Un authentique historien n’est pas un juge. Pour Philippe Bilger, deux livres récents sont exemplaires de la vraie mission de l’historien qui consiste à chercher la vérité de la manière la plus objective possible.
Ayant passé une nuit dans la superbe maison d’un couple d’amis près de Montélimar, Isabelle Marin (IM) et Gilles Antonowicz (GA), j’ai pu bénéficier de la grâce de ces petits déjeuners qui concilient convivialité et stimulation intellectuelle. Comme si la journée commençante était riche de toutes les promesses.
À nouveau je me suis interrogé sur le sort de deux livres écrits pour le premier par GA seul et pour le second par GA et IM. D’une part L’énigme Pierre Pucheu, une biographie publiée en 2018 aux Editions Nouveau Monde et d’autre part La fabrique des innocents – L’affaire Mis & Thiennot, histoire d’une manipulation médiatique, ouvrage paru cette année aux Belles Lettres.
J’ai déjà dit à quel point cette biographie de Pierre Pucheu était remarquable et appréhendait avec une totale liberté et objectivité les ombres et les lumières de cette personnalité hors du commun quoiqu’on pense d’elle. Elle n’a suscité quasiment aucun écho, elle a été traitée au mieux avec indifférence et au pire rejetée.
Sur Mis et Thiennot, dont l’innocence fabriquée par le parti communiste de l’époque continue d’être proclamée, contre toute évidence, par cette même mouvance (comme s’il était inconcevable que ces deux condamnés aient été coupables parce qu’ils étaient communistes), le livre de GA et d’IM projette une vive lumière procédurale et judiciaire qui ne laisse pas la moindre place au doute sur leur implication criminelle en 1946.
Pourtant, quand la presse nationale ou régionale traite de l’affaire Mis et Thiennot, seule est mise en évidence la thèse qui affirme l’existence d’une erreur judiciaire. Il est lourdement souligné le fait que leurs petits-enfants devraient obtenir une révision bientôt devant la Cour de cassation à la suite d’une septième demande.
Pourtant, malgré ce tintamarre, cette pression à la fois politique et médiatique, on aurait pu trouver dans cet ouvrage de quoi radicalement battre en brèche le complot persistant pour exonérer Mis et Thiennot. La seule exception concerne Le Monde qui a publié un article sous la signature d’Henri Seckel.
Il est clair que cette censure, cette occultation ont une finalité : interdire que soit contredite une version partiale, politisée. Le but est atteint puisque sur cette affaire est éliminé tout ce qui représenterait une autre branche de l’alternative, soit la vérité sur un dossier fabriqué de toutes pièces. L’idéologie, la paresse intellectuelle, l’absence de curiosité médiatique se conjuguent pour travestir le réel incontestable du 31 décembre 1946.
IM et GA ont écrit un ouvrage dont le grand tort est de ne pas valider le consensus dominant et de surcroît erratique parce que partisan.
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L’Histoire politique et judiciaire à la tête du client
Pour Pierre Pucheu, les problématiques soulevées par la totale discrétion avec laquelle a été accueilli ce livre d’histoire sont infiniment plus préoccupantes. D’autant plus qu’elles concernent, bien au-delà de cette biographie, tout ce qui ne se rapporte pas à l’historiographie officielle et aux historiens « convenables ». On est pourtant en droit d’exiger que le pluralisme de la recherche et la diversité des points de vue soient respectés.
D’abord, la première leçon à tirer du silence médiatique sur le Pierre Pucheu de GA est qu’on n’a pas le droit d’écrire la biographie de n’importe quelle personnalité relevant de l’Histoire de France. Il convient de s’attacher à un sujet « décent », acceptable par la bien-pensance le validant et l’inscrivant dans le cercle de ses orientations et de ses décrets subtilement mais clairement affichés.
Ou alors, pour qu’une dissidence sur la sélection du thème soit autorisée, il est nécessaire que son traitement ne porte atteinte à aucun pré-jugé. Qu’il condamne si l’obligation morale inspirant les historiens tenant le haut du pavé est de condamner. Qu’il honore si elle est de célébrer. Il est hors de question de se croire investi d’un devoir de vérité qui mettrait à bas l’Histoire reçue comme il y a des idées reçues.
Au-delà de GA, on a pu également le constater avec les analyses de Jean-Marc Berlière dans Causeur critiquant le discours et les approximations du président sur la rafle du Vél d’Hiv. Le simple rappel que l’occupant nazi a eu là une part prépondérante est apparu contradictoire avec la volonté affichée ces dernières années de faire porter tout le poids sur Vichy et la police française. Comme si une objectivité confirmée par la recherche et les documents revenait à faire preuve de la moindre complaisance à l’égard de l’horreur de cette rafle.
Cette dérive redoutable est aux antipodes de la rigueur intellectuelle et historique. Elle vise à incriminer comme des soutiens de l’ignoble ceux qui tentent seulement d’en discerner les responsabilités et la nature exacte. Si l’historien devient coupable quand il exerce son authentique mission, les générations à venir ne connaîtront du passé qu’une interprétation vicieusement univoque. Posture aujourd’hui adoptée par un BHL pour qui le monde et l’Histoire se réduisent à la seule confrontation de héros ou de salauds !
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Alors que, pour GA, se pencher sur le massacre de Châteaubriant imputé systématiquement à Pierre Pucheu en démontrant, vérifications faites, horaires des trains à l’appui, qu’il n’avait pas pu le commander, n’avait pas pour but de désavouer l’historiographie officielle mais de la revisiter. Parce que sans doute elle n’avait jamais voulu examiner de près ce qui lui apparaissait comme une exigence éthique et une évidence historique : la culpabilité de Pierre Pucheu en l’occurrence.
L’Histoire à la tête du client. Pierre Pucheu n’est pas un sujet tolérable ou alors il faudrait l’appréhender, lui, comme un « salaud » absolu. La moindre nuance liée à la vérité de la situation est une offense portée à l’esprit de système et aux condamnations expéditives.
GA, avocat hier talentueux et d’une parfaite honnêteté, aujourd’hui spécialiste de Maurice Garçon, est un historien qui n’a pas l’heur d’être admis dans le cénacle de ceux qui sont politiquement et médiatiquement promus, parce que leurs travaux ne dérogent jamais à une Histoire complétée et corrigée par la morale. Je songe à Pascal Ory et à Laurent Joly en particulier ainsi qu’à d’autres de renom qui représentent, pour l’historiquement correct et stable, des valeurs sûres.
GA est totalement éloigné de cette reconnaissance et malgré l’occultation dont ses livres font l’objet, il ne s’en plaint pas puisque son objectif est l’audace de la vérité et non pas la facilité de l’approbation.
Mais je n’ai aucun scrupule à protester pour lui et pour tous ceux qui, comme Berlière, doivent se battre pour exister médiatiquement, parce qu’ils posent sur des réalités équivoques passées un regard et une culture complexes qui ne les dénaturent pas. Ils sont de vrais historiens et non pas des juges.
L’Histoire à la tête du client n’est pas celle qui me touche et me convainc. Je préfère une plénitude qui ramasse et rassemble tout, à une sélection délétère et hémiplégique qui ne nous apprend rien mais se pose en directeur de conscience.
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