Suffit-il d’être contre le RN pour le vaincre ? Il me semble que c’est une question qu’on a le droit de se poser.
L’obsession anti-RN du président de la République est indéniable et il s’est fixé pour objectif, paraît-il, d’empêcher l’arrivée de l’extrême droite au pouvoir en 2027. La gauche et la droite partageraient cette même crainte. Il ne suffit pas à l’évidence de tweets dénonciateurs, d’invocation d’un arc républicain, de « fachos » assénés systématiquement à tous ceux qui ne pensent pas comme eux, pour que le macronisme, la gauche et l’extrême gauche puissent espérer réduire l’influence du RN. D’autant plus que dans des pays comme l’Italie, la Suède (immigration passée de 2 à 20% en quelques années) ou les Pays-Bas, pour ne pas parler de l’Allemagne, des droites extrêmes, parfois même ouvertement d’inspiration néonazie, n’ont cessé de progresser, voire de s’imposer de manière fulgurante alors qu’on pensait ces pays voués à des démocraties traditionnelles.
Avancée générale des droites radicales
Pourquoi la réalité d’aujourd’hui, avec ses bouleversements, ses immenses et dramatiques mouvements d’émigration, la conscience renaissante d’identités nationales, l’augmentation constante de la délinquance et de la criminalité, les crises économiques et sociales, l’accroissement de la pauvreté et des inégalités, un monde de moins en moins sûr, crée-t-elle cette avancée, partout, des droites extrêmes ? Ou parfois le succès de personnalités qui dans leur style n’en sont pas éloignées ?
Faut-il considérer que la radicalité du réel, le fait qu’il soit de plus en plus manichéen, entre beaucoup de pire et un peu de meilleur, entraînent presque inéluctablement des changements politiques profonds, une méfiance quasi systématique à l’égard de ce qui a trop duré et qui a échoué ? La solution serait-elle d’opposer à la dureté de la réalité des projets et des programmes aussi durs qu’elle ? Comme si le juste milieu longtemps prisé comme étant l’expression de la raison en politique était devenu mortifère pour une société déboussolée ? Pourquoi cet univers en proie à mille tensions, déchiré, éclaté, parfois en guerre, craignant d’être à court d’énergie, ne fait-il le lit que des droites radicales et nullement des partis à l’autre bout de l’échiquier ? Ceux-ci ne parviennent pas à exploiter à leur bénéfice ce qui devrait les confirmer dans leur vision désastreuse du capitalisme. À la rigueur, il est facile de comprendre pourquoi LFI n’en profite pas : à cause de la sagesse des citoyens sachant qu’il y aurait avec ce parti péril accru en la demeure. Mais le parti communiste, pour lequel les aspirations populaires au travail – contre la France des « allocs » selon Fabien Roussel – et à la sécurité sont légitimes, ne tire pas profit de situations qui, par la révolte ou le découragement, auraient pu lui apporter du grain à moudre.
Non, contenir le RN n’est pas le combat essentiel !
En revanche, face aux politiques classiques de lutte contre le RN, j’avoue mon étonnement. D’abord elles peuvent être perçues comme des processus de détournement. Plutôt que de s’attaquer aux combats essentiels qui devraient mobiliser toutes les capacités d’action et d’intelligence d’un pouvoir, celui-ci, par la volonté si souvent exprimée de s’en prendre au RN comme s’il s’agissait de la finalité de toute ambition républicaine, dépense ses forces dans un combat parcellaire. Mais qui offre le grand mérite d’une bonne conscience et d’une approbation civique, parfaitement stériles toutefois.
Alors que l’obsession anti-RN du président aurait pu se trouver un remède efficace. Mener sur tous les plans une politique extérieure et nationale dans ses registres variés, suffisamment vertueuse et efficace pour faire revenir les électeurs du RN vers Renaissance. On a vu qu’il a fallu attendre le second mandat pour qu’avec une frénésie destinée à rattraper le temps perdu, on mette au moins verbalement les bouchées doubles en matière régalienne.
Plus généralement, si la droite extrême ne cesse pas d’augmenter son influence avec les conséquences parlementaires qu’on connaît, ne serait-il pas sain, de la part de ce président et de cette majorité relative, d’accepter de se mettre en cause ?
Si la droite radicale progresse, cela ne tient-il pas à la tiédeur de pratiques qui effleurent un réel déplorable sans l’éradiquer, qui touchent du bout de l’action ce qu’il faudrait transformer et laissent dépérir des institutions et des services publics en prétendant les sauver ?
Le premier responsable de l’angoisse dont on nous dit qu’elle étreint le président est donc d’abord lui-même. Pour interdire la victoire du RN en 2027, pas d’autre solution que d’enlever à ce parti une France qui aujourd’hui sert trop ses intérêts et sa stratégie. Le réel est de plus en plus l’allié du RN et le pouvoir n’accomplit rien de décisif contre lui. Donc la conclusion est simple. Après une réélection sans éclat, Emmanuel Macron est-il vraiment décidé à prendre au sérieux ses propres craintes en les sortant du vœu pieux avant 2027 ?