Tout le monde se souvient de la façon dont mai 68 a débuté. Les garçons de la Cité U de Nanterre ont investi le bâtiment des filles pour dénoncer un règlement universitaire qui interdisait la mixité. Mais ça, c’était avant le retour du puritanisme.
Avant, pour être progressiste et de gauche, il fallait se battre pour la mixité au nom de l’égalité et de la liberté. Aujourd’hui pour avoir sa carte dans le camp du bien, il faut se battre pour interdire la mixité au nom de la protection des minorités opprimées. La preuve par l’École Normale Supérieure d’ULM. Dans cette école où est censée être formée l’élite de la Nation, il est en effet question d’interdire certains couloirs de l’internat aux hommes. Plus exactement, selon la novlangue en vogue actuellement, de les interdire aux hommes cisgenres. Traduire par aux hommes qui considèrent qu’ils sont des hommes autrement dit « dont le sexe correspond au genre auquel ils s’identifient ».
Pourquoi une telle revendication ? On pourrait imaginer que des affaires de viols étouffés motivent une telle demande, que cette réclamation se justifie par la récurrence d’agressions sexuelles et l’incurie de l’administration de l’école. Mais apparemment cela n’est pas le cas et l’argument n’est même pas utilisé dans le compte-rendu de la réunion qui a abordé cette question. Dans cet édifiant document, on apprend en effet que par leur seule présence, les hommes accentuent « la vulnérabilité des femmes et des personnes appartenant à des minorités sexuelles ». En gros, parce que les hommes existent, les femmes sont en danger. À se demander pourquoi dans ces conditions la politique d’apartheid sexuel devrait s’arrêter aux portes de l’internat.
Le seul élément concret évoqué dans le compte-rendu à l’appui de la demande d’exclusion des hommes est le fait que certains garçons auraient établis des listes de « baisabilité ». Certes, ce n’est pas ce que l’on fait de plus malin ni de plus élégant. Et on peut tout à fait considérer la pratique comme dégradante. Mais je ne savais pas que les filles d’aujourd’hui sortaient toutes du couvent des oiseaux et avaient arrêté de noter les garçons sur des critères en général plus liés au sex-appeal qu’à l’évaluation des qualités intellectuelles. Ma génération devait être sacrément délurée en regard de la pureté virginale de la normalienne actuelle.
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Hormis donc l’existence de cette liste, aucun fait n’a été mis en avant. En revanche, l’assertion suivante, elle, a emporté la décision : « il ne faut pas exclure la possibilité que tous les hommes soient des violeurs. » En une phrase, la logique de cette discrimination est posée et assumée. Les hommes sont essentialisés. Tous violeurs, ils constituent une menace, les exclure, c’est respecter les femmes et protéger les minorités. Le sexisme le plus crasse se drape ainsi dans le manteau de la vertu. Les débats, on le voit, ont été marqués du sceau de l’intelligence et de la mesure. Ils ont au final abouti à une charte qui, considérant implicitement que tous les hommes sont des violeurs potentiels, permet d’interdire certains couloirs à ceux-ci.
Face à ce niveau de délire, on se dit qu’il doit bien y avoir un pilote et que l’ENS n’est pas une ZAD autogérée. Elle dispose d’une direction et est sous l’autorité d’un ministère. Peut-être des adultes responsables vont-ils siffler la fin de la récréation ? Eh bien non. La direction paraît tétanisée et incapable de se dresser face à des revendications militantes radicales qui édictent des règles absurdes. Pourtant, dénoncer une telle stigmatisation des hommes relève du simple bon sens. Le discours selon lequel tous les hommes sont des violeurs est faux, relève de l’amalgame et du discours haineux et aboutit à une exclusion injustifiée. Quand Eric Zemmour par exemple explique que tous les mineurs isolés sont violents et violeurs, tout le monde s’insurge et il est condamné. À juste titre. Mais quand une poignée d’extrémistes haineuses affirment que tous les hommes sont des violeurs, tout le monde baisse les yeux et les autorités abdiquent.
Imaginez que la jeune fille, qui a réclamé l’interdiction de la présence des hommes, ait été agressé par un homme noir et ait développé une peur panique des hommes noirs, trouverait-on normal qu’elle interdise le couloir de son internat à toute personne noire ? La réponse est non car elle ferait preuve d’un racisme mal venu. Alors pourquoi accepter ces mêmes généralités au nom du sexisme détourné en outil de protection des minorités sexuelles ?
La plupart du temps, par peur d’être renvoyées à l’extrême-droite, d’être diabolisées, les autorités choisissent de se taire. Elles achètent ainsi leur tranquillité au prix de la violence symbolique et réelle et au prix de l’injustice. L’histoire de l’ENS n’en est que la énième illustration.
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Or, quand on commence à excuser des propos de haine, simplistes et manichéens, au nom de la justice de la cause défendue et par peur de la radicalité de ceux qui les profèrent, cela finit en général assez mal. La direction de l’ENS se déshonore en laissant une telle discrimination et un tel sexisme se mettre en œuvre.
Cette absence d’une autorité capable de faire respecter notre cadre civilisationnel et notamment cette notion d’égalité sans distinction de sexe, race ou autre appartenance qui fonde nos sociétés politiques est problématique. En effet, sans personne pour faire respecter ces principes, les scandales comme celui de l’ENS ne peuvent que se multiplier. Ceux-ci parlent d’un monde impossible à partager, où chacun voudrait avoir son Moi pour roi et pour loi. Un mode d’ego illimité où l’existence même de l’autre est vue comme une offense et une frustration. Un monde où le monde extérieur doit s’adapter au ressenti individuel et non l’inverse. Or un tel monde ne peut aboutir qu’à l’affrontement de tous contre tous car il évacue la notion de commun. À terme, il impose dans les faits la tyrannie du groupe car l’individu atomisé, isolé, exposé ne peut survivre que s’il fait allégeance à plus fort que lui. L’avenir de ces égotiques est la tyrannie de la tribu et la haine du groupe désigné comme ennemi.
En société, on ne choisit pas son prochain. L’espace public n’est pas le lieu d’expression des particularismes, mais le lieu du partage. Dans le cas d’un internat, l’obtention d’une chambre n’est pas un droit opposable, mais une aide offerte par la société. Exiger en plus de choisir son voisin est non seulement exagéré, mais inacceptable venant d’une future élite favorisée qui refuse les efforts qu’implique le jeu social et confond acceptation du réel et frustration. D’autant que chacun de ces petits moi tyranniques développant ses propres obsessions et sa propre inquisition, sous couvert de protection des minorités, c’est la violence raciale, sexiste, politique et religieuse qui ne cesse de grandir. Le wokisme, car c’est bien de cela qu’il s’agit, contient ainsi les germes de la violence qu’il prétend combattre et construit des générations d’offensés professionnels qui pensent que le réel doit se plier à leurs représentations. Inutile de dire que l’échec est au bout du chemin.