L’origine de la haine écologiste du nucléaire se trouve aux États-Unis : une ONG comme les Amis de la Terre, craignant les effets d’une énergie abondante et peu coûteuse, s’est montrée prête à tout pour discréditer cette industrie d’avant-garde. Son idéologie funeste, dont les racines plongent dans l’eugénisme et une préoccupation avec le contrôle démographique, s’est diffusée à travers la planète.
L’énergie nucléaire est beaucoup plus sûre, fiable et propre en termes d’émissions de carbone que son image générale le laisse penser. Elle est responsable de beaucoup moins de morts par la pollution ou les accidents que le charbon ou le gaz naturel. Elle représente une source de production plus constante que les énergies solaires et éoliennes et reste la base pour assurer la transition vers les énergies renouvelables.
Comment expliquer alors qu’elle ait été marginalisée, voire conspuée, à la fois dans le discours écologiste et à travers les politiques énergétiques gouvernementales de nombreux pays ? Il a fallu une lutte acharnée pour qu’elle soit enfin classée comme énergie verte par le Parlement européen en juillet. Sa part dans la production d’électricité de la planète a diminué : de près de 18 % en 1996, elle est tombée à 10 % en 2021. Certes, il y a eu les drames – d’importance variable – de Three Mile Island en 1979, de Tchernobyl en 1986 et de Fukushima en 2011, mais ces accidents ont été des prétextes pour condamner l’industrie nucléaire plus que les causes de cette condamnation. La réponse à notre question se trouve aux États-Unis. C’est là que la haine du nucléaire en est venue à dominer presque toute la pensée écologique. C’est là qu’on a pu voir de quelle malhonnêteté les écologistes sont capables pour arriver à leurs fins.
La machination diabolique
L’industrie nucléaire américaine a commencé dans l’espoir au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, mais ne connaît aujourd’hui que la stagnation. Une seule centrale est en construction, dans l’État de Géorgie, et son achèvement est constamment reporté. En Californie, l’État le plus peuplé, il ne reste que la centrale de Diablo Canyon, construite au bord du Pacifique et entrée en service en 1985. Sa production représente 8,6 % de l’électricité californienne. Pourtant, elle vieillit et les permis d’exploitation pour ses deux réacteurs viendront à expiration en 2024 et 2025.
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En 2014, l’ONG antinucléaire les Amis de la Terre commande une étude à V. John White, le directeur d’une autre ONG, le Center for Energy Efficiency and Renewable Technologies (CEERT). Lobbyiste pour les énergies renouvelables, il est impliqué dans la fermeture d’une autre centrale nucléaire en Californie, Rancho Seco. Il s’agit d’évaluer les coûts de la fermeture de Diablo Canyon, comparés aux coûts que représenterait la prolongation de sa vie au-delà de 2025. Comme par surprise, l’analyse du CEERT montre que la centrale peut être fermée et sa production d’électricité compensée par des énergies renouvelables et des mesures d’économie énergétique sans augmenter les émissions de carbone et pour un coût moins élevé. Cependant, les calculs de White sont fondés sur une série de surestimations qui falsifient ses conclusions.[1] Il gonfle les coûts d’exploitation et d’entretien de la centrale, le coût du combustible, le coût actualisé de l’énergie (LCOE) en kilowattheures et les coûts en capital, notamment pour les générateurs de vapeur. Son analyse de sensibilité, censée suggérer d’autres possibilités avec d’autres variables, ne prend en compte que des valeurs encore plus grandes. Finalement, l’étude exagère l’évolution future des facteurs susceptibles de compenser la fermeture, comme les économies provenant des mesures d’efficacité énergétique ou l’augmentation de la capacité à stocker l’électricité. Dans cette étude, les coûts impliqués par la prolongation de Diablo Canyon sont deux fois plus élevés que ceux prévus dans deux études indépendantes qui seront conduites par la suite.
C’est sur la base de l’étude du CEERT qu’en 2016 la décision sera prise par le propriétaire de Diablo Canyon, la Pacific Gas and Electric Company (PG&E), de renoncer à sa demande de prolongation de permis. Il est évident que la centrale est d’une importance vitale pour le réseau de distribution d’électricité en Californie. L’avant-dernière centrale de l’État, celle de San Onofre, a été fermée en 2013 et remplacée par le gaz, plus polluant et qui émet beaucoup plus de CO2. Pourtant, PG&E se laisse convaincre car la compagnie craint certains risques économiques : une réglementation de plus en plus stricte, la concurrence du gaz dont le prix est très bas et les subventions publiques accordées aux panneaux solaires installés sur les toits. D’ailleurs, la Commission de contrôle des ressources en eaux de l’État exige que PG&E modifie le système de refroidissement en circuit ouvert de la centrale. Ce système, qui pompe chaque jour presque 9,5 milliards de litres d’eau de l’océan pour les y rejeter à une température plus élevée, présente certains risques pour la flore et la faune marines. La Commission a donné des dérogations à quatre centrales à gaz, mais ne fait pas preuve d’une même mansuétude envers PG&E. Quelle est l’explication de cette hargne écologique contre le nucléaire et de la déloyauté qui l’accompagne ?
L’inhumanité écologique
Les Amis de la Terre a été fondée en 1969 précisément pour lutter contre la construction de Diablo Canyon. Sa création a été la conséquence d’une division au sein de ce qui était l’organisation environnementale la plus puissante des États-Unis à l’époque, le Sierra Club, créé en 1892. Lorsque, en 1966, PG&E présente sa proposition pour la construction de deux réacteurs, les membres du club sont divisés. Le président du conseil, William Siri, bio-physicien, salue le projet, considérant qu’il représente une alternative au charbon et aux barrages hydroélectriques qui auraient un effet plus dévastateur sur les paysages californiens. Selon Siri, « l’énergie nucléaire est un des principaux espoirs pour la conservation de la nature à long terme ». En revanche, le directeur général, David Brower, est résolument opposé au nucléaire en général. Quand la Commission de l’énergie atomique approuve le projet en 1968, Brower crée sa propre ONG. Le courant de Siri semble alors avoir gagné la partie, mais celui de Brower va triompher, car il représente un tropisme très fort dans l’environnementalisme américain.
Ce dernier trouve son origine dans la doctrine eugéniste, très influente aux États-Unis au XXe siècle. Dans le seul État de Californie, plus de 20 000 stérilisations contraintes de citoyens ont été réalisées. En 1916, un des pionniers du mouvement environnemental, Madison Grant, a publié Le Déclin de la grande race, qu’Hitler présentait comme sa « Bible » : il y affirmait que seuls les peuples du nord de l’Europe savaient apprécier et protéger la nature sauvage. L’immigration non nordique devait donc être drastiquement réduite. Après la Seconde Guerre mondiale, ce racisme explicite a été remplacé par le souci du contrôle démographique. Deux best-sellers de 1948, La Faim du monde de William Vogt, et La Planète au pillage, de Fairfield Osborn, postulaient que la surpopulation conduirait inévitablement à l’épuisement des ressources de la terre. Ce néomalthusianisme a fortement empreint les milieux conservationnistes, y compris le Sierra Club. Il était particulièrement puissant dans le courant de David Brower. C’est à la demande de ce dernier qu’un autre best-seller, The Population Bomb (La Bombe P), est publié en 1968 par l’universitaire Paul Ehrlich. Selon lui, le grand danger pour la planète est la prolifération des êtres humains entraînant toujours plus d’industrialisation. C’est dans cette optique que l’énergie nucléaire devient une menace, car sa promesse d’une énergie peu chère et abondante ouvre la voie à une expansion toujours plus grande de l’activité industrielle et de la population humaine, ces deux éléments se renforçant dans un cercle vicieux éternel. Ehrlich écrit notamment : « Donner à la société de l’énergie abondante et peu chère, c’est comme mettre une mitraillette entre les mains d’un enfant idiot ». Pour Brower, préoccupé toute sa vie par la surpopulation et l’immigration, l’énergie nucléaire est l’ennemie de la planète. En conséquence, la seule solution aux problèmes de la planète est le contrôle démographique et un mode de vie peu consommateur d’énergie et de ressources naturelles.
Pour discréditer l’énergie nucléaire, ces militants lancent des campagnes flattant la peur du nucléaire dans des opinions qui confondent souvent le civil et le militaire, les centrales et la bombe. Exerçant une pression pour que les autorités publiques imposent plus de réglementation et des normes de sécurité de plus en plus strictes, des ONG comme les Amis de la Terre parviennent à rendre la construction de réacteurs nucléaires plus chère et plus lente. Et ils n’hésitent pas à nouer des alliances avec les secteurs rivaux du pétrole et du gaz, qu’ils jugent préférables au nucléaire, quoique plus polluants et mortels. Ainsi, peu de gens savent que les Amis de la Terre a été lancée grâce à un don généreux du propriétaire d’une compagnie pétrolière.
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L’industrie nucléaire, qui avait souvent manqué de transparence dans les années 1950 et 1960, s’est trouvée désemparée devant les campagnes de publicité agressives et hyperboliques de ses ennemis. Ses ingénieurs arides ne pouvaient pas concurrencer des militants comme l’actrice Jane Fonda, partisane du contrôle démographique et vedette du Syndrome chinois, le film de James Bridges, qui met en scène un accident nucléaire et la tentative des industriels pour le dissimuler. Le film est sorti le 16 mars 1979 ; le 28, l’incident de Three Mile Island, en Pennsylvanie, était dans tous les médias. Quand la providence n’intervenait pas de leur côté, les militants antinucléaires ont eu recours au mensonge, comme l’histoire, publiée dans le Washington Post et le New York Times, d’une forme de sida qui serait associée à des fuites de radioactivité de Tchernobyl. Le succès du lobby antinucléaire est tel que, entre 2013 et 2021, aux États-Unis, 12 réacteurs ont été fermés sans être remplacés.
Catastrophe nucléaire ?
En août 2020, une vague de chaleur en Californie provoque une hausse de la demande d’électricité, surtout pour les climatiseurs des particuliers, qui dépasse l’offre. On découvre que les sources d’énergie solaire et éolienne ne sont pas à la hauteur du défi, et les fournisseurs d’électricité doivent imposer des pannes localisées tournantes. L’actuel gouverneur, Gavin Newsome, qui en 2015 avait été pour la fermeture de Diablo Canyon aux côtés des Amis de la Terre, change de camp. Son État est déjà obligé d’importer 30 % de son électricité et pour remplacer sa dernière centrale il faudrait 36 422 hectares de panneaux solaires. Les écologistes pronucléaires reprennent l’initiative, menant campagne avec le slogan « Split, don’t Emit » (« fission plutôt qu’émissions »). Le courant de William Siri fait son retour en grâce. Par conséquent, Diablo Canyon sera prolongée jusqu’en 2030 ; le Congrès californien autorise un prêt de 1,4 milliard de dollars et un assouplissement de la réglementation ; et PG&E peut demander une partie des 6 milliards de dollars alloués par le gouvernement de Joe Biden pour préserver l’industrie nucléaire. Pourtant, des ONG comme les Amis de la Terre continuent à investir des sommes importantes dans des pays asiatiques comme la Corée pour subventionner des campagnes de propagande et des procédures de recours collectif. Des origines eugénistes de l’écologie reste une forme de misanthropie : l’espèce humaine a tort, il faut donc limiter ses activités et ambitions. Surtout, nous dépendons du climat pour les énergies renouvelables ; or, avec la déconsidération du nucléaire, le climat est précisément ce qui est déréglé. Face à l’influence de ces « Friends of the Earth », notre planète pourrait dire, selon la célèbre formule : « Mon Dieu, gardez-moi de mes amis. »
[1]. Jonah Messinger, Seaver Wang, Adam Stein, « The Faulty Diablo Canyon Study that Started it All », The Breakthrough Institute, 30 août 2022. Voir aussi Michael Shellenberger, Apocalypse zero : pourquoi la fin du monde n’est pas pour demain, L’Artilleur, 2021 ; Emmet Penney, « Who Killed Nuclear Energy and How to Revive It », American Affairs, 20 mai 2022.