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Les revoir et se souvenir

Le couple Fanny Ardant / Gérard Depardieu à retrouver au cinéma


Les revoir et se souvenir
Fanny Ardant dans "Les Volets verts" (2022) de Jean Becker © ARP

Il est encore temps de voir le couple Depardieu/Ardant dans « Les Volets verts » de Jean Becker au cinéma juste pour la beauté du geste


Avec ces deux-là, nous irions n’importe où. À Châteauroux, en char à voile ou en Intercités, à la nage ou en pédalo. Avec eux, le transport amoureux s’effectue toujours en première classe.

Entre le chef-d’œuvre et le nanar, la pellicule est souvent mince…

Pourtant, nous freinions des quatre fers avant d’entrer dans ce cinéma Arlequin de la rue de Rennes. L’affiche passablement décolorée ne nous emballait pas vraiment, la fin août n’est guère propice à l’enthousiasme visuel. Et puis la rentrée de septembre est si laide avec toutes ses injonctions énergétiques et ses rues éventrées. Dans la capitale, le bruit des travaux, d’une régularité à faire pâlir les horaires de la SNCF, ne souffrant d’aucun retard, d’aucun répit, d’aucune compassion, nous contraignit à nous réfugier dans cette salle climatisée et calfeutrée. Seul moyen d’échapper à l’excavation permanente et à la chaleur poisseuse. Pour voir quoi ? Du théâtre filmé, forcément poussif, à prétention didactique, une de ces vieilleries produites à la va-vite avec deux têtes d’affiche destinée à un public à forte majorité enseignante, un scénario bouclé par feu Dabadie et une énième adaptation de Simenon, avec un décor de brasserie molletonnée pour faire clin d’œil, une Mercedes dite Heckflosse dans un Paris reconstitué à l’économie circulant sur un filet de gaz pour faire rupin, en somme, une forme de pantouflage bourgeois qui peut virer à la catastrophe. Entre le chef-d’œuvre et le nanar, la pellicule est souvent mince.

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Tout me poussait donc à rester chez moi et à descendre cette liqueur de myrte ramenée de Balagne en ne pensant à rien, la meilleure manière de ne pas être déçu par une morne existence. Sauf que revoir ce couple-là n’est jamais une opération bénigne. On croit sortir indemne. On est trop malin pour se faire piéger. Pas moi. Pas nous. On connaît tous leurs trucs, respiration fatiguée d’un côté qui donne du poids à sa parole et cette voix tentatrice si souvent entendue et malgré tout, emplie de mystères, de l’autre. Ce serait si simple de croire à leur caricature pour mieux se protéger de leur incandescence. Car, avec eux, on se brûle l’esprit. On entre dans une salle, fringant et détaché, presque blasé, comme si nous pouvions être imperméables à leur duo. Innocents et prétentieux que nous sommes.

Ces deux-là n’ont pas d’équivalent dans le cinéma français

Dans quelques minutes, nous allons être terrassés par leur jeu souple et intense, fragile et aérien, juste et direct, sans ornementation, sans graisse, sans glaise artistique, sans instrumentalisation, sans tous les effets néfastes appris dans les cours de comédie. Á l’épure. Au talent. Sans gants. Sans précaution. Gérard Depardieu et Fanny Ardant vont opérer à cœur ouvert. Ils ne pratiquent pas une chirurgie déambulatoire. Vous ressortirez effectivement au bout de deux heures, mais les séquelles dureront longtemps, votre mémoire travaillera sur les boulevards, elle moulinera, elle se souviendra d’une jeunesse en fuite et la mélancolie, ce noble sentiment, vous étreindra à un carrefour devant une foule ignorante et stupéfaite. Leur radicalité jouissive, d’une élégance d’argile, vous cueillera en plein milieu de l’après-midi.

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Vous aurez les larmes aux yeux. Un peu K.O, un peu désemparé, un peu agacé aussi d’être aussi secoué par ce « petit » film, un de plus dans leur longue filmographie et aussi « un peu menteur » comme le chantait Christophe. Tant pis ou tant mieux. Le souffle court et les souvenirs en vrac, vous tenterez d’avancer. Ces deux-là auront mis la pagaille dans votre tête.

Mais vous serez heureux de les avoir revus parce qu’ils donnent une attraction rieuse, une complicité écorchée, une intelligence sacrée aux choses de l’amour. Les écrivains sont désarmés devant tant de simplicité, jamais ils ne réussiront à retranscrire cette fusion-là sur la page blanche. Elle est probablement trop puissante pour être figée dans l’écrit. Vous aurez envie de dire aux autres, à vos amis ou aux inconnus que ces deux acteurs-là n’ont pas d’équivalent dans le cinéma français. Qu’à l’évidence, ils surclassent la concurrence, qu’ils mettent en mouvement et en musique l’insoutenable douleur d’un amour suspendu. Lui, tassé, ogre repu et triste, capable d’éclats majestueux, et elle, le charme inaltérable, le regard enflammé et ce sourire, large et dévorant, happant la vie comme une messagère antique.

« Les Volets verts » de Jean Becker, dans les salles actuellement.



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Journaliste et écrivain. À paraître : "Tendre est la province", Éditions Equateurs, 2024

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