Dans La deuxième épée, Peter Handke publie un grand roman sur le thème de la vengeance.
Peter Handke, je le rappelle, est autrichien, né dans le Land méridional de la Carinthie, carrefour de l’Autriche, de l’Italie et de la Slovénie. Cette région, de par sa position géographique privilégiée, fut aux premières loges pour assister aux soubresauts de la grande Histoire européenne. La mère de Peter Handke (dont il relate le suicide dans Le Malheur indifférent, 1975) appartenait à la minorité slovène, ce que l’écrivain n’oubliera jamais. C’est ce qui explique que Peter Handke, nourri de toutes ces influences, ait gardé une sensibilité culturelle si spécifique, même si par ailleurs il a su très bien admirer ce que l’Amérique du Nord pouvait lui apporter de meilleur.
Je lis Handke depuis la parution de son roman Le Chinois de la douleur, en 1986. J’avais été littéralement fasciné par ce livre (comme plus tard, en 2011, par son recueil de notations, Hier en chemin). J’avais apprécié aussi le gigantesque Mon année dans la baie de personne (1997), qui instaurait pour le coup une nouvelle évolution dans son œuvre. L’auteur, désormais installé à Chaville, en banlieue parisienne ouest, avait pris pour cadre de sa narration ce terroir dans lequel il se sentait particulièrement en paix. Or, le volume qu’il publie à cette rentrée, La Deuxième épée, « Une histoire de mai », se déroule encore dans ce même lieu. Ajoutons que Handke y reprend derechef la manière littéraire qu’il avait utilisée dans Après-midi d’un écrivain (1988), ouvrage de sa période salzbourgeoise.
Symbolisme de l’épée
La Deuxième épée est placée sous l’invocation d’un passage de l’Évangile selon Luc, dans lequel le Christ demande : « et que celui qui n’a point d’épée vende son vêtement et achète une épée… ». Il s’agit, dans ce roman, croit-on comprendre, d’une histoire de vengeance. Le personnage principal (qui pourrait être Handke lui-même, mais dépouillé de ses oripeaux de Prix Nobel) cherche à venger une insulte faite à sa mère. Le ressentiment du personnage est trouble, il ne contrôle pas cet accès de violence qu’il sent naître en lui : « Meurtrier, annonce-t-il, je me sentais et me savais né ‒ qui sait pourquoi, si cela venait de mes rêves, ou s’ils en étaient au contraire l’effet ».
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Il parle aussi, tant son désarroi est grand, de faits historiques, comme la Shoah, d’« une lettre anonyme qui menaçait de tuer mon enfant, si je ne réussissais pas à ramener à la vie les six millions de Juifs tués par mes ancêtres… » Tout l’enjeu de ce roman porte sur le symbolisme de l’épée, la double épée plutôt, puisque le personnage du vengeur admet, à la fin, en une conclusion inattendue : « Non pas l’épée d’acier, mais l’autre, la deuxième ». Laquelle ? L’ambiguïté est là, et Handke se garde d’en dire davantage.
Le salut par autrui
Peter Handke possède un grand art de la description, d’où tout procède, comme chez Adalbert Stifter, un de ses écrivains de prédilection. Il y a beaucoup de descriptions, dans La Deuxième épée, mais elles sont toujours intégrées dans l’avancée logique de l’action, en relation avec le personnage principal, de manière à la fois poétique et, dirais-je, « phénoménologique ». Handke nous dépeint un monde moderne, peuplé d’individus qu’il évoque toujours avec bienveillance. Car son héros est certes un solitaire, mais, par le fait même, avide et curieux des autres.
C’est à travers eux et eux seuls qu’il recherche une révélation dans sa vie. Dans L’Heure de la sensation vraie (1977), il y avait déjà chez Handke cette aspiration à un idéal de réconciliation. Le lecteur, dans La Deuxième épée, continue de suivre cette découverte progressive, complexe, inaboutie toujours, qui s’incarne peut-être dans un moment métaphysique particulier, dont la langue allemande aura eu si souvent la nostalgie.
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