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Rohani sera-t-il le Gorbatchev du monde islamique ?


Rohani sera-t-il le Gorbatchev du monde islamique ?

hassan rohani iran

Les systèmes totalitaires ne disparaissent jamais par enchantement : soit ils sont détruits par la force comme ce fut le cas pour le nazisme et le fascisme, soit ils implosent comme ce fut le cas pour l’empire soviétique et le glacis communiste en Europe. À cette différence près que la machine communiste avait réussi à temporiser. Auréolé d’une parole émancipatrice, le système soviétique sut longtemps faire illusion. Quelques esprits plus clairvoyants situés en son sein comprirent qu’il fallait lâcher la bride. Le rapport Khrouchtchev permit de mettre Staline à distance sans pour autant rompre avec l’intime de la mécanique communiste. Il faudra attendre Gorbatchev et sa perestroïka et le choix interne de la glasnost pour que l’armature structurelle de l’URSS se fissure et se décompose. Quelques tentatives violentes de retour à l’ordre ancien eurent bien lieu mais il était trop tard tant le livre noir du communisme avait tourné ses pages jusqu’à l’épuisement. Il n’y a guère plus qu’en France que le mot « communiste » conserve un imaginaire rassembleur. La chute du communisme avait laissé espérer la fin des systèmes totalitaires. Certains se mirent même à rêver à une fin de l’histoire mais c’était sans compter avec les ruses dont celle-ci est capable.

André Malraux avait prédit pour le XXIe siècle qu’il serait spirituel mais il n’avait surement pas imaginé qu’il prendrait la forme terrifiante du totalitarisme religieux tel que l’islamisme le propose. Depuis 1979 et la révolution islamique en Iran, l’islam politique a trouvé sa place dans le paysage totalitaire. Voilà la planète soumise aux images répétitives de ces crimes de masse. La mondialisation se décline aussi sous cette forme et les media actuels peuvent montrer en temps réel la simultanéité des horreurs commises au nom d’Allah. Faut-il en dresser la liste ? De l’Atlantique à l’Indonésie en passant par Londres, Madrid, New York,  Israël, le Mali, Nairobi ou Peshawar, c’est la même trace de folie furieuse qui se déploie.  Depuis le 11 septembre 2001, cette accumulation ne milite pas pour un regard bienveillant porté sur les Lumières islamiques. Si « choc des civilisations » il y a,  c’est à certains disciples de Mahomet qu’il faut en imputer la responsabilité. On avait brièvement espéré que les révolutions arabes allaient dans la foulée réformer l’islam, y développer  un sens critique. C’est le contraire qui s’est produit : en vampirisant les printemps arabes, l’islamisme a recouvert d’un voile d’obscurantisme ces brefs espoirs. Ce troisième totalitarisme va aussi monter ses limites : en Égypte c’est bien l’incurie du pouvoir de la Confrérie, son intolérance qui a provoqué un rejet massif dont le coup de force militaire fut le bras armé. Il n’y eut en Europe que l’inénarrable Catherine Ashton pour ne pas le comprendre. En Tunisie, l’opposition aux Frères lutte pied à pied contre l’imposition de la charia à tous les niveaux de la vie. Il n’y a qu’en Europe et en France en particulier que de bons esprits indignés s’acharnent à ne pas voir ce piège intellectuel qui confond islamophobie et racisme. Faut-il rappeler que le concept d’islamophobie fut forgé par l’OCI (Organisation de la Conférence islamique) en 2001 à la fameuse conférence de l’ONU sur le racisme à Durban qui vit le triomphe de la haine antijuive au nom de l’antiracisme ? La tentative de l’OCI était de faire de la « diffamation des religions » un crime identique au racisme. Au cours des conférences qui suivirent la même stratégie conceptuelle et langagière fut poursuivie. Elle semble avoir porté ses fruits.

Le rejet des musulmans est bien évidemment condamnable mais en quoi la critique voire le rejet de l’islam sous sa forme idéologique la plus régressive serait symétriquement condamnable ? Depuis quand n’aurait-on pas le droit de porter un regard critique sur une idéologie qui enferme les femmes, promeut la haine de l’autre quand il n’est pas musulman ? Pour un pays, la France, qui a su bouffer du curé au nom de la libre pensée, voilà que de nouveaux dévots dénoncent d’une manière tout aussi sectaire ceux qui osent dire leur allergie devant des attitudes multiples visant à gommer ce qui faisait il y a peu une certaine harmonie consensuelle. Faut-il être aveugle ou d’une mauvaise foi radicale pour ne pas voir ce qui se passe trop souvent au sein des écoles, des universités, des hôpitaux, des services sociaux  quand l’argument de la différence religieuse sert de prétexte à une mise en cause des règles communes ? Doit-on fermer pudiquement les yeux devant l’inspiration religieuse de certaines émeutes en banlieue ? Pourquoi feint on de ne pas voir cette contre-société qui s’installe ?

Au sein de l’islam, chez ceux qui subissent le joug de l’islamisme sinon sa terreur, des voix s’élèvent pour dire aux européens : ne cédez pas, ouvrez les yeux, n’ayez pas honte de dire non ! Ils sont nombreux ceux qui ont payé de leur vie la résistance au goulag islamiste. Jusqu’à ce jour ces voix sont peu entendues et il est à craindre que si les polarités de ce débat se réduisent en France à un face à face entre le Front national et la bonne conscience, il est probable que l’exaspération des masses se porte vers cet avatar moderne du pétainisme. Dans le même temps croire que les incantations vertueuses du fascisme-qui-ne-doit-pas-passer constituent la meilleur prophylaxie contre ce double danger est une erreur absolue d’analyse: la diffusion de l’islamisme et le succès politique de l’extrême droite forment un tandem complémentaire. Les extrémismes ne progressent que parce que la République leur a laissé le champ libre. En n’osant pas se confronter à la réalité de la conflictualité culturelle, en s’illusionnant sur les beautés du multiculturalisme? la République a laissé au FN le crédit d’une posture laïque ! Ce qui est un comble. N’est-ce pas le nouveau président de l’Observatoire de la laïcité, Jean Louis Bianco,  qui a estimé récemment « qu’il n’y avait pas de problème de laïcité en France » ! Le déni idéologique du réel semble être une maladie chronique de la gauche. Angela Merkel a eu le mérite de dresser le constat d’échec du multiculturalisme en Allemagne. Sans doute est-ce à cette capacité de dire le vrai qu’elle doit aussi sa popularité. Seul aujourd’hui en France, un Manuel Valls ose dresser pour la République et pour la gauche un constat de vérité autant qu’une ligne de conduite.

Sur un tout autre terrain et dans une autre longitude, quelque chose de nouveau serait-il en train de bouger au pays des mollahs ? Y aurait-il vraiment en Iran un nouveau président suffisamment « modéré » pour oser souhaiter une bonne année aux juifs du monde ? Le même aurait dit à l’ONU que les crimes commis contre les juifs constituaient de mauvaises actions et a laissé entendre son désaccord avec son prédécesseur. Bien sûr, il a pris soin de simultanément préciser que l’apartheid était doux par rapport au mauvais sort fait par Israël aux Palestiniens. La modération de cet imam modéré a ses limites. On ne pourrait qu’applaudir à ces nouvelles bonnes dispositions venant du nouveau président de la République islamique d’Iran à condition de ne pas être dupe de ces premières bonnes paroles. Car bien que courte, la mémoire peut être utile. C’est bien l’Iran qui a frappé des touristes israéliens en Bulgarie il y a un an ? C’est bien un attentat iranien qui avait détruit le centre communautaire juif de Buenos Aires en 1994 ? C’est bien l’Iran qui porte le Hezbollah et arme la Syrie. Il y a moins d’un mois Obama et Hollande déclaraient être prêts à attaquer la Syrie pour y détruire les armes chimiques de Bachar Al-Assad coupable d’un crime de guerre. Au bout du compte ce fut Poutine qui a habilement sauvé la mise de ces velléitaires en reprenant la main à son profit tout en préservant son allié Assad. Ce geste a bien été compris par le président iranien. Il a compris, à la différence de son prédécesseur, que la diplomatie des apparences bienveillantes payait davantage que les postures bellicistes. Il a aussi compris que les postures punitives occidentales n’iraient pas au-delà de la posture. À l’abri d’un vote du Congrès, Obama a lâché Hollande, sauvé in extrémis par la proposition du « cher Vladimir ».

Un peu plus loin vers l’Est, le guide suprême iranien Ali Khamenei ne manque pas une occasion de rappeler que « l’entité sioniste » est une « pustule cancéreuse » située dans un espace géographique dédié à l’islam. Pendant que le nouveau président iranien chausse ses lunettes les plus rondes, les gardiens de la révolution entrainent le Hezbollah libanais qui combat aux côtés de l’armée de Bachar Al-Assad. Avec une constance stratégique qui semble faire défaut à l’Occident, la Russie de Vladimir Poutine reste le soutien stratégique fidèle de cette chaine d’alliances Hezbollah-Iran-Syrie. Poutine défend ce qu’il estime relever des intérêts de la Russie. Il le fait avec ses méthodes. Par quel miracle le loup Poutine serait-il devenu un gentil agneau méritant du « cher Vladimir »? Par quel autre miracle le turban blanc de Rohani aurait-il rendu l’Iran plus fréquentable ? Pendant que de douces paroles sont dites à la tribune de l’ONU, les centrifugeuses auraient-elles cessé de tourner à plein régime ? Pendant qu’Assad donne les adresses de ses dépôts d’armes chimiques, les massacres auraient-ils cessé en Syrie ? Aurait-t-il encore besoin de gaz sarin pour gagner contre ses opposants islamistes ? Rohani est certes plus malin que Ahmadinejad, il présente mieux, soigne sa barbe et ses cheveux et dans cette partie d’échecs calcule prudemment ses coups. Prendre cette modération au mot peut être une bonne attitude tactique, mais la modération dans les mots restera comme autant de paroles vaines s’il ne s’accompagne pas d’un agenda politique pour la rendre concrète.

Rohani est-il prêt à déclarer caduc son objectif de rayer Israël de la carte ? Est–il prêt à reconnaître Israël ? Est-il prêt à reconnaître le droit d’Israël à exister ? Pour symbolique qu’il soit, ce geste, qui serait bien plus qu’une parole, changerait fondamentalement la donne dans ce conflit entre Israël et le monde arabo6musulman. La haine d’Israël constitue en effet le noyau dur de l’islamisme. Elle est le ciment identitaire qui relie les jihadistes du PO à ceux des banlieues. Si par un heureux miracle au sein du monde islamique, un réformateur éclairé venait à déclarer que le malheur arabe n’a pas Israël pour responsable, il opèrerait la plus formidable révolution psychique que ce monde ait connu depuis l’effondrement de l’Empire ottoman. L’onde de choc de cette révolution dirait aussi aux banlieues que la raison de leur ressentiment ne se nomme pas Israël.

L’exigence de cette reconnaissance est symboliquement et politiquement bien plus importante que l’abandon des projets atomiques car cette révolution mentale les rendrait simultanément absurdes et inutiles. En conséquence, si l’Occident devait se satisfaire des courtoises conversations téléphoniques passées entre Obama et Rohani sans qu’elles ne transforment la réalité, cela signifiera  qu’à la différence de Poutine, l’Occident ne développe aucune perspective stratégique car il ne sait plus ni qui il est ni ce qu’il veut être, hormis un vaste marché (de dupes).  De son côté? Israël a compris que le tigre Occident est aujourd’hui fait de papier mâché et pourrait en tirer les leçons, s’il estimait que sa survie est menacée.

Tout est lié. L’écheveau proche oriental est devenu d’une complexité redoutable, parce que simultanément mondialisé et interactif. Une caricature de Mahomet dans la presse danoise et les ambassades de l’Occident brûlent en Orient. Une parole mal comprise du pape et les ambassades de l’Occident rebrûlent. Pour que le choc tant redouté des civilisations soit épargné à la planète il n’y a qu’à espérer que Rohani soit le Gorbatchev de l’islam. Obama semble faire ce pari. Espérons qu’il ne se berce pas d’illusions sauf à considérer qu’Obama puisse être le Daladier de l’Occident. L’Histoire jugera.

*Photo : 00666193_000002.UNIMEDIA/SIPA.



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Jacques Tarnero est essayiste et auteur des documentaires "Autopsie d'un mensonge : le négationnisme" (2001) et "Décryptage" (2003).

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