La sincérité du ministre de l’Intérieur ne fait aucun doute: il songe à l’avenir – celui de la France et le sien ! Après Macron, peut-il s’imposer à droite dans un jeu de rôle fourbu ? Oui ou non ? Le tout est d’être prêt – prêt à tout ?…
Son ambition ne se limite pas à défendre l’honneur de la police nationale…
C’est un petit coq tricolore, cambré et prêt au combat, et qui se démène du haut de son perchoir en agitant sa crête faute de savoir voler – s’il suscite l’ire des bécasses genrées et des oies néoféministes [1], il a aussi l’art d’endormir les poules effarées par la canaille islamiste, les faux imams et les dealers d’origine tchétchène. À moins que ce ne soit qu’une parade, un leurre : on le verrait tout autant dans le rôle du renard repartant du poulailler les plumes à la gueule tout en respectant la liberté des cultes et la vitesse autorisée en ville.
Car il est prudent. Sous son allure de premier communiant, Darmanin se décèle quand il sourit à un contradicteur d’un œil froid et du coin des lèvres. Peut-il s’imposer comme un recours à droite dans un jeu de rôles fourbu ? C’est une question qu’il se posait déjà en 2013 quand il fonda le club des cadets-Bourbons, avec deux compères, Damien Abad et Julien Aubert, aujourd’hui sortis du jeu.
Au moins sur un point, sa sincérité ne fait aucun doute : il songe à l’avenir – celui de la France et le sien. Y pense-t-il le matin en se rasant ?… Et si tout ça n’était qu’un prélude ? N’a-t-on pas le devoir de s’élever ? N’est-il pas urgent d’agir ? « Et si ce n’est pas aujourd’hui, ce sera demain… », quoi, vous n’avez pas lu Hamlet ? « Le tout est d’être prêt » – prêt à tout ?
Rien ne presse, si ?… Vous êtes drôle, il aura bientôt 40 ans. À 30 ans, Napoléon était déjà Premier consul avant d’être proclamé empereur cinq ans plus tard. L’ancien maire de Tourcoing a-t-il la main ? Pas tout à fait, pas encore. Il a quitté Bercy. Il avait une situation, il a acquis une audience. Une émeute, un train qui déraille, un prof qu’on égorge, vite un micro ! Il ne va pas rester planqué à Beauvau quand la France pleure ou quand la forêt brûle. Le régalien, ça excite.
Aussi se met-il le feu aux joues en saluant la vaillance de « nos pompiers » quand le pays crame. Entre le Tour de France et la météo des plages, on n’a vu que lui cet été, bravant les frayeurs et les fumées, tandis que ses petits camarades du gouvernement faisaient du pédalo en suçant des glaces.
Un gard du Nord
Qu’on l’aime ou pas, Darmanin, c’est déjà un accent, une présence, un style – plus dédaigneux que charitable. Pas mou, jamais tiède. Peu enclin à transiger. Prompt à mordre si on l’attaque. Quand on siffle La Marseillaise, il voit rouge – expliquez-moi, cher ami, pourquoi y a-t-il tant de Corses et d’Arabes dans la foule ?… Visitant l’île de Beauté, il refuse de s’émouvoir devant les cris de la populace. En France, depuis le Front populaire, on juge un homme d’État à son aptitude à essuyer les crachats – Léon Blum était souverain dans cet exercice.
Lui, les conflits mémoriels et le fromage de chèvre, le séparatisme et le stufatu de sanglier, ça le soûle – il préfère la dialectique au dialectal. Soit, mais pour une fois ne s’est-il pas montré trop conciliateur avec ces insurgés d’opérette mais qui conchient la République et sont capables de tirer à balles réelles ?
C’est un gars du Nord, un Ch’ti. Quand il commande des frites, il lui faut un œuf dessus avec de la mayo ! Il lui reste à trouver sa place. À l’ombre du grand manitou blond dont il est devenu le Baron noir – n’en déplaise à Élisabeth Borne qui voulait sa peau après le fiasco du Stade de France. Le plus loin possible d’Édouard Philippe, qui a déjà pris date, et de Bruno Le Maire, un techno, son rival, ou de Dupond-Moretti, un sentimental, son opposé.
Car Darmanin n’inquiète pas qu’à gauche. « Méfie-toi des hommes de petite taille : ils sont butés et arrogants », disait Mazarin pour se venger du cardinal de Retz. Il mesure 1 m 72 – cinq centimètres de plus que Sarkozy ? –, cela devrait rassurer. Toujours tiré à quatre épingles, il est ennemi du débraillé. On le dit méfiant, jaloux, susceptible, avec le goût de l’aventure mais détestant les surprises. Fils de cafetier, petit-fils d’un tirailleur algérien du côté de sa mère, Gérald Moussa Darmanin n’est-il pas un modèle d’intégration républicaine ? Pour beaucoup, au-delà de son penchant pour l’autorité, il demeure opaque.
Sarkozy agaçait avec son agilité, sa faculté de toucher à tout et de ne s’appliquer à rien, sa manie d’avouer de petites choses pour en cacher de grandes. Qu’il ait vu dans le « petit Darmanin » un héritier, que celui-ci ait été son porte-parole (en septembre 2014), puis le directeur de campagne de Xavier Bertrand (aux élections régionales de 2015), ce n’est qu’un faible indice mais cela nous renseigne sur ses aptitudes.
À l’évidence, il a le goût du pouvoir ; il aime ce ressort, cet éperon, ce fouet ; et il ressent depuis longtemps ce vouloir, cette force qui l’accroît, et qui prend, et qui donne, et qui engage, et qui abandonne, et qui promet, et qui trahit – la politique !
Il adore de Gaulle, il eût été UNR – et sous un chêne il se sent druide. Tour à tour membre du RPR, de l’UMP, de LR, puis de LaREM aujourd’hui, Darmanin navigue à l’estime, à l’instinct, où le vent le pousse. A-t-il noué un pacte secret avec Macron – après l’avoir accusé hier de « bobo-populisme » [2] ? Faut-il s’en indigner ? Tout est, hélas, provisoire, fluctuant, révocable, vous ne le saviez pas ?… Il reste que, pour ses anciens amis, Darmanin est un avatar de Ganelon : un renégat. Ils ne lui ont pas pardonné d’avoir quitté le navire LR en perdition.
Pour l’heure, avec une petite idée du lendemain, il lui suffit de se montrer actif et jovial, si possible avec une note de féerie – cette combustion de peuple et d’âme, cette aura, ce charme que de Gaulle avait perdu en mai 1968 et qui a déserté Macron, pourtant si habile. Président Darmanin ? Chut !, il est encore trop tôt, mais un jour il faudra bien trouver quelqu’un pour faire le job.
[1] À ce jour, toutes les plaintes déposées contre Gérald Darmanin, que ce soit pour « viol », « harcèlement », « abus de confiance » ou « abus de faiblesse », ont été classées sans suite. On l’accuse aussi de cumuler ses indemnités d’élu, mais ça !…
[2] Dans un article de L’Opinion, 25 janvier 2017.