Il y a vingt-cinq ans, le château de Falaise rouvrait ses portes après une décennie de travaux. Pourtant, loin de susciter la joie des visiteurs, la réouverture se fit sous le feu des critiques dénonçant l’enlaidissement de la demeure de Guillaume Le Conquérant. Force est de constater que la modernisation des monuments est malheureusement devenue un phénomène très répandu.
N’avez-vous pas remarqué, durant la décennie passée, la naissance – puis la prolifération – des écouteurs dans la grande majorité des monuments français ? Innombrables sont aujourd’hui les touristes qui déambulent, une voix féminine dans les oreilles et une télécommande à la main, dans ces monuments qui croulent sous le poids des âges. Alors que vous avez choisi de ne pas payer le supplément à 1€ pour la visite guidée, vous voyez votre enfant attiré par la lumière d’un écran au fond de la pièce. En quelques instants, il a sauté dessus et a enfilé le casque audio attenant et dévore du regard la vidéo interactive qui lui permet de visiter la salle du château virtuellement en comprenant dans quelle pièce il se situe. Sans écouter vraiment les indications, il avancera jusqu’à ce que l’interaction recommence à zéro, puis se dirigera vers l’écran suivant.
Ce cas de figure, vous l’avez probablement connu, sinon observé. Le château de Falaise est ainsi un exemple criant, que dis-je, hurlant, de la fatalité qui pousse le passé à s’adapter au futur dans l’espoir de grappiller quelques subventions qui pourvoiraient à ses besoins présents.
À la billetterie, on vous prêtera gracieusement pour le temps de la visite une tablette. Les instructions sont les suivantes : dans chaque pièce, scannez le code-barre pour voir à quoi elle ressemblait il y a dix siècles. Un jeu interactif vous permettra également de gagner des points en trouvant certains objets cachés dans cette salle virtuelle. Puis, la plupart des pièces comporteront une vidéoprojection mi-comique, mi-historique, avec une bande sonore à laquelle vous ne pourrez échapper. Évidemment, des écrans seront régulièrement disposés, au cas où vous n’en auriez pas assez pour vos yeux. C’est bien simple : pratiquement aucune pièce n’y échappe : un vrai désastre. Mettons ici de côté la bétonnisation forcenée de la rénovation à laquelle s’ajoutent un absurde plancher de verre, des escaliers en métal et un toit de toile blanche qui n’a rien à faire ici.
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Le château de Falaise, emblématique des seigneurs de Normandie et parmi eux, de Guillaume Le Conquérant, n’est pourtant qu’un symptôme de la dés-historicisation de nos monuments français. Le Panthéon, à Paris, en est un autre exemple : vous trouverez une boutique de souvenirs à l’intérieur du monument, dans une salle tout à fait d’époque qui serait probablement sublime sans le son de la carte bleue et les monceaux de produits commerciaux. Il en est de même pour la crypte, lieu de recueillement, sinon de respect. Alors que nous est donnée la chance de toucher du bout des doigts les tombeaux de certains des personnages les plus illustres de notre histoire, les écrans viennent à nouveau tout gâcher. À l’entrée de la crypte, plusieurs casques audios sont attachés à un banc, reliés à une histoire expliquant la raison d’être de ce monument. En parallèle, vous trouverez en face de chaque caveau un écran décrivant les hauts faits des personnages enterrés. Cet exemple pourrait être suivi de tant d’autres : ne cherchez pas, l’immense majorité des monuments de France est équipée d’écrans ou d’écouteurs.
Loin de l’histoire, loin de la connaissance et du respect, on trouve la marchandisation et la ludification de ces édifices pluriséculaires. Ne vous étonnez pas si vous entendez rires et discussions à voix haute dans une crypte, si vous voyez des enfants les yeux rivés sur une tablette. C’est d’ailleurs moins l’addiction aux écrans que leur exploitation par les responsables qui pèche. Aujourd’hui, force est de constater que la discipline historique n’a pas beaucoup d’avenir au milieu d’une époque de grande déculturation. Dès lors, pour attirer le visiteur lambda (et que celui-ci ne parte pas au bout d’une demi-heure car son marmot râle), les gestionnaires des monuments français n’ont d’autre choix que de rendre la visite pédagogique. Il faut alors utiliser le jeu, le divertissement pour combler le silence assourdissant d’un bâtiment froid et vide. Ne comprenant rien à ce qui l’entoure, le visiteur ne peut se résoudre à contempler bêtement les sublimes arcs-boutants de cette cathédrale, ou l’ingéniosité poliorcétique des bâtisseurs de ce château. Réduit à l’état de consommateur, il s’en ira, comme tout le monde, payer un euro de plus pour sa visite guidée dont il ne retiendra pas grand-chose.
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La transformation du patrimoine en marché culturel du tourisme ruine ainsi chaque jour un peu plus la beauté du paysage urbain de notre France. Alors que la solennité d’un monument de mille ans d’âge devrait nous tenir en respect, écarté de notre effrayante modernité, l’histoire s’adapte au présent et se plie à ses implacables lois mercantiles.
Il est cependant un château qui échappe à cette règle, celui de Plieux. Malheureusement, il est aujourd’hui impossible de le visiter. En attendant, faites au moins l’effort, durant vos visites estivales, de vous plonger un peu dans une mystérieuse histoire qui échappe un peu à votre compréhension.
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