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L’ai-je bien nouée?


L’ai-je bien nouée?
D.R.

Éloge de la cravate en milieu hostile


N’en déplaise aux déconstructeurs, l’élégance est peut-être la dernière forme de politesse qui nous oblige et nous élève dans un pays fatigué de ces agitations parlementaires estivales. Si l’on ne croit pas sincèrement à l’allure et au style, alors la démocratie n’est qu’une vieille pelisse usée ; à jeter directement aux oubliettes de l’Histoire. Quand on souhaite représenter les classes laborieuses, on s’en rend digne. Sachez que les damnés de la Terre ne supportent pas l’approximation vestimentaire et la dégaine revendiquée. Ils ont le sens de l’étiquette. Chez les plus humbles, on respecte l’argent durement gagné et l’on se vêt convenablement lorsque la situation protocolaire l’exige. Toutes les familles modestes de France, nos grands-parents immigrés auxquels je pense ici, n’auraient pas supporté de voir leurs enfants s’exhiber en public et disconvenir aux règles élémentaires. On savait se tenir, se respecter aussi. Le négligé et le souillon ne faisaient pas partie de leur vocabulaire. Ils auraient été meurtris non pas pour une supposée faute de goût mais bien pour une insulte faite aux siens. Ils n’agissaient pas de la sorte par une quelconque soumission à un ordre immémorial. Ils étaient mus par une volonté d’extraction, d’intégration, par fierté aussi ; ils ne se vautraient pas dans le délire sémantique et l’habit inapproprié. Ils avaient conscience du ridicule et du présentable. Bien s’habiller, c’est relever la tête, être l’égal des puissants, ne pas transiger avec ses principes ; en quelque sorte, honorer sa dignité et se regarder dans une glace sans rougir de honte. Surtout ne jamais faire pitié et se lamenter sur son sort, voilà les grandes lignes directrices d’éducation qui ont animé l’esprit de nos aïeux. Nous avons été instruits dans cette exigence-là qui passait notamment par l’utilisation d’un français appris dans les livres et une tenue exemplaire. L’élégance n’est pas une question de classe d’appartenance, de patriarcat ou d’injonction commerciale. La combattre, c’est s’avilir, c’est mentir, c’est salir sa mission émancipatrice surtout lorsqu’on appartient à la gauche.

Lino et Jean d’O, mes modèles

Être élégant, c’est aujourd’hui résister au déclassement, au nivellement, à l’abaissement, à l’égalitarisme démagogique et perfide, aux raccourcis fumeux. Au lieu de m’abîmer les yeux devant ce défilé inconvenant et blessant, je préfère me référer aux anciens, revenir à mes deux guides spirituels des Trente Glorieuses. Avec eux, à mes côtés, en soutien psychologique, je suis sûr de ne pas me tromper. Ils sont toujours de bon conseil. Ils me donnent le cap à suivre. Pouvoir s’appuyer sur leur allure naturelle est un soulagement, un réconfort quand je dois m’habiller, chaque matin. Qu’auraient-ils enfilé pour cette remise de prix ou ce rendez-vous amoureux ? Je prends justement ces deux exemples car ils étaient aux antipodes de l’échelle sociale à leur naissance. Pour montrer qu’en l’espèce, le déterminisme n’explique pas tout. La citoyenneté s’exprime aussi par un habillement décent.

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Vous les connaissez. Vous les aimez car leur élégance n’a jamais été prise en défaut. Élégance dans le choix des tissus, des coupes, des mots aussi. Soucieux, toute leur vie, de pondérer leur ardeur sans dénaturer leur conviction intime. Mettons-les, face à face, comme Danny Wilde et Brett Sinclair dans un épisode d’ « Amicalement vôtre », ils en jettent, non ? D’un côté, l’Italien ex-lutteur aux épaules larges et au sourire triste ; de l’autre l’aristo de plume aux yeux clairs et à la verve littéraire. Le rital et le comte, Lino et Jean d’O, deux réussites à la française. Tous deux portaient à merveille, le costume et la cravate en tricot, à la ville comme à la plage. Personne ne s’en offusquait. Personne ne militait pour l’avènement du vêtement informe et miséreux à l’Académie ou à la cérémonie des César. Le débraillé leur était totalement étranger ; ces deux-là demeurent des modèles. Nos élus devraient penser à eux, le matin en se rasant et se recueillir sincèrement devant leur bienséance légendaire. On revient toujours aux sources du formel quand la mitraille idéologique nous assaille. De loin, un peu hâtivement, on aurait pu les mettre dans la même famille vestimentaire. L’élégance se niche pourtant dans les détails. Lino avait une manière bien à lui de jeter son imper sur l’épaule et avait adopté, très tôt, les chemises à petits carreaux. Jean d’O, encore plus latin que Lino, corsifié à l’extrême, mariait la couleur « bleu Lanvin » et le beige de ses vestes. À l’Assemblée, il n’est jamais trop tard pour prendre une leçon d’élégance et de civisme.

Et maintenant, voici venir un long hiver...

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Journaliste et écrivain. À paraître : "Tendre est la province", Éditions Equateurs, 2024

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