ».
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