Le commun des mortels (et des journalistes) voit dans la rentrée scolaire un baptême du feu pour Pap Ndiaye, et une crise du recrutement sans précédent. C’était sans compter l’enthousiasme de notre président, qui préfère voir dans l’année scolaire à venir celle… d’une « révolution copernicienne » ! La planète Éducation étant sous-peuplée (ou mal-peuplée ?), on veut bien croire qu’elle devra tourner différemment.
Ne voulant manquer l’embarquement pour pareille révolution, revenons donc sur le discours d’Emmanuel Macron aux recteurs, lors de leur réunion en Sorbonne du 25 août, et sur la conférence de presse de Pap Ndiaye, approfondissant le propos dès le lendemain, en présentant les trois priorités de son ministère (« excellence », « égalité des chances » et « bien-être des élèves »), ainsi que diverses mesures dont l’augmentation de l’allocation de rentrée, mesure qui pousse les élèves à l’excellence s’il en est.
Pourquoi il est « très intelligent de prendre des contractuels », mais pas trop quand même
En moins d’une heure de parole chacun, et à quelques mois du changement de locataire de la rue de Grenelle, il est frappant de constater que les discours des deux hommes d’État ne convergent pas. Le président, en fervent libéral, soutient qu’il est « très intelligent de prendre des contractuels », et que les difficultés de recrutement de cette rentrée ne sont « ni nouvelles » ni « supérieures » à celles des rentrées précédentes, quand son ministre admettait un recul considérable du nombre de candidats aux concours de l’enseignement dès son audition à l’Assemblée nationale, le 2 août. Certains concours, faute de candidats et donc de marge de sélection, se voient transformés en examens, comme le Capes de mathématiques, dont la barre d’admission était de 8/20 en 2019, de quoi faire rêver les bacheliers…
La récente conférence de presse du ministre était donc le moment opportun pour admettre l’ampleur des problématiques de recrutement, qui appellent un « choc d’attractivité », formule lourde de sens dans la bouche d’un fonctionnaire dont le style technocratique est habituellement celui de la retenue. En effet, la proportion de contractuels annoncée (presque 10% dans le secondaire) est considérable si l’on note par exemple que les collégiens suivent des cours répartis en dix matières au moins : cela revient à dire qu’au moins un enseignant pour chaque classe n’aura pas suivi de formation préalable, n’aura pas forcément de diplôme universitaire dans la matière enseignée et aura potentiellement échoué à un concours de recrutement dont la difficulté est pourtant toute relative. Et si le ministre propose un « concours exceptionnel » de titularisation des vacataires, c’est bien la faiblesse du niveau des candidats qui semble devoir faire exception.
La conférence était aussi l’occasion pour le ministre de récuser la formule des « job datings », ce dont on ne peut que se réjouir, le « job » étant pour l’Académie française un « petit emploi occasionnel, de faible rémunération », ce qui en dit long sur la considération des rectorats ayant repris la formule pour les enseignants dont ils sont chargés. À cet égard, notons l’insistance du président à l’égard des recteurs, quand il les invitait à accorder un « droit à l’erreur » aux directeurs et professeurs, appelant de ses vœux l’instauration d’un « processus de confiance » entre les rectorats et les enseignants. L’« innovation pédagogique » étant confiée à ces derniers, ainsi qu’aux directeurs, l’on peut se demander s’il n’y a pas là les prémices d’une remise en cause d’un système par lequel les enseignants se voient subordonnées à un corps administratif de bureaucrates n’ayant pour la plupart jamais enseigné ni au premier ni au second degré, comme c’est le cas de Jean-Michel Blanquer, dont la carrière dans l’enseignement se limite à quelques années d’enseignement dans le supérieur, et de Pap Ndiaye, dans une moindre mesure. Imaginerait-on un général d’armée n’ayant jamais porté l’uniforme ?
Une « hausse historique » du budget de l’éducation, qui profitera surtout… au ministère du Travail !
À en croire Emmanuel Macron, la hausse des salaires est un sujet déjà abordé « plein de fois », et dont l’efficacité serait toute relative. Notons tout de même que c’est de la bouche du ministre de l’Éducation de son premier quinquennat qu’avait retenti la promesse d’une « revalorisation historique », laquelle devait être l’occasion d’attribuer une enveloppe de 700 millions d’euros, puis seulement 500, aux salaires des professeurs, auquel il avait finalement fallu ajouter les autres personnels du ministère, fractionnant encore un peu plus la répartition du montant dont l’annonce a fait plus grand bruit que la répartition. Si l’enveloppe avait été répartie également sur l’année 2021, la « revalorisation historique » se serait élevée à environ 10€ par mois et par tête. Autrement dit, pas de quoi fêter l’événement « historique » en sabrant le champagne aux frais du ministère avant quelques trimestres de scrupuleuses économies.
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Quant aux récentes annonces relayées par Gabriel Attal, il est consternant de noter que la hausse des crédits « de l’Éducation, du Travail et des Solidarités » (prévue à 11,4 milliards d’euros pour 2023), habilement présentés comme un ensemble dont l’éducation serait le pilier, concerne avant tout… le travail et l’emploi (6,7 milliards). L’enseignement se voit donc allouer 3,6 milliards, contre trois milliards pour la Défense. L’on comprend néanmoins le rapprochement entre école et travail, d’autant plus qu’Emmanuel Macron ne cesse de donner les chiffres du nombre d’alternants comme preuve quantifiable et donc incontestable de la réussite du précédent ministre. Un simple coup d’œil au sommaire de la synthèse publiée par la Cour des Comptes en juin aurait pourtant suffi à revenir à la réalité. Résumons : la « hausse inédite des effectifs [est] en décalage avec l’objectif traditionnel d’insertion professionnelle des jeunes les moins qualifiés », d’où les « limites persistantes d’accès à l’apprentissage pour certaines catégories de jeunes », le tout couronné par un « déséquilibre financier de France compétences préoccupant ». C.Q.F.D.
Refonder, réinstaller, révolutionner… mais pas restaurer !
Arrêtons-nous sur un autre élément de discours de notre cher président. Celui-ci dit vouloir « refonder l’école », dans son discours aux recteurs (c’est-à-dire lui trouver de nouvelles fondations) et – en même temps dirait-on – « la réinstaller sur ses fondations ». Les deux expressions étant employées immédiatement à la suite dans le discours, l’auditeur y entend presque des synonymes. Au-delà d’une vocation ratée pour les métiers du bâtiment (il est également question de « bâtir de l’intelligence collective », comme il était précédemment question de « bâtir l’école de la confiance » sur le site du ministère), l’on perçoit chez Emmanuel Macron un certain malaise autour du socle qu’il sera question de remplacer ou non. De manière tout à fait regrettable, les recteurs n’ont pas eu la bonne idée de l’interrompre par un « D’où parles-tu, camarade ? » – la Sorbonne était pourtant le lieu idoine… – et nous ne saurons donc jamais ce qu’il aurait répondu. Le conseil national de la refondation, partant des mêmes fondations douteuses, semble voué au même avenir obscur.
Au-delà des recteurs, le président répond tout de même aux nostalgiques des jours heureux de l’instruction publique, en des termes non moins inquiétants : « je connais la force du collège unique ». Sa force, c’est 13% d’échec au brevet des collèges, pourtant censés donner à chacun le bagage rudimentaire sans lequel la langue n’est pas maîtrisée dans son usage le plus courant, de même que les dates élémentaires de l’histoire de France, les pourcentages, une compréhension élémentaire du corps, de la physique, des raisons pour lesquelles il ne faut pas mettre les doigts dans la prise, etc. En outre, ce chiffre, déjà suffisamment alarmant quand il est pris isolément, ne tient pas compte de ceux qui ont suffisamment redoublé pour ne jamais atteindre la troisième avant la sortie du cursus scolaire. En France, en 2022, il est donc plus simple (en probabilités) de réussir le baccalauréat que le brevet des collèges (91% de réussite contre 87…). Enfin, pour citer les deux représentants de l’État, « un collégien sur quatre ne possède pas le niveau attendu à l’entrée en sixième » (Macron), et « un collégien sur quatre n’a pas le niveau attendu en fin de troisième » (Ndiaye le lendemain). Reste à savoir lequel des deux a mal lu sa fiche, ou s’ils se sont concertés pour nous donner, à eux deux, de quoi confirmer l’hypothèse selon laquelle le collège unique ne servirait à rien d’autre qu’à faire végéter les élèves pendant quatre années au cours desquelles leur niveau demeurerait inchangé.
Concernant d’autres fiascos comme le baccalauréat en contrôle continu, pas de restauration non plus, et tout projet académique semble ainsi devoir être tourné vers l’« innovation », quand il ne s’agit pas de « révolution ». La question d’un travail sérieux sur ce qui a fait la réussite de l’école d’hier n’est même pas envisagée, tant Emmanuel Macron est engagé dans la course à l’innovation. L’école serait-elle la start-up du futur ?
L’étrange visage de l’excellence
Il est donc tout à fait prévisible que le même malaise subsiste autour de la portion congrue à conserver quand il s’agit d’un autre terme lui aussi associé depuis toujours à l’enseignement : l’excellence. Dans l’une de ses conférences de presse de rentrée, Jean-Michel Blanquer présentait « l’élévation du niveau général » comme une de ses priorités, pour accomplir à la place… l’élévation générale du niveau (scolaire, mais pas intellectuel), en distribuant le baccalauréat comme un bon point au contingent d’élèves restés dans le cursus scolaire jusqu’à la terminale. Quand Pap Ndiaye affirme, dans la même lignée, que « Nous allons poursuivre la transformation de la voie professionnelle pour en faire plus encore une filière d’excellence dans toutes ses dimensions », l’on peut se demander où atterrira le satellite Ndiaye dans sa recherche des autres dimensions, mais surtout comment il est possible d’être plus excellent, sauf à faire de l’excellence un concept dont on a rendu la valeur toute relative.
Et il semble que ce soit bien cette deuxième définition qui doive être retenue à l’aune du discours d’Emmanuel Macron : à l’en croire, « les lycées professionnels comptent deux tiers des décrocheurs », et 47% des titulaires d’un « bac pro » n’ont pas d’emploi deux ans après l’obtention de leur diplôme. La suite du discours étaie encore davantage cette définition à géométrie variable : quand l’excellence relative des élèves de lycée professionnel est excusée par leur milieu social (le président insiste sur la faible proportion d’enfants de cadres y étant scolarisés), les établissements devront, eux, fermer entre les formations « celles qui n’insèrent pas ». Est-ce à dire que la formation est responsable de l’échec d’élèves qui auraient sans doute été excellents, eussent-ils été des enfants de cadres ? De même, l’on ne revient pas sur les injustices dans la notation du baccalauréat, mais il s’agit néanmoins d’« amener une culture de l’évaluation »….
En guise de conclusion à cette longue liste de toutes les sorties de route qui auront surpris les auditeurs du président et de son ministre, à l’occasion de ce virage vers le brouillard de la « révolution copernicienne » à venir, dévoilons la saillie la plus étonnante d’un Emmanuel Macron décidément très en forme : « performance – je n’aime pas ce terme ! ». À méditer.
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