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Lola, une émotion d’État


L’émotion suscitée par l’assassinat de la jeune Lola est légitime mais ne doit pas nous faire taire. Au contraire. C’est lui rendre justice que de pointer l’incurie qui a rendu ce drame possible. Questionner nos responsables politiques n’est pas de la « récupération », c’est un devoir.


« Il y aura un avant et un après Lola ». Pour une fois, je ne suis pas d’accord avec mon cher Gilles-William Goldnadel. Le coup de « rien ne sera plus comme avant », on nous l’a fait après chaque attentat islamiste. Et tout s’est désespérément révélé comme avant, ou presque : le même déni, les mêmes incantations sur le « vivre-ensemble », les mêmes foutaises rassurantes sur l’infime minorité islamiste qui seule poserait problème (assertion démentie avec constance par l’actualité et par toutes les études sur le sujet). Si les massacres de 2015, celui de la promenade des Anglais, la décapitation d’un professeur n’ont pas dessillé ceux qui refusent avec constance de voir ce qu’ils voient, ni conduit nos dirigeants à changer radicalement de logiciel face à l’islamisme, on peut craindre que le meurtre barbare d’une collégienne ne change rien à notre politique migratoire, en fait à l’absence totale de politique migratoire.

Pour le coup, je ne suis pas non plus d’accord avec l’ami Ivan Rioufol (dans ses « Carnets » du Causeur du mois de novembre) quand il affirme que nos dirigeants sont des brutes sans cœur. Ils ont du cœur, ils n’ont même que cela. Leur émotion n’était pas feinte. Mais l’émotion n’est pas une politique, comme l’a justement pointé Jonathan Siksou.[1] L’appel à compatir en silence visait surtout à interdire qu’on se posât des questions. Défense de réfléchir !

Bien sûr, on peine à imaginer la souffrance de cette famille et on n’ose même pas dire qu’on la partage – comment le pourrait-on ? Cependant, si cette famille souffre, ce n’est pas parce que des élus et des responsables politiques se demandent comment une telle atrocité a pu se produire, mais parce qu’elle s’est produite. Avec tout le respect qu’on a pour son incommensurable chagrin, on a le droit, et même le devoir de s’interroger. Pas seulement pour Lola mais pour tous les enfants (et d’ailleurs pour tous les adultes) qui pourraient croiser un meurtrier ou un violeur en situation irrégulière. On a aussi le droit d’être en colère. On ne protègera pas les Français à coups de fleurs, bougies et autres nounours.

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En d’autres circonstances, le chœur des vierges outragées aurait pu paraître presque drôle. Nombre de nos excellents confrères, des représentants de la Macronie et de la gauche semblent avoir été encore plus indignés par les réactions de la droite (toutes tendances confondues) au crime que par le crime lui-même. De plus, ils dénoncent bruyamment la « récupération », mais n’en font-ils pas une de taille, quand ils exploitent la mort d’une gamine pour déchaîner leur haine contre ce qu’ils appellent l’extrême droite ?

Ce fut en effet un festival d’offuscation, non pas parce qu’il a fallu attendre quarante-huit heures pour que l’exécutif se fende d’une réaction, non pas parce que Le Monde et d’autres journaux ont aussi, pendant deux à trois jours, observé un silence qui ne devait rien à la décence, mais parce que des députés et d’autres médias (les méchants que vous savez) osaient demander des comptes au gouvernement sur la présence de la meurtrière sur notre sol. Récupération ! Instrumentalisation ! Exploitation ! Un peu de dignité, s’il vous plaît ! – en clair : taisez-vous !

Quand les bons esprits déduisent de la mort d’un délinquant qui avait tenté d’échapper à son arrestation en courant par une chaleur caniculaire que la police est raciste, ce n’est pas de la récupération, mais de la politique très digne. La mort d’Adama Traoré est significative, celle de Lola n’est qu’un malheureux fait divers.

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On a parfaitement le droit de penser que les zemmouristes ont eu tort d’appeler à une manifestation et plus encore d’employer le terme « francocide » (sans parler de l’achat de noms de domaine, particulièrement déplaisant). Nul ne peut affirmer aujourd’hui que Lola a été tuée parce qu’elle était française. Devaient-ils s’interdire pour autant de tirer les leçons politiques d’une telle atrocité ? En 2016, après la diffusion de la terrible photo du corps sans vie d’Aylan, 3 ans, échoué sur une plage turque, de bons esprits, surfant sur l’émotion planétaire, ont dénoncé la « Forteresse Europe » et exigé l’accueil inconditionnel des migrants. Nul ne leur a reproché de se servir de la mort d’un gamin comme marchepied pour leurs revendications. Dignité dans un cas, indécence dans l’autre. On l’aura compris, ce qu’ils jugent indécent et indigne, ce sont les questions que pose le martyre de Lola, et plus encore les réponses. Peu leur importe qu’une écrasante majorité des Français veuille en finir avec l’immigration clandestine incontrôlée, eux veulent accueillir à tour de bras. Sans doute parce que, bien à l’abri d’invisibles frontières économiques et culturelles, ils peuvent s’enthousiasmer sur les richesses de la diversité.

Il paraît qu’il est raciste de pointer la nationalité et surtout la situation administrative de la meurtrière présumée (dont Le Monde nous narre la triste vie avec le pathos habituel de l’excusisme). Sauf que personne ne pense qu’elle est devenue meurtrière parce qu’elle est algérienne ou clandestine. En revanche, un fait ne souffre pas de discussion : si l’État français se faisait respecter, en faisant exécuter ses décisions, cette femme ne se serait pas trouvée sur le chemin de Lola. Et la collégienne serait en vie.

Du reste, après avoir vitupéré ceux qui osaient le critiquer, le gouvernement leur a curieusement donné raison en reconnaissant qu’il devait « faire mieux » sur les expulsions d’immigrés clandestins. « Nous travaillons d’arrache-pied pour faire en sorte que les expulsions soient suivies d’effets », a déclaré Olivier Véran en renouvelant imprudemment la promesse faite par Emmanuel Macron en 2019 de parvenir à 100 % d’exécutions. Personne ne croit à ces 100 %, mais atteindre les 55 % de l’Allemagne ou même les 33 % qui sont la moyenne de l’UE serait déjà un progrès. Or, à en croire un rapport sénatorial, en 2021, 5,6 % des OQTF prononcées en France ont été exécutées. Il paraît qu’en 2022, on atteindra 20 %. Tant mieux. En attendant, cela prouve que ce ne sont pas les contraintes européennes, ni même la jurisprudence de la CEDH qui imposent à la France son désarmement migratoire mais le droit-de-l’hommisme idéologique et l’absence de volonté politique. Lola n’est pas seulement le symbole de l’ensauvagement de notre pays. Elle est aussi celui de l’impuissance publique.


[1]. « Lola : prière de pleurer, rien de plus », causeur.fr, 20 octobre 2022.




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Fondatrice et directrice de la rédaction de Causeur. Journaliste, elle est chroniqueuse sur CNews, Sud Radio... Auparavant, Elisabeth Lévy a notamment collaboré à Marianne, au Figaro Magazine, à France Culture et aux émissions de télévision de Franz-Olivier Giesbert (France 2). Elle est l’auteur de plusieurs essais, dont le dernier "Les rien-pensants" (Cerf), est sorti en 2017.

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