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Coupe du Monde au Qatar: regarder le passé, le présent et surtout le futur!

Une tribune libre de Sébastien Boussois


Coupe du Monde au Qatar: regarder le passé, le présent et surtout le futur!
Le stade de Lusail, au nord de Doha, Qatar, septembre 2022 © CHINE NOUVELLE/SIPA

Alors que le coup d’envoi de la Coupe du monde de football sera envoyé dans deux mois, il est peut-être temps de relativiser le torrent de critiques reçues par l’organisateur. Arguments.


Plus on se rapproche de la date évènement du 18 novembre et du lancement de la première Coupe du monde de football dans un pays arabe, plus on entend des cris d’orfraie, appelant au boycott de l’évènement le plus populaire sur le globe. Les critiques à l’égard du Qatar sont à peu près aussi anciennes que la décision de la FIFA de lui attribuer l’organisation en 2010 et elles repartent de plus belle, nourrissant colonnes de presse et débats télévisés. Elles ne finissent jamais.

Jusqu’à quand protester, contester, critiquer un pays comme le Qatar qui, il est vrai revient de très loin, mais qui a joué le jeu?

L’intention a été louable depuis toutes ces années d’avoir mis le doigt sur un certain nombre de problèmes liés au pays, à la région, au monde arabo-musulman, car de nets progrès ont pu avoir lieu en matière de droits sociaux, de droits humains, et d’environnement grâce à cela. Le monde se raidit, devient plus dangereux, la démocratie est moins à la mode, et les régimes autoritaires et « démocratures » fleurissent sur les cinq continents. Certains pays osent tout de même le progrès.

Mais devons-nous, face à ce monde hostile, continuer à organiser des « évènements mondiaux » uniquement dans le reliquat démocratique qu’il reste sur terre, soit les Amériques (et encore), l’Europe (la moitié, tels que nous sommes partis), et une partie de l’Océanie ? Cela pose une question essentielle à l’avenir : oui il faut continuer à donner sa chance à tous les continents, mais l’attribution d’un évènement doit devenir désormais en amont un levier pour défendre nos valeurs, ces fameuses valeurs un peu occidentalo-centrées certes. Même si nous refusons malheureusement d’essayer de comprendre pourquoi le monde se radicalise ainsi, ce qui ne fait que nourrir l’hydre hostile à nous un peu plus encore.

Alors jusqu’à quand protester, contester, critiquer un pays comme le Qatar qui, il est vrai revient de très loin, mais qui a joué le jeu et mis en place une vraie stratégie de développement et fait vœu de « progrès »? Et qui est un de nos partenaires énergétiques, politiques et militaires dans le contexte d’un multilatéralisme en péril, comme dans le dossier de l’Afghanistan l’année dernière ? L’effet à terme de ces coups de boutoirs le dénonçant pourrait plutôt être dissuasif et décourager les ¾ de l’humanité de se lancer : pourquoi ferais-je des progrès si ce n’est jamais suffisant et si cela ne me permet pas d’accéder au club des privilégiés de ce monde ?

Et il y a lieu là de faire un peu de « whataboutisme », même si la religion du moment est plutôt de refuser les comparaisons, réduit à une soit disant rhétorique du « oui, il y a toujours pire ailleurs ». Il y a lieu encore une fois de dire que l’on a été beaucoup moins regardant pour la Chine et la Russie, qui ont organisé aussi ces dernières années des grands-messes mondiales. Il y a lieu une fois encore de dénoncer les accusations diverses portées contre le Qatar, qui sont souvent un moyen de se défouler et de servir d’exutoire à toutes nos critiques faites à l’égard de l’entièreté du monde arabe, qui il est vrai, est à bien des égards très déprimant et sans grand espoir. Il y a lieu de dénoncer les attaques portées à Doha en matière de droit du travail et de protection des ouvriers, alors que la présence et les rapports de l’organisation internationale du travail, attestent de la création d’un embryon du droit du travail unique dans la région et contestent notamment ce chiffre simplificateur de 6500 morts dans les stades sur dix ans. Il y a lieu de regretter que ce travail effectué n’inspire pas notamment les pays voisins qui ont depuis 20 ans dix fois plus de chantiers passés, en cours et à venir, comme aux Emirats arabes unis qui font appel aussi à des millions de travailleurs « détachés » de leur pays. Qui a appelé au boycott de l’Exposition Universelle en début d’année, ou qui appelle au boycott de ceux qui vont passer des vacances à Dubaï ?

Il y a lieu de s’opposer aux vieilles antiennes, cette liturgie médiatique reproduite à l’infini sur la construction ex nihilo de stades qui n’existaient pas (par définition) dans un pays « qui n’aurait aucune culture footbalistique », et enfin à ce « scandale absolu inexcusable » de « la climatisation des stades ». Depuis les années 1930, du temps du mandat britannique, il y a une passion pour le football au Qatar et l’équipe nationale est même arrivée en demi-finale de la Coupe arabe l’année dernière. Mais peut-être qu’une coupe ne se jouant qu’entre pays arabes ne compte pas ? Quant à la coupe d’Asie des Nations, en 2019, l’équipe du Qatar a même remporté le championnat !

Quant à l’empreinte écologique des Qataris, l’été infernal que nous avons passés nous a rappelé ô combien le réchauffement climatique était une réalité et que nous-mêmes ne pourrions plus à terme nous passer de l’air conditionné. Qui pourra supporter longtemps 30 degrés dans son appartement en pleine ville en Europe, pendant au moins deux mois ? Les stades ne sont pas « climatisés » comme un shopping center, mais un système de refroidissement et de recyclage de l’air au sol et sur la pelouse permet de maintenir la surface de jeu à 18 degrés. C’est bien différent. De toute façon, nous serons en hiver là-bas lors de la Coupe et la température ne montera pas au-dessus des 25 degrés.

Il y a lieu de dénoncer les accusations portées aux Qataris qui sont 200 000 sur une population de 3 millions, et qui seront bientôt à eux-seuls responsables du réchauffement climatique. Rappelons que les Etats-Unis produisent de plus belle leur gaz de schiste ultra-polluant, que l’Allemagne s’est remise à fond au charbon, que la Chine n’a cure de l’environnement comme l’Inde d’ailleurs, et que la pollution qui se dégage au Qatar de l’extraction du GNL, le gaz naturel liquéfié, permettra de nous chauffer l’hiver prochain, nous Européens, pour compenser la perte du gaz russe. So what ? Il est impératif de faire du « whataboutisme » même si comparaison n’est pas raison.

Des normes environnementales et écologiques et des prix ont même été attribués au Qatar pour son action en faveur du climat, au regard des conditions difficiles dans lesquelles les Qataris vivent. Quant à la dénonciation de la pollution engendrée par l’évènement, elle doit nous interroger sur les grands barnums planétaires qu’ont été les obsèques de la Reine Elizabeth II, l’ouverture de l’Assemblée Générale des Nations Unies ce mois-ci, et surtout la prochaine Coupe du Monde attribué à l’Occident, et qui se déroulera aux Etats-Unis, au Canada et au Mexique. Les stades où se dérouleront l’évènement dans quatre ans ne seront plus à maximum 50 kilomètres d’écart, tous joignables par métro, mais bien à des milliers de kilomètres. Un simple exemple : la distance Mexico-Toronto est de 3700 kilomètres !

Pourquoi diable devrait-on continuer à voir rouge à deux mois du lancement seulement de l’évènement et décider de le boycotter plutôt que de se réjouir des ¾ de l’humanité, qui vivent dans des conditions quotidiennes terribles, et qui ont toutefois hâte de vivre ce moment festif à venir? Des pays riches comme la Norvège, 41è au classement de la FIFA, se sont échiné à appeler à un boycott mais y ont renoncé. Qui les a suivis ? Des équipes alertent, des sportifs et footballeurs à la retraite, des acteurs, des VIP de tout ordre ou pas, donnent le « la » et portent un regard à la fois paternaliste sur la capacité d’un pays arabo-musulman à porter l’étendard bien haut pendant un mois d’un monde arabe trop souvent et depuis trop longtemps en proie aux crises, aux guerres, et à l’absence de démocratie. Mais après, qui les suit ? Des pays de la région sont devenus pires qu’avant les printemps arabes, d’autres sont toujours dans des guerres larvés ou ouvertes, d’autres en proie au terrorisme et au djihadisme international. Le Qatar a évolué grâce ou à cause de la Coupe du Monde, peu importe. Cela doit continuer au-delà, c’est une certitude et cela doit être une réalité. Et c’est cela qui doit donner de l’espoir et qui devrait être encouragé : donner un signe et donner envie à d’autres pays du monde arabe, du Sud, du tiers-monde, d’être fiers de quelque chose, d’être fier d’être arabe, de relancer le développement en panne depuis des décennies dans la région. Et d’espérer tant d’autres choses politiques aussi par ailleurs.



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est chercheur en sciences politiques associé à l’ULB (Bruxelles) et à l’UQAM (Montréal). Publications récentes: "Les Emirats Arabes Unis à la conquête du monde" (2021, MAX MILO), "Les nouvelles menaces mondiales: La grande pandémie du déni" (2021, Mardaga).

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