Puisqu’une Palme d’or ne fait pas forcément le printemps des amoureux du cinéma, on se consolera très largement avec la réédition en salle de raretés réalisées par Douglas Sirk.
Beau mélos
Douglas Sirk, les mélodrames allemands
Sortie le 7 septembre
On connaît en général la série baroque et flamboyante que Douglas Sirk, surnommé « le prince du mélodrame », signa chez Universal, aux États-Unis, dans les années 1950 : Le Secret magnifique, Écrit sur du vent, La Ronde de l’aube, Mirage de la vie. Le cinéaste y décrit avec brio une société décadente, alcoolisée à l’extrême, fascinée par la vitesse autant que par la mort, hantée par des personnages verrouillés de l’intérieur et profondément solitaires. Or, ces incontestables chefs-d’œuvre masquent un peu trop les autres périodes d’une filmographie tout à la fois cohérente et éclectique. On ne peut que se réjouir alors de la réédition en salle et en version superbement restaurée des sept premiers longs métrages de celui qui s’appelait alors Detlef Sierck : April ! April !, La Fille des marais, Les Piliers de la société, La Neuvième Symphonie, Du même titre, Paramatta, bagne de femmes et La Habanera.
De 1935 à 1937, le cinéaste, dont l’épouse est juive, fait donc ses premières gammes dans l’Allemagne nazie, tout en étant privé de passeport. En décembre 1937, il quitte définitivement son pays natal pour rejoindre la France, puis entamer une carrière américaine de premier plan. Cette première production allemande, produite par la puissante UFA, n’est en rien anecdotique. Trois de ces films reflètent par exemple la fascination exercée dès l’enfance par les États-Unis, qui raconta bien plus tard comment il avait vu à Hambourg un film sur la vie de Christophe Colomb qui l’avait profondément marqué. De fait, les protagonistes de La Neuvième Symphonie (1936), Paramatta (1937) et La Habanera (1937) ont quitté l’Europe pour un « monde nouveau ». Le titre original de Paramatta, bagne de femmes étant d’ailleurs Zu Neuen Ufern que l’on peut traduire par un explicite « Vers de nouveaux rivages ». Même si les circonstances de ces « exils » sont fort différentes, voire même contradictoires d’un film à l’autre, il n’empêche que le choix par Sirk d’une telle thématique ne doit rien au hasard. Et dans cette veine singulière, c’est peut-être La Neuvième Symphonie qui rafle la mise avec une incroyable histoire digne d’un cas freudien : un enfant de milieu modeste s’invente une vie de privilégié avec un père de haute naissance. Sirk multiplie avec brio des variations sur l’abandon, le sentiment maternel, le lien filial dans un véritable « roman familial » d’autant plus séduisant qu’il repose sur des séquences musicales d’une très grande qualité. Tout l’art de Sirk est déjà contenu dans ce qui n’est alors que son quatrième film : narration et montage complexes littéralement effacés par une incroyable fluidité de réalisation, recours aux flash-back, importance de la musique, entre autres.
Sur un mode mineur mais très réjouissant, April ! April !, le premier long métrage réalisé par Sirk, en 1935, préfigure un autre versant de son cinéma, celui de la comédie à la Lubitsch qu’il illustrera au début des années 1950 à Hollywood avec notamment Qui a donc vu ma belle ? On est sous le charme de cette comédie menée tambour battant et qui se moque des prétentions culturelles et sociales d’un fabricant de nouilles, à la façon du Bourgeois gentilhomme. Tout comme Les Piliers de la société, adapté d’Ibsen, Du même titre est tiré d’une pièce de théâtre de Paul Verhoeven et Toni Impekoven. Certes, Douglas Sirk lui-même définit ce film comme une « pâtisserie viennoise ». On peut trouver ce jugement assez injuste. Le film déploie assurément ses allures de superproduction avec costumes et décors surabondants. Mais, au bout du compte, le charme opère et, dans les ruptures de ton notamment, on songe inévitablement au charme fou des films de Max Ophüls, ce qui n’est pas peu dire. À propos de ce même film, il convient en outre de noter que sous le titre La Chanson du souvenir, il en existe une version française également signée par Sirk et supervisée par Serge de Poligny, avec des dialogues français écrits par Georges Neveux. Cette pratique du « double film » était assez courante à l’époque, entre la France et l’Allemagne notamment, mais fut assez rapidement abandonnée pour des raisons économiques.
Il faut assurément découvrir ou redécouvrir en salles ces sept merveilles de Sirk.
Sombre Histoire
Babi Yar. Contexte, de Sergei Loznitsa
Sortie le 14 septembre
C’est un terrible projet aux ramifications à la fois fictionnelles et documentaires auquel s’est attelé le cinéaste ukrainien Sergei Loznitsa : raconter le massacre de 33 771 juifs dans le ravin de Babi Yar, situé au nord-ouest de Kiev, qui eut lieu les 29 et 30 septembre 1941. Dans ce volet documentaire, il revient en détail sur le contexte historique de cette tragédie à travers des images d’archives allemandes, mais également d’autres sources datant de la décennie suivante.
Même si, bien évidemment, cette extermination n’a été ni filmée ni photographiée. Durant deux heures, sans carte, sans flash-back, sans voix off, Loznitsa s’exprime à travers son montage et la sonorisation a posteriori d’images fixes ou filmées, restaurées pour la plupart. Seuls quelques cartons jalonnent le film et donnent des repères chronologiques assortis de quelques mentions, comme ce carton initial qui mentionne la participation de la police ukrainienne en auxiliaire des troupes allemandes et la passivité de la population ukrainienne.
Navrant navet
Sans filtre, de Ruben Östlund
Sortie le 28 septembre
N’allez surtout pas dire au cinéaste suédois Ruben Östlund que sa pensée politique n’a aucun intérêt, il se prend pour une réincarnation de Marx (Karl, même pas Groucho). Récemment palmé par le plus grand festival de cinéma convenu du monde, son Sans filtre se voudrait en effet un sulfureux pamphlet sur notre société. Prenant d’abord pour cible des très-riches réunis sur un bateau de luxe, Östlund fait dans la dentelle en exprimant son dégoût pour cette classe sociale à travers l’explosion de leurs W.-C.
Ça déborde littéralement sous nos yeux durant de très longues minutes, comme si le cinéaste n’avait jamais quitté le stade anal. Mais le bas peuple est lui aussi renvoyé dans ses cordes quand il lui prend l’envie de renverser la table des riches et s’avère tout aussi despotique et vulgaire. Que reste-t-il alors ? Östlund lui-même, pardi, qui n’est ni dans un camp ni dans l’autre, membre d’une bourgeoisie suffisante et donneuse de leçons dont la capitale mondiale semble désormais se trouver au Palais des festivals de Cannes…