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La Pologne cherche une querelle inutile avec l’Allemagne


La Pologne cherche une querelle inutile avec l’Allemagne
Le président polonais, Andrzej Duda, s'adresse à la foule lors du 83e anniversaire du début de la guerre de 1939-1945, à Westerplatte, 1/9/22 SOPA Images/SIPA 01086151_000025

Lors de la dernière rencontre du « Davos polonais », le Forum économique de l’Europe de l’Est, les intervenants polonais ont tenté de justifier les sommes pharamineuses en réparations que leur gouvernement exige de la part de l’Allemagne. Mais cette politique risque de miner la tentative polonaise pour étendre son influence sur les pays voisins. L’analyse de Harold Hyman.


La Pologne est-elle en train de devenir la puissance régionale de l’Europe de l’Est, jusqu’ici considérée comme une chasse gardée allemande? Grâce à son poids démographique et militaire, ainsi qu’à son volontarisme face aux drames de l’Ukraine et du Belarus, la Pologne étend son influence en Hongrie, en Lituanie, en Slovaquie, au Belarus, et en Ukraine. Ce faisant, la Pologne est entre en conflit non seulement avec la Commission européenne mais aussi avec l’Allemagne, risquant ainsi de compromettre le rapprochement avec ses autres pays voisins.

Varsovie contre Berlin

Cette nouvelle approche polonaise était parfaitement visible au sommet économique et stratégique annuel, « The Economic Forum of Eastern Europe », qui vient de se dérouler début septembre à Karpacz dans les Carpathes polonaises. Depuis 31 ans, on s’y exprime sur une palette originale de sujets concernant le Centre et l’Est du continent. Les Bélarusses, Roumains, Hongrois, Tchèques, Slovaques et Baltes, y sont nombreux et y parlent souvent le polonais ! Les Russes que l’on voyait autrefois dans ce forum – chercheurs, littérateurs, entrepreneurs, administrateurs et cyber-spécialistes – plus ou moins tolérés par le régime poutinien, ont maintenant disparu à cause des difficultés de voyager, et il ne reste que des exilés russes pour donner un autre point de vue. Il y a aussi quelques Français, Britanniques, Italiens, Allemands et Américains, mais nous sommes loin de l’ambiance style Davos d’il y a six ans.

En effet, le parti polonais, Droit et Justice (PiS), au pouvoir depuis 2015, a décidé de diriger sa politique étrangère non seulement contre Moscou mais aussi contre Bruxelles et même plus spécifiquement contre Berlin, ce qu’aucun autre pays n’a tenté jusqu’à ce jour. Cette ambiance de défiance s’est insinuée dans le Forum, et l’orientation des 300 tables rondes l’a démontré. L’UE n’y était pas vue comme une force positive, à cause du contentieux sur la politisation de la justice polonaise. La Commission européenne avait suspendu les 35 milliards d’euros de fonds européens de relance destinés à la Pologne. Le gouvernement et le parlement ont fini par amender la loi scélérate, et les fonds pourront être versés, mais l’ambiance s’est assombrie entre Varsovie et Bruxelles.

Cela fait cinq ans que le PiS annonce sur la scène internationale que la Pologne exige des réparations de la part de l’État allemand. Aujourd’hui, le gouvernement polonais n’en démord pas. Cet été, il a publié un rapport officiel qui quantifie les crimes et destructions nazies en Pologne pendant le Deuxième Guerre mondiale. Se fondant sur ce bilan, le gouvernement a chiffré les réparations à 6000 milliards de zloty (1300 milliards d’euros) « à rembourser sur 30 ans ». Le chef du parti, Jaroslaw Kaczynski, s’en est expliqué dans une lettre ouverte publiée dans Le Figaro le 1er septembre. Sans justification explicite, l’ambassadeur de France à Varsovie a décommandé sa présence deux jours avant le début du Forum à Karpacz, ce qui n’a pas empêché les organisateurs de subodorer la désapprobation diplomatique.

Réparations? Mieux vaut tard que jamais !

À Karpacz, des partisans de ces réparations sont allés plus loin encore dans la justification des réparations. Lors d’une table ronde appelée de manière ingénue, « La Politique mémorielle polonaise sur la scène internationale », trois intervenants sur les cinq présents se sont lancés, à tour de rôle, dans un plaidoyer pour les réparations de la part de l’Allemagne. « Pourquoi ne pas exiger ces réparations, l’Allemagne a détruit et pillé notre pays ? » Ce que personne ne nie, évidemment. Mais d’où émerge cette urgence? Comme j’étais le seul journaliste venant d’un pays autre que les pays participants, j’ai pu poser des questions : « Pourquoi ne faire ces demandes que maintenant ? » « – Pourquoi pas? Il n’est jamais trop tard ! »  L’on m’a gratifié d’une série de parallèles cinglants : l’Allemagne a compensé les survivants de deux génocides, dont la Shoah (selon une recherche rapide, 80 milliards d’euros, toutes nationalités confondues), et celui commis par l’Allemagne impériale contre les Nama et les Herero en Namibie en 1901 (1,3 milliards de dollars). L’État polonais voudrait donc recevoir quelque chose à son tour. Les intervenants, pourfendeurs de l’esprit post-colonial, ont invoqué l’exemple des États-Unis qui ont indemnisé les Amérindiens, victimes d’un génocide, en leur accordant des licences juteuses de casino. Selon les intervenants polonais, le cas des Noirs américains était moins évident, car des Africains ont vendu d’autres Noirs, et les esclaves avaient la possibilité d’acheter leur liberté, ainsi que de belles maisons et même des esclaves. Les Polonais sous le nazisme ont vécu des horreurs incomparables à celles des Noirs. Dans une discussion avec moi, deux des tenants de ces idées ont fait preuve d’une fermeté courtoise, sûrs d’avoir mieux interprété l’histoire américaine que moi.

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Rappelons que, dès les années 70, la République fédérale d’Allemagne a versé des dédommagements pour des sévices et des tueries commises sur des non-Juifs polonais : à ce jour, le total de ces « compensations » dépasse les 8 milliards de dollars. Beaucoup moins que pour les trois millions de Juifs polonais. Or, derrière cette nouvelle demande de réparations se cache une manœuvre politique. Le gouvernement du PiS sait que réclamer des milliers de milliards en compensation dépasse toute possibilité d’issue diplomatique, vu le refus catégorique de Berlin. Une jeune Polonaise, étudiante en science politique, était dans la salle et me souffla la clé du mystère. En effet, le PiS serait en perte de vitesse électorale. L’inflation étant à 20% et les fonds européens tardant à être injectés dans l’économie, Jaroslaw Kaczynski, l’homme fort du régime, cherche à vendre au peuple une nouvelle manne, quand bien même elle serait imaginaire. Merci, Mademoiselle, pour cette explication fort logique. La Pologne pourrait faire peur à la Lituanie, à la Hongrie (avec qui les relations se dégradent rapidement sur la question ukrainienne) et à la Slovaquie. Ces pays ont été relativement épargnés par le Troisième Reich et ont de bonnes relations aussi bien avec l’Allemagne qu’avec la Commission européenne. Le gouvernement allemand ayant renoncé au gaz russe, ils sont tous confortés dans leur solidarité avec l’Ukraine, la Hongrie restant un cas à part. Ainsi, dans son approche nationaliste et conservatrice, la Pologne actuelle pourrait perdre ces alliés régionaux. Cette démarche du PiS sème la confusion au sein des Européens et même des Américains. Un nouveau choix cornélien pourrait se présenter aux États de l’Europe de l’Est : être du côté de l’Allemagne ou de la Pologne ? La sagesse aurait exigé que les Polonais évitent une telle impasse en pleine guerre contre Poutine en Ukraine.

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Harold Hyman est franco-américain, élevé à New York, ancien du « Lycée » français de New York, diplômé de Columbia University et l’Université de Montréal. Il s’installe définitivement à Paris en 1988. Journaliste à Reader’s Digest, puis RFI, Radio Classique, BFMTV, actuellement CNEWS. Il a couvert l’Extrême-Orient, les États-Unis et le Moyen-Orient. Auteur de Géopolitiquement correct & incorrect (éditions Tallandier, 2014) puis de États-Unis: Tribus américaines (éditions Nevicata).

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