Outre-Rhin, la société de jeux, jouets et livres pour enfants Ravensburger se soumet au délire woke. En satisfaisant les exigences de minorités revendicatives, l’éditeur provoque un tollé contre lui. Non à la «Winnetou-Cancellation»!
Nous vous rapportions dans un précédent article de novembre 2020 les vociférations wokistes qu’avait dû subir une production télévisuelle allemande en raison d’accusations de « redface ». Cette polémique visait le héros populaire Winnetou, un Indien Apache, toujours accompagné de son fidèle compagnon, un aventurier blanc surnommé Old Shatterhand.
En un siècle et demi, la trilogie littéraire de Karl May a donné lieu à d’innombrables adaptations aussi bien au théâtre qu’au cinéma, ou encore à la télévision (nous vous rappelions d’ailleurs à cette occasion que Winnetou a été joué aussi bien par des Indiens comme Robert Alan Packard, rendu célèbre par le film « Der Schuh des Manitou », que par des blancs – notamment par l’acteur français Pierre Brice, disparu en 2015).
« Oppression des peuples indigènes »
C’est désormais la célèbre maison d’édition pour enfants Ravensburger qui s’en prend au jeune Apache. Tout a commencé avec la sortie cet été d’un nouveau film pour enfants intitulé « Le jeune chef Winnetou » [1] et de deux livres, d’un album d’autocollants et d’un puzzle, tous censés accompagner la campagne promotionnelle du film. Or, Ravensburger fit rapidement machine arrière en retirant purement et simplement les deux livres de la vente, arguant dans un post Instagram avoir reçu de « nombreux retours négatifs » et dénonçant les « clichés » véhiculés par l’œuvre de May, qui passerait outre « l’oppression des peuples indigènes ».
À l’ère du politiquement correct, cette critique devient de plus en plus récurrente outre-Rhin chez certains groupes de pression. Et d’aucuns de soulever la question de savoir si un auteur comme Karl May, qui n’a jamais visité les pays sur lesquels il a écrit, et qui a créé une image romanesque et – il faut le reconnaitre – parfois historiquement incorrecte des Amérindiens, est un auteur qui doit bénéficier d’une grande visibilité à l’époque contemporaine.
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Des questions que ne cherche d’ailleurs pas à éluder la Société Karl May, qui planche sérieusement sur de nombreux sujets relatifs à l’œuvre de l’auteur allemand, et dont une grande partie des travaux est accessible en ligne [2]. Comme l’a rappelé le professeur d’éducation artistique Andreas Brenne de l’Université de Potsdam, le livre Winnetou est « inoffensif ». Il a plusieurs fois rappelé dans le passé que ce livre doit être compris comme une histoire fictive et non comme une représentation objective de la vie des peuples autochtones. Il a également mis en garde contre la généralisation de l’accusation de soi-disant appropriation culturelle sans réfléchir : « de nos jours, le simple fait de se déguiser en Indien est considéré comme un acte raciste » [3]. Par ailleurs, Brenne rappelle que l’accusation selon laquelle May aurait ignoré le génocide des peuples autochtones d’Amérique du Nord dans son œuvre est fausse. Il s’agirait même d’un « motif central » de son œuvre, explique à la SWR le professeur, qui organise d’ailleurs une conférence spécialisée sur Karl May et l’appropriation culturelle à l’université de Potsdam en mars 2023.
Un rétropédalage incompréhensible
Quoi qu’il en soit, les interrogations (parfois légitimes) autour du traitement des Amérindiens dans l’œuvre de May ne sauraient aucunement justifier l’attitude d’un éditeur majeur tel que Ravensburger, et encore moins envers une œuvre aussi populaire que culturellement significative. Comme l’ont rappelé de nombreuses personnalités allemandes ces derniers jours, la censure n’est jamais une bonne solution – un constat simple mais que certains semblent avoir du mal à intégrer.
Le chef du groupe parlementaire CDU du Bade-Wurtemberg, Manuel Hagel, a commenté sur Twitter qu’il était « absurde que Ravensburger se laisse amadouer par une minorité radicale », ajoutant que, loin de le décourager, cette interdiction l’incitait à mettre les livres Winnetou en évidence sur les étagères de ses deux fils pour les encourager à les lire !
En réalité, Ravensburger cède à son tour à des groupes de pression sévissant principalement sur les réseaux sociaux et accaparant l’espace « commentaires » de ses comptes Facebook, Instagram, etc. Une stratégie non seulement stupide mais totalement contre-productive, comme en témoigne le tollé soulevé par cette décision, l’éditeur faisant la quasi-unanimité contre lui. Car c’est un fait indéniable que Winnetou jouit en Allemagne d’une très forte popularité. Une réaction remarquée fut celle du musée Karl May de Radebeul dans la banlieue de Dresde, évoquant une « Winnetou-Cancellation ». La presse s’en est également donnée à cœur joie, certains comme le tabloïd Bild qualifiant le retrait des livres de « totalement absurde » [4].
Même les Verts et Die Linke s’en offusquent…
À la lecture de la presse régionale et des blogs politiques, il est clair que la décision de Ravensburger a provoqué la consternation générale, droite et gauche confondues. Par exemple, le ministre de la Culture de Thuringe, Benjamin-Immanuel Hoff (Die Linke, parti très marqué à gauche) a exprimé ses regrets. « Je ne pense pas que la décision de l’éditeur soit juste », a-t-il déclaré à la MDR. « Si des personnes concernées se sentent blessées dans leurs sentiments, il faut réagir » et « un débat doit avoir lieu », a ajouté l’homme politique. Mais « dans le cas (de Winnetou), il n’y a eu que des invectives sur les réseaux sociaux. Ce n’est bien trop souvent pas une arène adéquate pour un vrai débat ». D’autres piliers de la gauche, tels Sigmar Gabriel ou Claudia Roth, se sont exprimés en ce sens.
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Même son de cloche chez la plupart des élus Verts. La ministre de l’Éducation du Bade-Wurtemberg, Theresa Schopper, a condamné la décision de Ravensburger, déclarant au journal régional Heilbronner Stimme que les lecteurs devaient « pouvoir continuer à lire » les œuvres de Karl May [5]. « Bien sûr, Winnetou utilise des clichés parce que la vie des Indiens ou de la population indigène n’est plus la même », a notamment déclaré Schopper. « Mais si nous appliquons cette norme à tous les contes de fées et livres pour enfants, où cela nous mènera-t-il ? ».
[1] Der junge Häuptling Winnetou, réalisation Mike Marzuk, 2022
[2] https://www.karl-may-gesellschaft.de/index.php
[3] https://www.swr3.de/aktuell/nachrichten/der-junge-haeuptling-winnetou-streit-um-buch-100.html