Adieu silhouettes graciles et poitrines délicates. C’en est fini des beautés fatales qui nous toisaient depuis l’Olympe de la perfection plastique. Pour vendre des cosmétiques ou de la lingerie, la publicité impose désormais les défauts de l’ordinaire. Elle ne fait plus rêver, elle tend un miroir.
Pour vendre, désormais, le moche est in. Les nouveaux canons ont décrété la fin prochaine des filles canons. Bye-bye les beautés pour les publicités des produits de beauté. Et bientôt, les demoiselles poilues auront définitivement supplanté les pin-up à poil. La communication commerciale qui a toujours été le miroir de la société n’entend plus nous en offrir un reflet flatteur. Sois tarte et consomme. Le racisme anti-belles s’est-il emparé de la réclame ?
En 1993, à l’origine (du monde ?) il y a eu Benetton. Pour illustrer son slogan « United Colors of Benetton », la marque a imaginé une galerie photographique de sexes de tous poils, de tous âges et de toutes couleurs juxtaposés, en double-page de quelques magazines. Presque un geste artistique. Ça avait du style et de l’audace. C’était drôle et, si l’on peut dire, culotté. C’était la publicité à son âge d’or. Et, au passage, Luciano Benetton et son photographe-créatif Oliviero Toscani venaient d’inaugurer le body positive dans la publicité.
Le body positive, ou comment se conforter dans l’idée que tout le monde puisse poser
Le body positive concerne la représentation des corps ; un mouvement né sur le web et venu des États-Unis pour l’acceptation et la reconnaissance de toutes les apparences. En 2004, Dove se démarque avec sa démarche pionnière « Real Beauty ». Aujourd’hui, c’est une tarte à la crème. Ici aussi, Nike, Decathlon, H&M et bien d’autres ont adopté les nouvelles conventions de la diversité triomphante.
Dans la lingerie, le phénomène est un raz-de-marée. Darjeeling, Chantelle, Ysé, Primadonna, etc., s’y sont mises à fond. En 2019, Victoria’s Secret renonce à son traditionnel défilé de déesses emplumées pour les remplacer par des représentations jugées davantage dans l’air du temps. Désormais, sur le podium de la publicité, qui n’a pas sa mal gaulée, sa grande, sa petite ou sa ronde, sa personne non genrée, son Africaine et/ou son Asiatique, sa senior, sa velue, sa boutonneuse, sa chauve qui sourit ? Les top models à la mode d’avant sont soupçonnés de complicité de crime d’aliénation, de manipulations louches et accusées d’être facteurs d’autodépréciation.
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L’identification a remplacé la projection. Avant on rêvait d’être comme dans la pub. Aujourd’hui c’est la pub qui rêve d’être comme nous, avec nos singularités et nos imperfections. Madame Tout-le-Monde est devenue Madame Sans-Gêne et s’invite partout.
Pour une communication de la marque Camaïeu sur sa garantie Yoyo, qui permet de changer gratos de taille de jeans dès qu’on change de poids, idée sympa et marrante, combien de campagnes bêtement suiveuses ? Paradoxalement, au nom de la diversité, tous ces messages finissent par se ressembler, ce qui nuit grandement à leur efficacité.
Le philosophe et essayiste Gilles Lipovestsky interpelle dans la revue Influencia : « Pourquoi chacun ne pourrait-il avoir le droit d’être soi-même, revendiquer ses caractéristiques, son authenticité ? » Oui, pourquoi pas ? Mais, tout de même, il s’interroge avec candeur : « Il n’est pas sûr que l’inclusivité soit toujours compatible avec l’impératif marchand de séduction. » Nooooon, vous croyez ?
« Ce serait l’époque qui voudrait ça »
Parfois, certaines communications jouent sur les deux tableaux. Rihanna enceinte pour sa marque de cosmétiques, Winnie Harlow avec son vitiligo si déco pour Desigual restent des égéries sublimes et tentatrices. Récupération ? Face à l’entourloupe, les gardiennes du woke aboient au femwashing.Ce serait l’époque qui voudrait ça. Pas sûr. Selon les temps, les définitions du beau ont toujours été à géométrie variable. Les Vénus paléolithiques, la blancheur outrée au mercure des femmes des siècles classiques, les courbes des Rubens, « le beau est toujours bizarre » de Baudelaire, la beauté cachée des laids chantée par Gainsbourg avaient déjà illustré les dimensions éphémères et culturelles du concept. Malgré cela, un idéal lié à la jeunesse et à la santé a toujours existé. On voudrait aujourd’hui qu’il s’évapore. Inclusivité, que de crimes on commet en ton nom !
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Ce qui est gênant, ce n’est pas la revendication du droit à la différence. Ni la réhabilitation des individualités. Au contraire. Non, ce qui grince, c’est la police de la pensée qui dicte sa loi. Même le législateur s’en est mêlé. Depuis 2017, le fameux décret « Photoshop » impose la mention « photographie retouchée » sur tous les clichés à usage commercial, « lorsque l’apparence corporelle des mannequins a été modifiée par un logiciel de traitement d’image, pour affiner ou épaissir leur silhouette ». En cas de non-respect, c’est une amende salée. À l’époque, le ministère de la Santé déclare vouloir « agir pour éviter la promotion d’idéaux de beauté inaccessibles et prévenir l’anorexie chez les jeunes ». Espérons que ça ait réussi. Allez savoir pourquoi, la télévision n’est pas concernée.
Nature peinture
À quand les mentions légales façon packaging de cigarettes pour fustiger le moindre artifice jugé dictatorial et préjudiciable à l’estime de soi des mal-loties ? Exemples d’avertissements possibles : Attention maquillage ! Méfiance, cette publicité a bénéficié de l’intervention d’un coiffeur ! Gare, femme épilée ! Sur le même sujet, mieux vaudrait se référer à un film publicitaire pour Dove (2006) qui faisait malicieusement la pédagogie de l’artificialité de certaines retouches. Aujourd’hui, on préfère l’interdiction à la persuasion, la sanction au style, l’authenticité (autre mot mis à toutes les sauces) à la créativité.
Allons plus loin. Avoir des ongles coupés ou vernis n’est-il pas une entorse à l’ordre ? Et les corps musclés obtenus par la gym, d’insupportables tricheries ? Pas touche aux rides et aux vergetures, sinon panpan-cucul ? Et que fait-on avec les filtres qui améliorent le teint et la plastique des influenceuses sur Instagram, on interdit aussi ? C’est sans fin.
Voilà où nous en sommes. Du côté des hommes, ça résiste encore. Le politiquement correct ne peut pas être partout, il a trop de travail en ce moment. Mais leur tour arrive. Voir déjà la campagne britannique Men of Manual qui met en scène les mêmes néo-clichés que pour les girls. Bientôt, finis les beaux gosses. Mesdames, faudra pas venir pleurer.
J’enlève le haut.: Les dessous de la Pub à l’âge d’or.
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