Professeur de sociologie à l’Université d’Ottawa, le Québécois Robert Leroux publie un livre choc sur l’état alarmant des universités en Occident. Selon lui, nos universités sont devenues «des repaires d’idéologues».
Dans Les Deux universités paru aux éditions du Cerf, cet universitaire déçu par son propre milieu revient sur la déconstruction de la pensée rationnelle au profit d’un ressenti considéré comme plus authentique dans notre société relativiste.
L’objectivité est une espèce en voie d’extinction, alors que la subjectivité des minorités culturelles et sexuelles occupe tout l’espace. « Le scepticisme extrême s’est solidement implanté. On en vient à ne plus croire en rien, à douter de tout », déplore le sociologue. À douter de tout, sauf de la valeur des minorités.
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Robert Leroux part d’un constat établi plusieurs fois avant lui en insistant sur des questions d’ordre épistémologique : les sciences sociales sont dominées par le « wokisme », mais aussi par des idées qui en font partie et qui remettent en question l’existence même de la science, ce qui n’est pas sans poser problème dans un lieu censé en être le gardien.
La science, cette vieille affaire d’hommes blancs
À partir du moment où la pensée woke présente la science comme le produit d’hommes blancs colonialistes sans considération pour la diversité, il n’est plus possible de réfléchir dans un cadre scientifique. Oui à la diversité culturelle et sexuelle, non à la diversité intellectuelle, peut-on entendre dans les coulisses des facultés de sciences sociales.
« Toutes ces théories, souvent pédantes et naïves, servent un seul dessein : reconstruire l’Université sur des bases complètements inédites. Il s’agit en fait de repousser la tradition, de remodeler l’Université suivant l’inépuisable volonté des groupes minoritaires. Aucun retour en arrière ne semble possible pour le moment, même si quelques voix isolées commencent à s’élever », avertit Robert Leroux.
Pour l’auteur de plusieurs livres remarqués parmi lesquels Histoire et sociologie en France (PUF), deux conceptions de l’université s’affrontent.
La première, « traditionnelle et scientifique », s’inscrit dans la continuité, tandis que la deuxième, postmoderne et dogmatique, « fait table rase de la tradition, s’inspire du marxisme et du freudisme » pour créer de nouveaux départements « qui correspondent au goût du jour ».
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Le déclin du savoir est étroitement lié au financement de la recherche sur la base de critères idéologiques et ethniques, les chercheurs dits progressistes et issus de la « diversité » étant survalorisés dans ce système de pensée unique. En Amérique du Nord, l’Université serait carrément devenue « des repaires d’idéologues ».
«Il n’y a pas de meilleur moyen pour encourager le nivellement par le bas, car on sélectionne les étudiants et les professeurs non pas en fonction de leurs mérites, mais de leur genre ou de leur origine. » Est jugé scientifique ce qui se conforme à la pensée dominante.
Quant au néo-féminisme, ce courant contribuerait également à présenter l’université comme une institution au service de l’Occident machiste et impérialiste, laquelle devrait donc être refondée à défaut d’être abolie. « Selon plusieurs néo-féministes, les universités sont des reliques coloniales. »
« Déblanchiser » la connaissance
Robert Leroux retrace l’origine du mouvement « woke » dans la gauche occidentale des années 1960 ayant abouti à des mouvements comme ceux de 1968 en France, un moment charnière dans le renversement des valeurs de l’Université.
Pour avoir moi-même fréquenté l’université pendant sept ans (du baccalauréat en science politique à la fin de ma scolarité de doctorat dans ce domaine), je peux aussi affirmer que certains départements sont devenus de véritables camps d’endoctrinement.
Durant tout mon parcours, j’ai pu assister à l’imposition d’un nouvel ordre fondé sur la censure et le politiquement correct, certains thèmes jugés sensibles comme la progression de l’islamisme en Occident ne pouvant tout simplement pas être abordés. C’est du moins la remarque qu’un professeur m’avait faite sans détour, alors que j’en étais toujours à ma première année de baccalauréat, à l’Université Laval, à Québec.
La chute du savoir
Ces dernières années, la situation s’est dégradée encore plus sur les campus, à tel point qu’il est devenu impossible de prononcer certains mots et le titre de certains livres ! C’est pire que jamais et notre auteur se désole de cette radicalisation synonyme de dégringolade de la connaissance.
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En octobre 2020, le professeur Verushka Lieutenant-Duval a été suspendu de l’Université d’Ottawa où Robert Leroux enseigne après avoir utilisé le mot « nègre » dans un cours portant sur l’histoire de la condition noire et des groupes opprimés. L’affaire a suscité une vive polémique devenue emblématique de l’emprise de la gauche diversitaire et puritaine sur des institutions universitaires aussi administrées selon des critères de rentabilité.
Robert Leroux dénonce enfin le mépris envers le passé et tout ce qui s’y rattache, et se montre très pessimiste par rapport à l’avenir de l’Université, aucune solution n’apparaissant à l’horizon à court terme. « On a perdu l’habitude de lire les grandes œuvres et les grands auteurs. Ce fait est bien connu, de sorte qu’il n’étonne personne, mais il n’est pas sans provoquer une vive nostalgie chez l’homme cultivé », souligne-t-il.
Les deux universités – Postmodernisme, néo-féminisme, wokisme et autres doctrines contre la science, Robert Leroux, Les éditions du Cerf (2022)
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