Cet automne 2022 marque un anniversaire un peu particulier. Il y a cinquante ans, du jour au lendemain, le prolixe Georges Simenon cessait d’écrire. Autopsie d’un autre « mystère Simenon ».
Parfois, les écrivains cessent d’écrire, pour toujours. En général, ça se produit quand ils meurent. Dans l’ultime phrase de L’Innommable, Samuel Beckett résume ainsi cette malédiction : « Il faut continuer, je ne peux pas continuer, il faut continuer, je vais donc continuer, il faut dire des mots, tant qu’il y en a, il faut les dire, jusqu’à ce qu’ils me trouvent, jusqu’à ce qu’ils me disent, étrange peine, étrange faute… » Et, sous une forme plus insolente et désinvolte, dans un numéro spécial de Libération, en 1988, qui posait à tous les écrivains célèbres la question « Pourquoi écrivez-vous ? », alors que tant de ses confrères s’étalaient sur des pages, Beckett se faisait le roi de la concision en répondant sur une carte de visite : « Bon qu’à ça ».
La question n’a pas été posée à Georges Simenon qui était alors encore vivant (il meurt le 4 septembre 1989), pour une raison simple : il n’écrivait plus. On peut même dater très précisément la date de cette cessation d’activité : le 18 septembre 1972.
À ce moment-là, sa renommée est mondiale et sa légende est celle d’un auteur d’une fécondité presque effrayante. Voilà un homme de 68 ans qui a publié, entre 1971 et 1972, La Disparition d’Odile, Maigret et l’Homme tout seul, La Cage de verre, Maigret et l’Indicateur, Les Innocents et Maigret et Monsieur Charles qui sera donc son dernier roman. On retrouve dans cette liste fournie l’alternance classique entre les Maigret et « les romans durs ». Comme Beckett, il n’était « bon qu’à ça », et aujourd’hui encore, on peine à connaître le nombre exact de livres qu’il a écrits, au moins depuis l’âge de…19 ans.
Il y a donc là, pour reprendre le titre d’un essai du regretté Denis Tillinac, un Mystère Simenon. Le dernier, mais pas le moindre.
