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L’illusion du mal, de Piergiorgio Pulixi : la justice contre le droit

En éloignant le peuple des instances juridiques, on le pousse à se faire vengeance tout seul.


L’illusion du mal, de Piergiorgio Pulixi : la justice contre le droit
Piergiorgio Pulixi / Capture d'écran YouTube

Notre chroniqueur, amateur de polars sanglants mais lassé de la domination sans partage des Scandinaves, a été ravi de voir débouler dans le paysage romanesque un écrivain sarde plus sanglant encore que ses rivaux nordiques. Des romans qui posent de vraies questions : quand la Justice déraille, de simples citoyens ont-ils le droit de se substituer à la police d’abord, à la justice ensuite ? Quelle peine serait réellement proportionnelle à tel ou tel crime ? Et celle-ci surtout : le porceddu aux culurgiones n’est-il pas préférable à un McDo spongieux ou une pizza surgelée ?


Peut-être vous rappelez-vous Un justicier dans la ville, le film qui en 1974 relança la carrière d’un Charles Bronson jusque-là confiné dans des rôles d’Indien révolté ou de cow-boy taciturne. L’épouse du héros, architecte de son état, est battue à mort, et sa fille violée et traumatisée durablement. Bronson ne retrouvera jamais les trois voyous coupables de ces méfaits (dont un Jeff Goldblum qui commençait là sa carrière et ignorait qu’il serait l’inoubliable docteur Malcolm de Jurassic Park), mais il en flingue un certain nombre, au petit bonheur des rues et des métros, dans une ville — New York — qui était alors la capitale mondiale de la délinquance dure.

C’est ce qu’on appelle là-bas un vigilante : un simple citoyen qui prend en charge la défense des intérêts de la communauté. Le flic du film (Vincent Gardenia) ne se plaint pas qu’un simple citoyen fasse le boulot qu’il n’a pas le droit de faire.

Evidemment, dans des pays qui interdisent le port d’armes, c’est plus compliqué. N’empêche que l’intrigue de L’Illusion du mal, le dernier roman de Piergiorgio Pulixi, commence par l’enlèvement d’un violeur en série de gamines, libéré par la justice sur un vice de procédure. On retrouvera toutes ses dents, arrachées sans délicatesse, dans un petit sac offert à l’une de ses victimes. Le « Dentiste » — ainsi est surnommé le kidnappeur — propose dans une vidéo au peuple italien de voter pour ou contre la mort du salopard. L’issue est celle que vous imaginez.

Et ça ne fait que commencer.

J’avais repéré Pulixi il y a quelques mois, à l’occasion de la sortie de son précédent roman 100% sarde, L’Île des âmes, dont j’avais rendu compte pour Marianne. Il y mettait en scène deux enquêtrices quelque peu marquées par la vie (c’est-à-dire par la mort). Dans L’Illusion du mal, elles s’efforcent, avec l’aide d’un très séduisant vice-questeur milanais descendu en renfort en Sardaigne, d’identifier ce « Dentiste » qui vient justement d’enlever un juge parfaitement véreux, et de lui extraire ses trente-deux ratiches, en attendant que la vox populi…

Justice d’Etat

J’abordais il y a quelques jours la question de savoir pour qui roule la police. Est-il interdit de se demander pour qui roule la justice, qui remet en liberté des malfrats pressés de continuer leurs exploits : sitôt livrés, sitôt libérés ? Une justice à deux vitesses, qui ne manque pas de mettre en examen les flics qui ont tiré pour sauver leur vie.

Police d’Etat, disais-je. Mais il y a aussi une justice d’Etat, intraitable avec les assassins du préfet Erignac, et beaucoup plus coulante avec des meurtriers ordinaires, qui trouvent dans leurs origines de beaux prétextes pour excuser leurs délits. Il a violé la dame ? Ah, c’est dans sa culture, une fille non voilée est une pute, et puis c’est un réfugié, bla-bla-bla. Ce discours lénifiant a si bien pénétré la société française que les victimes elles-mêmes en sont à proclamer avec une emphase saluée par la presse de gauche : « Vous n’aurez pas ma haine ». Et que la jeune femme violée récemment par deux Soudanais à Nantes appelle à ne pas faire d’amalgame entre son agresseur et l’ensemble des immigrants clandestins ou non. Et son avocate, Maître Anne Bouillon (proche de la maire Johanna Rolland) de préciser : « Elle clame son attachement profond et indéfectible aux valeurs humanistes que sont l’accueil de celles et ceux qui cherchent refuge et l’ouverture aux autres. Ce qu’elle a subi et qui l’a perpétré n’y change rien », indiquant que sa cliente « rejette l’amalgame facile et erroné fait entre immigration et délinquance. Elle rappelle que les violences sexuelles et sexistes existent en tous lieux, en tout temps, en tous milieux et par des hommes de toutes origines qui partagent en commun de se sentir autorisés à agresser des femmes ». De bons petits soldats du wokisme en marche.

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Il y a des baffes qui se perdent.

Le problème, c’est qu’il n’y a rien de mieux que le laxisme pour déclencher la violence de ceux qui désespèrent de voir la Justice faire son travail. Rien de mieux que la clémence des tribunaux pour que des désespérés passent à l’acte. Vous n’aurez pas ma haine ? Eh bien, si on massacrait des gens que j’aime, je ne compterais pas sur la justice pour régler la question.

Justice populaire
Alors c’est vrai que ce disant, je confonds la justice et la vengeance. Mais lorsqu’un jury rend un verdict, ne venge-t-il pas la société ? Ce qui est permis au collectif, et qui ne marche plus que sur trois pattes, ne risque-t-il pas d’être réaffecté au niveau individuel, lorsque la sanction est grossièrement inférieure à la faute ?

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Ce qui s’est perdu, ces dernières années, c’est le lien, établi après la Révolution, entre le peuple et la Justice. Comme il y a une police d’Etat, il y a une justice d’Etat — qui n’est pas celle des citoyens. On en revient à l’arbitraire de l’Ancien régime, où « selon que vous étiez puissants ou misérables », comme dit ce merveilleux La Fontaine… Si vous avez aujourd’hui de quoi vous offrir les services d’un cabinet d’avocats pugnaces, vous ferez traîner l’affaire en longueur, jusqu’à ce que peu à peu les plaignants s’effacent : j’ai été marqué jadis par l’affaire du sang contaminé, où des politiques ont osé faire un mea culpa inédit en affirmant : « Nous sommes responsables, mais pas coupables ». L’application d’une telle jurisprudence serait conforme sans doute au Droit, mais pas à la Justice. Et en éloignant le peuple des instances juridiques, on le pousse à se faire vengeance tout seul comme dans l’excellent roman de Pulixi.

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Normalien et agrégé de lettres, Jean-Paul Brighelli a parcouru l'essentiel du paysage éducatif français, du collège à l'université. Il anime le blog "Bonnet d'âne" hébergé par Causeur.

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