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Quel avenir pour l’ancien colonel Philippe François?

La demande de transfèrement est-elle vraiment la meilleure option pour notre compatriote emprisonné à Madagascar?


Quel avenir pour l’ancien colonel Philippe François?
Le président de Madagascar Andry Rajoelina en visite à Paris, 29 août 2022 © Jacques Witt/SIPA

Vendredi 26 août, à Madagascar, la sentence est tombée. La Cour de cassation ne reviendra pas sur la décision du Tribunal d’Antananarivo, prononcée huit mois plus tôt. Accusé d’avoir fomenté un coup d’État à l’encontre du président malgache, l’ancien colonel français Philippe François reste condamné à dix ans de bagne. Inquiète sur son état de santé et sur sa sécurité, sa famille a fait une demande de transfèrement dans une prison française. Est-ce vraiment la meilleure option ?


Détenu arbitrairement dans un sous-sol camerounais pendant dix-sept ans, le Français Michel Atangana a bondi quand il a appris la nouvelle de la demande de transfèrement. « Juridiquement, le transfèrement suppose de reconnaître la culpabilité de Philippe François, à laquelle je ne crois pas du tout. Comme il est innocent, il doit se battre pour être innocenté, pas pour venir dans une prison française. Pire, en agissant ainsi, ça donne du crédit au jugement d’Antananarivo, ce qui est absolument contre-productif », lâche-t-il à Causeur.

 « Le pourvoi en cassation a été rejeté, il n’y a même pas eu d’examen car la Cour a estimé qu’il n’y avait pas de raison sérieuse pour examiner le dossier »,  nous indique Étienne de Villepin, avocat français du condamné. Que contient-il, ce dossier ? Un mystérieux complot d’assassinat d’Andy Rajoelina, le président malgache, et baptisé « projet Apollo 21 ». Les éléments supposés en témoigner sont des courriels échangés avec le Franco-malgache Paul Maillot, alors conseiller de l’archevêque d’Antanavarino, ainsi qu’une clé USB.

Blague de bistrot

Il y a un peu plus d’un an, alors qu’il s’apprête à rentrer en France, Philippe François est arrêté à l’aéroport d’Antananarivo avec sa compagne. Ses affaires n’allant pas au mieux sur l’île, le retour était prévu depuis des mois, assure sa défense. Un travail chez un de ses anciens employeurs l’attendait d’ailleurs à Roissy. Une perquisition sans mandat a alors eu lieu chez lui et chez Paul Maillot. Selon les autorités, elle a permis de saisir « deux véhicules Nissan » et… « un fusil à pompe ».

Le colonel d’infanterie de marine, Philippe François © D.R.

Vous échafaudez un scénario de film de mercenaires armés d’un fusil à pompe ? « Le profil de quelqu’un qui fait un coup d’État, ce n’est pas une personne qui vit depuis deux ans dans un pays avec sa compagne et ses meubles. Les mercenaires qui font des coups d’État, ce sont des sous-officiers mais ce ne sont jamais des officiers supérieurs comme Philippe François », balaye Étienne de Villepin. « Matériellement, on n’a aucun élément préparatoire à un quelconque projet d’assassinat, aucun financement, aucun projet pour faire venir des armes, des éventuels hommes de main de Mayotte, de La Réunion ou d’Afrique du Sud, par exemple, rien. C’est donc bien un procès politique », continue l’avocat. Pourtant, « la compagne de l’accusé a entendu Philippe François dire qu’il suffit de 50 commandos pour faire tomber un État », mentionne le verdict final du Tribunal, de la taille d’une demi-page A4. « Dans ses interrogatoires, le juge d’instruction a dit lui-même que la phrase sur les 50 commandos était une discussion de bistrot », répond Étienne de Villepin.

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Une blague de bistrot ? Selon une source ayant régulièrement dîné avec Philippe François sur l’île, il arrivait effectivement qu’autour d’une bonne table, des petites phrases comme celle-ci soient lancées entre le militaire, Paul Maillot et d’autres habitués de l’ambassade de France. La compagne de Philippe François a fait sa confidence aux autorités après l’arrestation du couple à l’aéroport d’Antananarivo. Contrairement à son conjoint, elle a été acquittée. Reste à savoir pourquoi le couple a été arrêté. 

« S’il reste encore un an comme ça, il va mourir »

Reconverti en entrepreneur après sa carrière dans l’armée, Philippe François était aussi bénévole dans un orphelinat. Surtout il venait de lancer, en compagnie de Paul Maillot, Tsara First, une société visant à « œuvrer au développement de Madagascar ». Lors de son lancement, la société n’a pas manqué de rappeler que Madagascar était « le 4ème pays le plus pauvre du monde ». De plus, elle n’a pas caché son ambition de « lutter contre la corruption » et aussi, de développer la légalisation de l’orpaillage, un milieu qui reste une chasse gardée dans le pays. Est-ce cela qui aurait été fatal aux deux associés ?

Quoi qu’il en soit, Philippe François est détenu dans la Maison de Force de Tsiafahy, à trente kilomètres d’Antananarivo, depuis plus d’un an. Il dort à côté d’une bouche d’égouts, fait sa toilette dans un bac d’eau froide, et ses besoins dans un seau vidé une fois par jour le soir. Filmé 24H/24, il cohabite aussi avec des rats, des cafards et des bandits, dont un détenu ayant tué une trentaine de personnes à l’extérieur, et qui purge sa peine dans le même secteur que lui.

« Comme tout se paye, nous lui faisons parvenir à manger et de l’argent, sinon il n’aurait droit qu’à un verre de riz par jour », explique sa fille Constance Wagner François. « Mais comme ça se sait, il se fait régulièrement racketter ses courses par d’autres détenus, et doit payer les gardiens s’il veut prendre l’air de sa cellule de six mètres carrés ou faire cuire la viande qu’on lui fait parvenir, par exemple ». Depuis qu’il est incarcéré, l’homme a perdu 25 kg. En mai dernier, sa famille a donc demandé au quai d’Orsay un bilan de santé. Jusqu’à présent, la demande reste lettre morte. « Il doit assurer lui-même sa sécurité en payant d’autres détenus, il n’est jamais serein, il est toujours sur ses gardes. S’il reste encore un an comme ça, il va mourir », prévient Constance Wagner François.

Paul Maillot le grand oublié ?

Moins médiatisé, le sort du Franco-malgache Paul Maillot n’est pas plus enviable. Condamné à 20 ans de bagne dans la même prison, il est confiné dans une cellule sans fenêtre de 2m sur 4. Comme Philippe François, sa cellule est filmée 24h/24 et il est contraint d’y faire ses besoins. Outre le caractère humiliant de ses conditions de détention, son état de santé inquiète vivement sa famille. « Mon père est détenu dans des conditions dégradantes alors qu’il est innocent. Au même titre que Philippe François, il est la victime d’une machination ourdie par la mafia malgache, dans un Etat de non-droit totalement failli » affirme Elise Maillot, sa fille.

Combien de temps les deux hommes vont-ils tenir ? Pour sa part, Philippe François a trouvé un moyen de survivre : écrire un journal de bord, peu commun, à la troisième personne, dont voici un extrait :

« La journée, c’est six heures de lecture au moins. Une nourriture pour l’esprit, et la seule évasion possible. La prison réapprend les priorités dans une optique de survie intellectuelle, morale et physique. Continuer plus que jamais pour rester fort. D’abord, être propre ; il vient de faire plus de lessives en deux mois que durant toute sa vie. Douche à l’eau froide à partir d’un seau. Souvenirs de Bosnie, sur son poste à Brezovika, avec sa section, quand il avait sa section d’acier derrière lui. Là il est seul, mais fort ».

La demande de transfèrement, bonne ou mauvaise idée ?

Pendant ce temps-là, les familles des deux détenus ont demandé leur transfèrement en France. « L’extradition concerne des faits qui ne sont pas encore jugés dans le pays. Maintenant que le jugement malgache est définitif, il n’est plus possible de le contester, juridiquement parlant. Cependant, il y a une convention entre la France et Madagascar pour ce qu’on appelle le transfèrement », nous indique Étienne de Villepin.

L’avocat de Philippe François a déjà pris les devants, il a fait la demande auprès du Bureau d’entraide pénale et internationale, qui dépend du ministère de la Justice français. « Il faut attendre toute la durée de la constitution du dossier administratif en France puis l’envoi aux autorités de la Justice malgache. Ensuite, celles-ci sont libres de traiter le dossier quand elles décident que c’est nécessaire. Dans les accords, il n’y a pas de délai », nous précise-t-il.

Compte tenu de la lenteur de notre administration, il a bien fait de s’y prendre tôt mais concrètement, qu’est-ce que cela signifie ? « Le transfèrement, c’est uniquement pour que le condamné purge sa peine dans son pays d’origine. Philippe François serait donc accueilli par les autorités à l’aéroport et transféré dans une prison ici. Après, des aménagements de peine sont possibles, il pourrait donc se retrouver avec un bracelet électronique ». Ou se défouler lors d’un « Kohlantess » à Fresnes ? Reste à savoir s’il pourrait être légalement innocenté chez nous. « Non », affirme catégoriquement l’avocat.

« Tant qu’il ne sera pas innocenté, il ne récupérera pas sa dignité »

« Le transfèrement est une mauvaise option car tant qu’il ne sera pas innocenté, il ne récupérera pas sa dignité »,estime pour sa part Michel Atangana. « Je sais de quoi je parle, je me suis battu pendant près dix ans pour être innocenté après ma libération, et croyez-moi, il n’y a rien de plus important que de récupérer sa dignité. Regardez le cas de Florence Cassez. On a fait un battage médiatique pour la sortir mais aujourd’hui, elle n’arrive toujours pas à se reconstruire, elle vient de dire elle-même qu’elle n’était jamais en paix, qu’elle avait toujours la trouille ». En 2013, Florence Cassez avait été libérée par la Cour suprême mexicaine en raison de vices de procédure mais elle n’a jamais été innocentée par la justice mexicaine.

L’urgence étant de tirer le militaire et Paul Maillot de là, toutefois, quelle serait la solution, selon Atangana ? « Déjà, constituer un soutien avec des maires de France. Un comité de soutien présidé par Jean-Christophe Ruffin c’est bien mais ça ne suffit pas, idem pour les pétitions. Quand le président Macron aura 200 maires derrière lui qui plaident pour l’innocence de Philippe François, le président malgache verra que le président Macron n’est pas seul. Le transférer dans une prison française, est-ce cela qui va lui rendre sa dignité ? Personnellement, je ne le pense pas du tout. Trois ans avant ma libération, on m’avait proposé le transfèrement, je l’ai refusé ».

Ancien disc-jockey, le président Andry Rajoelina est au pouvoir depuis trois ans. S’il se présente volontiers comme nationaliste et panafricaniste, il a choisi de faire scolariser ses enfants à Lausanne, en Suisse. Lundi 29 août, il a été reçu par Emmanuel Macron à l’Élysée (notre photo). Comment ont-ils évoqué le cas de Philippe François ? L’Élysée est resté muet à ce sujet. En avril, les autorités malgaches ont indigné l’Occident pour avoir conclu un accord militaire, trois mois plus tôt, avec la Russie, une information révélée par le média russe Sputnik. Le ministre de la Défense malgache a alors invoqué une relation vieille « de cinquante ans ». Il ne va quand même pas falloir soudoyer des mercenaires Wagner pour sauver le soldat Philippe, si ? Quelques bataillons seraient en tout cas présents sur l’île rouge.



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Enseignant, auteur du roman "Grossophobie" (Éditions Ovadia, 2022).

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