Du 26 au 28 juillet, le président de la République s’est rendu en Afrique avec à l’agenda trois dossiers sensibles : le retour de l’influence russe sur le continent, la persistance des menaces djihadistes et la mémoire de la colonisation. Entretien avec l’économiste Loup Viallet.
Causeur. Pour sa tournée africaine, Emmanuel Macron a choisi trois pays : le Cameroun, le Bénin et la Guinée-Bissau. Pourquoi ?
Loup Viallet. Concernant la diplomatie africaine, nous sommes en concurrence avec la Russie, qui a son propre agenda. Dans le même temps, le ministre des Affaires étrangères Serguei Lavrov était également sur le continent pour déployer à la fois sa propagande et ses propositions, tout en contribuant à la dégradation de l’image de la France. Il s’est rendu au Cameroun le 26, au Bénin le 27 et en Guinée-Bissau le 28. N’oublions pas que les Russes avaient organisé en 2019, à Sotchi, le premier grand sommet Russie-Afrique, auquel était notamment conviée Nathalie Yamb, laquelle développe un discours très anti-français. Nous savons aussi que les Russes sont habitués à rémunérer des gens comme Kémi Séba, qui sont des propagandistes et des spécialistes des fakes news anti-françaises. Il y a donc une course, qui ne date pas d’hier, mais plutôt de 2016, moment où la Russie est revenue en force sur un continent qu’elle avait plus au moins délaissé après la chute de l’URSS. Cette course s’accélère avec la guerre en Ukraine, la Russie a coupé un certain nombre d’exportations agricoles vers le Sahel, mettant en danger la vie de 18 millions de Sahéliens, mais sa propagande fait croire à un certain nombre de pays que la faute serait à chercher du côté des Occidentaux. Le président Macron était donc là-bas à la fois pour expliquer la réalité des choses à ses interlocuteurs et dans une lutte d’influence contre les Russes.
Le Bénin a pour voisin, au nord, le Burkina Faso. Ce pays est tombé aux mains d’une junte militaire comme le Mali. Mais à la différence du Mali, les élites au Burkina Faso ne sont pas formées en Russie. Il se trouve aussi que Barkhane se repositionne, en descendant au Tchad et au Niger, et est encore présente au Burkina. La menace djihadiste descend vers les côtes, notamment de l’Afrique de l’Ouest, vers la Côte d’Ivoire, le Togo et le Bénin, pays qui est plus stable depuis la présidence de M. Talon qui est un homme pragmatique, qui ne cherche pas de fausses polémiques sur le Franc CFA, tel que certains démagogues africains le font. C’est donc un partenaire important pour lutter contre le djihadisme et l’insécurité en Afrique de l’Ouest.
Ensuite, la Guinée-Bissau, même si elle n’a pas été une colonie française, a adhéré tout de même au Franc CFA, dans les années 90, car c’était un système attractif permettant la stabilité de l’économie. Le président de la Guinée-Bissau est aussi le président de la CEDEAO depuis le 3 juillet, une organisation qui regroupe 16 pays d’Afrique de l’Ouest, parmi lesquels des pays qui sont tombés et sont faillis, le Mali et la Guinée Conakry en tête, pays gouvernés par des colonels et qui posent un problème considérable d’insécurité pour toute la région. Rappelons que le Mali a accueilli les mercenaires de Wagner, et que les Maliens s’en mordent aujourd’hui les doigts puisque le pays est en train de s’effondrer. Le président de la CEDEAO est donc une autorité importante, utile pour nous, et pour continuer de discuter et suivre l’agenda des pays faillis d’Afrique de l’Ouest.
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Lors de cette tournée, le président Macron ne s’est pas rendu au Mali et en Centrafrique. Faut-il y voir une sorte de punition ?
Absolument pas, le président avait déjà rencontré leurs deux dirigeants au cours de son mandat. Il s’est simplement rendu dans des pays où le contact n’avait pas été rétabli. Cela ne veut cependant pas dire que les relations avec ces deux pays sont au beau fixe.
La Centrafrique est « la colonie modèle » de la Russie depuis 2016 ! C’est aussi le deuxième pays le plus pauvre du monde et donc une porte facile pour la Russie qui y exploite désormais des mines d’or. La garde du président Touadera est en outre composée d’hommes de Wagner. L’opération française de maintien de l’ordre et de la paix « Sangaris », entre 2013 et 2016, a eu le plus grand mal à accomplir sa mission et est repartie plus vite que prévu. Les Nations Unies rapportent que Wagner a violé, tué et torturé dans ce pays. C’est aussi le pays qui a adopté le Bitcoin, sur proposition de Vladimir Poutine, il y a deux mois. L’objectif est que des transferts de fonds puissent continuer de s’effectuer, malgré les sanctions contre la Russie, et ne soient pas traçables par les autorités monétaires et les circuits économiques classiques. Aujourd’hui, la Centrafrique, voisine du Cameroun, ressemble beaucoup à une « colonie russe », et est menacée puisqu’elle est voisine d’un certain nombre d’États qui sont occupés par Boko Haram.
Pour lutter contre Boko Haram, la France pourrait-elle s’impliquer militairement au Cameroun comme elle l’a fait au Mali ? Le Bénin et le Cameroun peuvent-ils être des piliers dans le domaine de la sécurité ?
Une implication militaire, cela dépendrait de l’invitation des autorités camerounaises ! De la formation est en tout cas prévue par les autorités françaises. Ce qui est certain, c’est que l’avenir sécuritaire de la région se joue dans ce pays : les frontières sont tellement poreuses qu’ils ont besoin de l’appui des pays occidentaux, États-Unis ou France. Nous sommes là pour servir d’alternative à Wagner. Le Bénin et le Cameroun peuvent être une ceinture de sécurité, comme à l’est le Tchad. La Libye s’est effondrée en 2011. Le Tchad tient tant bien que mal, le Niger aussi. Ce sont ces deux pays qui sont un corridor du chaos. Il faut que le Cameroun puisse tenir bon. En ce moment, il faut bétonner ces ceintures de sécurité vis-à-vis des Russes et du djihadisme.
Enfin, bien sûr, le Cameroun est aussi un pays extrêmement bien doté en hydrocarbures, et en ce moment, vous le savez, on est un peu à sec. Il était donc évidemment intéressant pour les Français d’aller là-bas pour sécuriser nos approvisionnements.
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Au-delà du sujet sécuritaire et des hydrocarbures, la mémoire de la colonisation a été évoquée lors de ces déplacements. Sommes-nous encore considérés comme une puissance coloniale, ou comme un allié par ces pays ?
Il y a une instrumentalisation complète de la mémoire coloniale en Afrique. Mais elle est faite en réalité d’abord en France par des Français d’origine africaine, et souvent idéologisés par des Français d’origine non-africaine… mais assurément d’extrême gauche ! Cette propagande peut ensuite être reprise par des dirigeants africains à des fins électoralistes. On voit pourtant que tous ceux qui dénonçaient, lors des élections, le Franc CFA comme un symbole néocolonial, n’en sont jamais sortis ! J’ai écrit un petit livre à ce sujet. Le président de Côte d’Ivoire, Laurent Gbagbo, est resté dix ans au pouvoir avec le Franc CFA. Lorsqu’il s’est retrouvé en difficulté, il a craché sur cette monnaie en disant que la France serait un nain financier sans le Franc CFA. Je rappelle juste que la zone franc, c’est 0,79% de notre commerce extérieur… Les Africains ont donc évidemment plus besoin de nous que nous d’eux économiquement. Et le Franc CFA reste la monnaie la plus stable du continent. C’est donc un argument démagogique qui permet soit de rassembler des foules, soit de faire pression sur des élites françaises ignares qui ont peur de passer pour des néo-colons !
Le sujet qu’il faut aborder avec les Africains, c’est la réalité des interdépendances. Nous avons une interdépendance sécuritaire avec le continent le plus proche du nôtre, et eux ont une interdépendance économique avec nous. Les problèmes socio-économiques des Africains sont exploités par la Russie et la Chine. Nous, Européennes, qui sommes leurs plus proches voisins, nous avons intérêt à ce qu’ils diversifient leur économie. Nous avons intérêt à ce que les économies primarisées des pays Africains sortent de la dépendance au pétrole, au gaz et aux matières premières comme le cacao, le coton, la bauxite ou les ressources halieutiques.
Comment la restitution d’œuvres artistiques culturelles au Bénin a-t-elle été accueillie ?
On a vu quelques commentateurs béninois qui étaient en désaccord avec cette idée, pour la simple raison qu’il faut des moyens matériels pour conserver les œuvres ! Si on est vraiment attaché à ces œuvres, il est en effet peut-être parfois plus prudent qu’elles ne soient pas sur le continent africain. Et si, dans une prochaine mandature, ces œuvres se perdaient, que dira-t-on alors ? Le pouvoir est si fragile. Évidemment, en attendant, seule une élite béninoise pourra aller les voir, mais c’est un autre sujet.
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