Ribéry s’en va : portrait d’un footballeur au crépuscule

Le joueur mal aimé des Français mais apprécié des Allemands tire sa révérence.


Ribéry s’en va : portrait d’un footballeur au crépuscule
Photo by Alessio Marini/LiveMedia/Shutterstock (12902613r) Franck Ribéry Friuli - Dacia Arena stadium, Udinese, Italie - 20 avril 2022

Franck Ribéry, malgré ses qualités et prouesses sportives, n’a jamais été considéré comme un ambassadeur du football français. Plus apprécié en Allemagne, où il a joué pendant douze ans, il prend enfin sa retraite.


En annonçant sa retraite, Franck Ribéry, a refermé avec lui presque deux décennies de l’histoire du football français. Cantonné dans des équipes de seconde zone du championnat italien depuis trois ans et son départ de Bayern Munich, sa carrière était déjà sortie des projecteurs, mais malgré ses 39 ans et des genoux douloureux, il aura aussi longtemps que possible poussé la balle sur les terrains de football.

Célèbre balafré

Sa carrière démarre au début des années 2000, au moment même où rebondit l’affaire d’Outreau, qui avait été le prétexte pour quelques commentateurs de dépeindre un Nord aux mœurs grossières, « où l’on se tape une bière comme on se tape un garçon ».[1] Visage balafré suite à un accident de voiture, dentition peu symétrique, syntaxe approximative qui aura fait le bonheur des rieurs et des chansonniers, Franck Ribéry, natif de Boulogne-sur-Mer, n’atténuera pas totalement l’imagerie collective renvoyée par la feu région Nord-Pas-de-Calais. Au lendemain du mondial 2006, alors que Zinedine Zidane vient de prendre sa retraite, on s’attend à ce que Ribéry reprenne le flambeau et s’inscrive dans la grande tradition des meneurs de jeu français, à la suite de Raymond Kopa, le Polonais du pays minier, de Michel Platini l’Italien de Moselle et enfin du Kabyle de la Castellane. Un journaliste de So Foot, en août 2006, l’imagine même dans la figure de « l’immigré de l’intérieur », issu d’un prolétariat tellement déclassé qu’il en semble allogène. Son mariage avec une Algérienne et sa conversion à l’islam ne manquent pas non plus d’alimenter un storytelling déjà bien garni.

Chassé durant son adolescence du centre de formation lillois à cause de son niveau scolaire et de son comportement, Franck Ribéry doit faire ses classes dans les bas-fonds incertains du football français. A Boulogne, puis à Alès (non sans retour dans le Nord pour travailler sur les chantiers avec son père), puis enfin à Brest, en troisième division. Artisan de la montée du club breton à l’étage supérieur et remarqué en Coupe de France lors d’un match contre le FC Nantes, le Ch’ti commence à faire parler de lui en Ligue 1. A l’été 2004, c’est le FC Metz qui obtient sa signature et le lance, à 21 ans, dans le bain de la première division. A la fin du mois d’août, le club lorrain (qui ne s’est jamais totalement remis du titre de champion perdu à un point près en 1998) s’offre une soirée de légende en atomisant Marseille au Vélodrome, avec Ribéry à la baguette.

A peine un semestre en Lorraine et Ribéry va déjà céder aux sirènes des grands clubs étrangers : il est bien décidé aussi à rattraper financièrement ses années de galère. C’est le grand club turc du Galatasaray qui obtient sa signature en janvier 2005. Le problème avec les clubs turcs, c’est qu’ils promettent beaucoup d’argent au départ et finissent vite par ne plus verser les salaires. Un petit semestre encore et l’aventure turque s’arrête vite : ce sont ses anciennes victimes de l’été 2004 qui l’accueillent. Le public phocéen n’est pas si rancunier.

Auteur d’une belle saison avec Marseille, le jeune attaquant arrache son ticket pour la Coupe du monde 2006 et rejoint l’équipe de France. Au milieu des vieux briscards du football français (Barthez, Thuram, Makelele, Vieira, Zidane, Henry), il commence sur le banc mais est le chouchou du public qui veut le voir à l’œuvre, alors que l’équipe nationale fait des débuts chaotiques dans la compétition. Contre l’Espagne, en huitièmes-de-finale, alors que les Bleus sont menés rapidement, c’est lui qui lance la furia francese en gagnant son face-à-face contre Iker Casillas. C’est le premier moment culte de ce fol été 2006, quand Thierry Gilardi lâche au micro son fameux « vas-y mon petit ». Le Marseillais sera moins en vue dans les matches suivants, mais ce n’était pas très grave car les tauliers avaient retrouvé entre temps leur niveau stratosphérique.

Au lendemain du Mondial 2006, on s’attend donc que « l’immigré de l’intérieur » enfile la panoplie de maître à jouer de l’équipe du France. Or, comme au lendemain des retraites de Kopa et de Platini, les Bleus rentrent dans un long hiver. Ribéry ne deviendra jamais le numéro 10 des Bleus. Sur le plan technique, il restera toujours un ailier, le plus souvent à gauche, sur son « mauvais pied », l’obligeant à rentrer balle au pied dans la surface de réparation plutôt qu’à s’excentrer le long de la ligne de touche. Un peu moins iconique dans ce rôle que son compère du Bayern Munich, Arjen Robben, gaucher exilé sur le côté droit, il n’en est pas moins resté comme l’archétype du faux ailier, dans un football où les buts marqués sur des centres envoyés depuis la ligne de touche se sont raréfiés.

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Du plomb dans l’aile avec le public français

Sur le plan affectif, l’idylle avec le public français va vite avoir du plomb dans l’aile. Déjà entamée par l’affaire Zahia au printemps 2010 (qui fera surtout ricaner les chaumières, bien aidées par Laurent Gerra), elle va se gâter avec la grève du bus lors du mondial sud-africain. Quelques heures plus tôt pourtant, Ribéry débarque sur le plateau de Téléfoot en short et claquettes pour demander « pardon aux Français », alors qu’en coulisse, la grève est déjà programmée. Malgré sa participation à la remontada contre l’Ukraine en novembre 2013, jamais Ribéry et le public français n’arriveront à se rabibocher. En 2014, Didier Deschamps le remplace au dernier moment de la liste de joueurs qui doit aller au Mondial au Brésil, dans l’indifférence générale. L’équipe de France des années suivantes se construira avec Antoine Griezmann, Paul Pogba et Olivier Giroud mais sans Franck Ribéry.

Franck Ribéry avec le trophée, après que son équipe a remporté le match de football de la finale de la Ligue des champions contre le Borussia Dortmund, au stade de Wembley à Londres, le samedi 25 mai 2013. (AP Photo/Martin Meissner)/CLF358/889428741926/1305252328

Sommet allemand

Tant pis. C’est en Allemagne que Ribéry connaîtra le sommet de sa carrière. Ayant fait des pieds et des mains pour quitter Marseille dès l’été 2006 (« j’ai envie d’avoir autour de moi de grands joueurs », déclare-t-il, ce qui aura le don de faire plaisir à ses coéquipiers marseillais), il débarque au Bayern Munich un an plus tard. En douze années en Allemagne, il va collectionner les titres de champion et surtout remporter la Ligue des Champions 2013 en délivrant la passe décisive pour Robben dans les derniers instants de la finale à Wembley, contre les rivaux du Borussia Dortmund. Cette année-là, le Français semble en passe de remporter le Ballon d’Or. Mais le prix délivré par France Football récompense davantage la notoriété mondiale d’un joueur que l’excellence d’une saison ; à ce petit jeu, Ribéry avait un peu de retard sur Cristiano Ronaldo et Lionel Messi, qui le dépassent au classement final. Déficit de notoriété donc, ou peut-être délit de sale gueule.

Un emmerdeur de génie

Troisième du Ballon d’Or 2013, retiré de l’équipe de France en 2014, Ribéry continue son parcours avec le Bayern Munich jusqu’en 2019. Chaque année, le club bavarois recrute de nouveaux ailiers pour préparer la sortie de la doublette Robben-Ribéry, mais chaque année, les jeunes premiers sont relégués sur le banc par les deux Teutons flingueurs. A la manière d’un Eric Cantona, longtemps perçu par les dirigeants du football français comme un emmerdeur mais par le public anglais comme un héritier des grands moralistes du XVIIème siècle, Franck Ribéry est presque perçu en Allemagne comme un éminent lobbyiste de l’Institut Goethe, s’efforçant de manier une langue allemande de façon à peine moins hasardeuse que sa langue natale.


[1] Le Monde du 24 janvier 2002.



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