Ah ! Augustin Trapenard. La pommade faite homme. Ses questions sont des analgésiques puissants. Le soir de sa première à l’émission littéraire de France 5, il se surpassa. Malheureusement, Didier Desrimais était devant sa télévision.
Ceux qui ont lu le papier de Clément de Daldesen dans ces colonnes savent maintenant comment a été traité le sujet de la tentative d’assassinat de Salman Rushdie par un terroriste islamiste sur le plateau de “La Grande Librairie”, émission animée par le soporatif Augustin Trapenard.
Durant ces moins de dix minutes soi-disant consacrées à Salman Rushdie, son nom ne sera prononcé que deux fois, le mot fatwa une seule fois, les syntagmes « islamisme », « terrorisme », « islam » ou « fondamentalisme islamique », pas une seule fois.
Les écrivains invités parleront vaguement d’intégrisme religieux, plus précisément des « chrétiens fondamentalistes » (quel est le rapport avec Salman Rushdie ?), encore plus vaguement de « fesse joyeuse ou triste » (Laurent Gaudé) et du fait qu’il n’y a pas « une menace mais des menaces dans tous les sens » (Virginie Despentes). Lâcheté, ignorance, bêtise ? Un peu de tout cela, j’imagine. Encore que pour Virginie Despentes, un soupçon d’amour a pu s’ajouter à ce cocktail peu ragoûtant…
L’islamo-gauchisme n’a jamais à souffrir de la cancel culture
Souvenez-vous. Deux jours après l’assassinat des journalistes du journal Charlie Hebdo, Virginie Despentes écrivait dans Les Inrocks avoir vu un « geste d’amour » dans « l’acte héroïque » des frères Kouachi auxquels elle destinait en retour son amour, tout son amour. Elle ne voyait pas, écrivait-elle, le rapport entre l’islam et la mort des journalistes et dessinateurs de Charlie Hebdo. En revanche elle en voyait un entre la « masculinité » et le fait de construire des armes (sic). Dans ce texte écœurant, elle écrivait à propos des frères Kouachi : « J’ai aimé aussi ceux-là qui ont fait lever leurs victimes en leur demandant de décliner leur identité avant de viser au visage. […] Je les ai aimés dans leur maladresse – quand je les ai vus armes à la main semer la terreur en hurlant “On a vengé le Prophète” et ne pas trouver le ton juste pour le dire ». Annie Ernaux était vraisemblablement en cure de sommeil au moment où parut cette ignominieuse tribune, car nous n’entendîmes pas un mot de celle qui n’avait pourtant pas hésité à dénoncer un certain « pamphlet fasciste qui déshonore la littérature », quelques années plus tôt.
Pour avoir écrit un Éloge littéraire à Anders Breivik qui, aussi discutable soit-il, n’atteint jamais en scélératesse l’article de Virginie Despentes sur les frères Kouachi – sans compter un style incomparablement supérieur au gribouillage logorrhéique de Despentes – Richard Millet a été poursuivi par la meute et mis à mort socialement et professionnellement. La milice littéraire a les dégoûts sélectifs ! Annie Ernaux, qui ne voulait pas « traiter par le silence et le mépris un texte (celui de Millet) porteur de menaces pour la cohésion sociale (sic) » de crainte de se mépriser plus tard, ne trouva rien à redire à la lettre d’amour de Despentes aux assassins des membres de Charlie Hebdo. Elle ne fut pas la seule. Nombreux furent les écrivains et les intellectuels qui participèrent en bande pétitionnaire à l’exécution de Richard Millet mais qui lurent avec délectation la misérable tribune de Virginie Despentes – laquelle ne fut donc nullement empêchée, elle, de rejoindre le jury de l’Académie Goncourt quelques mois plus tard.
King Kong Théorie, un texte immense selon Laurent Gaudé
Lors de son émission, Augustin Trappenard nous apprend par ailleurs que le dessinateur Luz, qui a échappé par miracle au massacre du 7 janvier 2015, collabore depuis deux ans avec Virginie Despentes pour la version BD de Vernon Subutex sorti chez Albin Michel. Je ne connais pas Luz. Je ne sais rien de ses motivations. J’ai lu son interview donnée à 20 minutes dans laquelle il déclare connaître et admirer la puissance des romans de Despentes, ainsi que son engagement féministe et sa bienveillance. Celui que Luz disait être son ami, son frère, son amant, le dessinateur Charb, tué par les frères Kouachi, doit s’en retourner dans sa tombe.
Sur le plateau de La Grande Librairie, Laurent Gaudé a répondu à Trapenard au sujet de l’affaire Rushdie qu’il serait « toujours du côté de la pluralité des voix, de la curiosité, de la fesse joyeuse ou triste mais de la fesse si il faut ». On ne sait pas trop ce qu’il entend par là. Ce qu’on sait en revanche, c’est que Laurent Gaudé est un écrivain avec des convictions politiques et morales qui ne risquent pas de défriser l’intelligentsia immigrationniste. Ces convictions transparaissent dans ses différents écrits dont un texte boursouflé qui a fait les beaux jours d’Avignon et qui fut l’occasion d’une tournée organisée dans le cadre de la présidence française du Conseil de l’Union Européenne. Cette « épopée invitant à la réalisation d’une Europe des différences, de la solidarité et de la liberté » (cherchez l’intrus) s’intitule Nous, l’Europe, Banquet des peuples, et a été lu, entre autres lieux prestigieux, à la Sorbonne, devant un parterre de jeunes et vieux notables européistes et multiculturalistes. C’est un texte laborieux, sans souffle, sans style, ronflant, pénible à lire, encore plus pénible à entendre. Il n’est pas étonnant que Laurent Gaudé n’ait pas relevé l’absurdité de sa consœur parlant des fondamentalistes chrétiens lorsque le sujet est Rushdie et l’islamisme : son ventripotent banquet n’est qu’une longue et soporifique liste de récriminations plus ou moins subtiles contre l’Occident, contre son histoire et contre ses mœurs, contre ses racines, contre « l’égoïsme des nations » qui « ferment la porte » aux « embarcations fragiles » des migrants. Gaudé est pour une Europe grande ouverte aux « réfugiés » car « l’Europe peut intégrer bien plus de migrants qu’elle ne croit.[…] L’Europe s’est toujours construite à travers des renouvellements de population, des métissages enrichissants ». (Entretien du 27 septembre 2015 au journal Le Temps)
Les préoccupations politiques et morales de ces écrivains éclairent la façon dont ils abordent l’actualité. En réalité, le sort de Rushdie ne les intéresse pas beaucoup, et la réalité d’un islamisme frériste qui gangrène la France ne les intéresse pas beaucoup plus. Ils pleurent sur le journal d’Anne Frank soi-disant interdit par des fondamentalistes chrétiens au Texas mais pas sur la censure qui se pratique de plus en plus régulièrement dans les pays occidentaux, soit du fait d’un islam de plus en plus rigoriste et menaçant, soit du fait d’une idéologie wokiste qui s’étend dans les universités, les médias et les milieux artistiques. Que voulez-vous que ces gens-là fassent d’une telle réalité, alors qu’ils ont tant à faire pour atteindre les sommets de la notoriété sans se mouiller ? Laurent Gaudé se ripoline la conscience en faisant de l’Union européenne immigrationniste un idéal épique, pense que « King Kong Théorie est un texte immense » et affirme être « aussi d’accord (avec Despentes) sur le patriarcat ». Lola Lafon trouve que « Oui, ouais, oui, elle est drôle », Virginie Despentes. Cette dernière consolide sans effort son statut d’icône rebelle médiatico-littéraire en bavassant des phrases incompréhensibles mais qui vont droit au cœur sensible d’Augustin Trapenard.
Ah ! Augustin Trapenard. La pommade faite homme. Ses questions sont des analgésiques puissants. Ce soir-là il se surpassa. Détendus, ses invités répondirent des platitudes en réprimant un bâillement, se citèrent mollement, se congratulèrent mutuellement, dans une langue parfois étrange et avec une élocution souvent chaotique. Salman Rushdie tomba rapidement dans l’oubli. Il ne fut plus question que du patriarcat occidental, de la solidarité féminine, de la méchante virilité. Augustin Trapenard, heureux comme un enfant un peu simple d’esprit à qui on ne refuse rien, put dérouler sa pelote de réflexions cotonneuses, sans danger, inutiles, et continuer de poser des questions ridicules. Après le passage délicat sur Rushdie, chacun comprit que le plus dur était passé et qu’on allait pouvoir continuer de ronronner des fadaises lorsque l’asthénique animateur demanda : « En quoi, parfois, un livre, ça peut nous réconcilier ? »
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