Bientôt il nous faudra faire cette transition brutale entre la liesse estivale et la dure réalité de la rentrée. Thomas Morales nous aide à y faire face.
La rentrée se profile dans moins de deux semaines avec ses relents d’enfance mal digérés. Cartable neuf et liste de fournitures exhaustives ; chaussures au cuir rigide et coupe de cheveux réglementaire, formulaires administratifs à répétition et inscriptions tatillonnes. Vendanges précoces et arguties gouvernementales se ramasseront bientôt à la pelle. L’écolier et le salarié, ces enfermés volontaires, seront cernés de toutes parts, d’ici quelques jours. La routine les emportera. L’horizon se voile d’incertitudes dans une société où l’inflation est exponentielle, contrairement à la liberté d’expression qui voit sa source se tarir dramatiquement. Elle est à sec. Elle a été touchée en plein cœur du mois d’août.
Notre civilisation brûle et nous regardons ailleurs. Cette double peine en quelque sorte, la vie chère et l’opinion bafouée, n’incite guère aux bacchanales de septembre. Pour l’heure, on préfère mettre à distance l’actualité, s’en sevrer ou s’en dédouaner, à chacun son caractère. Elle nous rattrapera bien assez tôt, avec sa cohorte d’instructions contradictoires et son absence de porte de secours. Les plages sont encore chargées du parfum d’huile solaire bon marché et de l’odeur écœurante des chouchous industriels, les bikinis s’offrent leur dernier espace d’affranchissement et les balles en mousse qui viennent nous heurter sur nos transats ne sont pas mortelles. L’atmosphère caniculaire vire au flasque comme dans une œuvre dégoulinante de Dalí. Ces mois sans pluie ont fini par assommer les bronzés de Saint-Tropez et de Douarnenez. Une grande fatigue morale et physique nous empêche de nous révolter. Notre horloge biologique nous indique seulement les heures des repas et des baignades. La déconnexion est, paraît-il, un nouveau droit du vacancier. Nous sommes hébétés par cette chaleur et les discours ambiants.
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Certains retraités, au camping d’à-côté, ont la force d’écouter les informations sur leur télé portative, par habitude et lassitude. Les autres errent sur le sable, sans but, perdus dans leurs songes, rêvassant à la prochaine soirée dansante ou à cette fille aux yeux sombres aperçue dans un bar de nuit. Les corps endormis ne se réveilleront brusquement qu’à l’apéro, mus par une puissance céleste. Tous ces touristes attendent une révélation de l’au-delà. Ils savent qu’elle ne viendra pas des élites déconfites, ni d’une quête spirituelle. Et pourtant, tous ces Hommes en maillot vont être frappés par la grâce. On peut même se demander si, en réalité, las d’un soleil tapageur, chacun d’entre nous n’aspire qu’à vivre pleinement ce court moment qui donne à l’été, toute sa féérie. Car, cette averse libératrice porte l’onde de nos souvenirs.
Bien après, on ne se rappellera que cette pluie au milieu de tous ces autres jours sans fin. Elle sera le climax de notre été. Après un cagnard asphyxiant, l’eau est fêtée comme l’arrivée du messie. Une délivrance et un retour sur soi. Un appel à retrouver ses pulsions essentielles. Les orages ont tonné durant toute la nuit, au petit matin, le vent s’est levé et la météo est passée du jaune outrageant aux tonalités grisonnantes. Les nuages encombrent le paysage. Les températures ont chuté. L’air est, à nouveau, respirable. Les esprits ont, naturellement, retrouvé un peu de leur vigueur et de leurs capteurs réceptifs. La vie va irriguer nos cerveaux endoloris. Nous sommes sauvés. La plage est presque déserte, le sable souillé par les bourrasques a fait fuir les nattes et les parasols. C’est sûr, demain, il fera beau mais aujourd’hui la météo fait une pause. Pour sortir, on a enfilé un K-Way étriqué et remisé son slip de bain au placard. Les rues des stations bouillonnantes reprennent leur souffle, loin de la frénésie marchande, elles appellent à une forme de déambulation nostalgique. On ne regarde plus cette ville de la même façon. Son charme fissuré nous avait totalement échappé. Sous un rideau de pluie, elle semble plus vraie, moins peinturlurée. L’eau a ravivé nos sens. Aujourd’hui, nous ne serons pas déçus de pouvoir nager dans la mer. Pour la première fois de nos congés, nous sommes respectueux de cette immensité bleue. Ces temps morts arrachés à l’obsolescence estivale sont propices à l’introspection et à la mélancolie. Durant cette journée maussade, nous allons gentiment divaguer, échafauder des théories, retomber amoureux, nourrir notre mélopée intérieure et, qui sait, réarmer notre pensée…
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