Il y a deux façons de regarder « Questions pour un champion » (QPUC), le jeu télévisé culte de France 3 qui fêtera, en novembre, ses 25 ans. D’abord, d’une façon ludique, c’est-à-dire s’instruire en s’amusant, de retour du bureau ou de l’école. Le Service public remplit, en l’espèce, parfaitement sa mission éducative et son Devoir moral. Depuis un quart de siècle, QPUC assure d’excellentes audiences à la Trois, lance son 19/20 dans des conditions optimales et fait la nique à des concurrents au contenu bien plus aguicheur. Certains mauvais esprits trouveront toujours à redire, que ce spectacle est un peu kitsch sur les bords, « vieille France », décalé ou dépassé, pantouflard même et pourquoi pas réactionnaire ?
En matière de divertissement, les tenants du bon goût préfèreront toujours voir des déshérités se ridiculiser sous l’œil d’une caméra complice que des candidats répondre à des questions sur les JO de Grenoble, les films de Claude Sautet ou le Prix Goncourt 1957. On peut aimer ou non le style survolté de Julien Lepers, ses cravates tapageuses et ses dictionnaires en guise de cadeaux (moi, j’adore !), une chose est sûre : QPUC n’a jamais changé de formule gagnante. L’émission ne s’est jamais pliée aux diktats du marché et aux modes télévisuelles qui font perdre la tête des dirigeants de chaînes. Le sémillant Julien n’a pas été remplacé par une playmate siliconée. L’émission n’a pas modifié ses règles au gré des changements de majorité gouvernementale. Le rituel qui fait tout le charme de ce programme est resté identique au concept d’origine.
Au départ, il y a le « neuf points gagnants » où les candidats doivent faire preuve de rapidité, ensuite vient le « quatre à la suite » où le choix du questionnaire s’avère toujours aussi crucial et, en apothéose, le « face-à-face » qui n’a rien perdu de sa dramaturgie. Une mécanique parfaitement rôdée. Quant aux dictionnaires, ils n’ont pas été troqués par des écrans plats aux dimensions ridiculement exagérées vu l’exigüité de nos logements. Ici, il faut tordre le cou à une idée reçue qui a, longtemps, fait la gloire des chansonniers en manque d’inspiration, l’accusation selon laquelle les gains seraient modestes, est fausse. Les champions qui réussissent à aligner cinq victoires à la suite, un véritable exploit avouons-le, repartent avec un joli chèque. De quoi s’acheter une voiture neuve ou payer les études supérieures de leurs chers enfants.
QPUC répond donc parfaitement aux exigences d’un public qui recherche une émission de qualité sans esbroufe, familiale et instructive. QPUC est à la télévision ce que l’AOC est aux produits de notre terroir. Le décor n’a pas besoin d’être somptuaire car le fonds de commerce réside dans les questions, ces milliers de questions posées chaque année qui nous rendent moins cons et plus humbles. Participer ou même seulement regarder QPUC est un exercice dans lequel les égos les plus démonstratifs prennent un coup. Dans nos domaines de prédilection, on a tendance à gonfler nos neurones, on se croit imbattable sur la Nouvelle Vague et le Tournoi des six nations, mais quand arrive le questionnaire sur les affluents du Rhône ou la mythologie grecque, on n’en mène pas large…
S’il y a une façon ludique d’apprécier ce programme, il y a également une autre manière plus sociologique, voire anthropologique d’examiner ce jeu ou plutôt ses candidats. En réalité, eux non plus n’ont pas tellement changé depuis 25 ans, ils représentent admirablement les classes moyennes de notre pays. Ces grands perdants du début du XXIème siècle. Fonctionnaires, retraités, professeurs en tous genres, ingénieurs, artisans, employés, militaires, assistantes de direction, le plateau de QPUC voit, chaque soir de la semaine, défiler cette France silencieuse des actifs et inactifs. La France qui fait le dos rond mais qui commence à trouver la note drôlement salée. Un phénomène est cependant apparu ces dernières années. Il n’est pas rare qu’un candidat quitte l’aventure après une seule victoire et empoche ses 500 euros. On aimerait que ce soit pour de « justes » raisons, le stress généré par le plateau, le sentiment d’avoir atteint ses limites ou le plaisir de dépenser cette somme dans un bon restaurant, parfois, on a le sentiment que c’est par nécessité. En 25 ans, les classes moyennes « cultivées » ont été emportées par la crise. Et là, il ne s’agit pas d’un jeu mais d’une réalité.
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