Accueil Édition Abonné Le rôle sulfureux du demi-frère de MBZ, le Sheikh Tahnoun, dans la radicalisation des Émirats arabes unis

Le rôle sulfureux du demi-frère de MBZ, le Sheikh Tahnoun, dans la radicalisation des Émirats arabes unis


Le rôle sulfureux du demi-frère de MBZ, le Sheikh Tahnoun, dans la radicalisation des Émirats arabes unis
Sheik Tahnoon D.R.

Si les Émirats arabes unis ont réussi à étendre leur influence du Moyen-Orient aux États-Unis, jusque dans la Maison Blanche de Donald Trump, c’est grâce aux efforts entrepris par le Sheikh Tahnoun, conseiller émirati à la sécurité nationale…


On n’a de cesse de parler de Mohamed Ben Zayed, fils du fondateur des Emirats arabes unis en 1971 et désormais nouveau président de la confédération depuis la mort de son père en mai dernier. On parle bien moins de son demi-frère, Tahnoun Ben Zayed, de la même dynastie, celle des Al Nahyane, l’actuel conseiller à la sécurité nationale des Émirats, et qui avait été nommé vice conseiller au même poste par feu son père en 2013. Et peut-être le prochain boss du pays ? 

Cheikh Zayed avait une vision de développement moderne et ouverte pour son pays. En revanche, son fils, prince héritier dès 2014, transformera et accélérera ce développement tous azimuts en radicalisant le pays, et ce jusqu’à influencer le destin du Moyen-Orient tout entier pour ses propres intérêts. Cette vision repose à la fois sur la nécessité de faire d’Abu Dhabi une forteresse imprenable, avec des capacités militaires importantes et la présence de forces étrangères comme assurance-vie, mais également sur l’urgence de mettre un terme à tous les mouvements démocratisants issus des Printemps arabes et qui ont pour lui bien trop fait la part belle aux mouvements des Frères musulmans. 

Le ju-jitsu, levier de la stratégie d’influence émiratie?

Dans la même veine, et non étranger à ce glissement géostratégique des Emirats, Sheikh Tahnoun, prend à cœur ce poste politique stratégique de conseiller à la sécurité pour le compte désormais de son propre frère. Fait moins connu : il joue depuis des années un rôle majeur dans le ju-jitsu mondial, ce sport de combattant asiatique tiré de l’art des samouraïs au Japon. Une façade ? Lui pratique en tout cas assidûment la version brésilienne de celui-ci. Il a ainsi créé la fameuse compétition ADCC World Submission Fighting Championships et a rôdé dans les rings américains dès 1995. S’étant fait passer pour un modeste élève, il ne révélera que bien plus tard à ses professeurs sa véritable identité. Il reviendra aux Émirats arabes unis dès 1998 pour développer ce sport de combat dans le pays. Aujourd’hui, son centre est un des meilleurs du monde arabe. 

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Son frère, Mohamed Ben Zayed, s’est pris de passion aussi apparemment pour le sport de combat de son frère. Enseigner le ju-jitsu à l’école, dans les entreprises, dans les administrations, voilà un de ses projets d’ampleur nationale. Cela conditionne une vision tout à fait guerrière de la société, à l’image de ses dirigeants. Il aide même des jeunes talents à percer. Voilà pour la version officielle. 

L’interventionnisme d’Abu Dabi envers les mouvements de révolte populaire arabes

Mohamed Ben Zayed et Sheikh Tahnoun, c’est une vision très autoritaire du futur du pays et de la région qu’ils rêvent d’orienter voire diriger. Des Printemps arabes survenus en 2010, il ne reste quasiment plus rien. Tous ont été étouffés ou se sont éteints d’eux-mêmes. Mais pour beaucoup, de l’Algérie au Yémen en passant par le Soudan, l’Egypte, Abu Dhabi porte la responsabilité en ayant soutenu par tous les moyens les pouvoirs autoritaires afin d’étouffer toute contestation démocratique dans le monde musulman. La paranoïa de Mohamed Ben Zayed, comme celle de son frère, de voir les Frères musulmans prendre le pouvoir dans leur propre pays, alors qu’ils ne sont même pas plusieurs centaines, a stimulé chez eux un vent de contre-révolution pour tout le monde arabe. Quid des processus de démocratisation ? Ils sont morts, même en Tunisie. Le Washington Post décrivait Tahnoun ainsi en octobre 2021 : « Si vous êtes intéressé par la géopolitique du Moyen-Orient, il y a de fortes chances que vous connaissiez le cheikh Tahnoun bin Zayed Al Nahyan en tant que conseiller à la sécurité nationale des Émirats arabes unis. Dans ce rôle, il a joué un rôle central dans les opérations militaires du pays au Yémen et en Libye, et dans ses récents efforts pour réparer les dégâts causés avec des rivaux régionaux comme la Turquie, le Qatar et l’Iran. » [1]

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Le cas litigieux de la Syrie concerne les deux hommes : MBZ est le premier et longtemps le seul dirigeant de la région et du monde à avoir appelé à la normalisation du régime de Bachar Al Assad, alors que dès 2012, des hommes d’affaires émiratis se pressaient à Damas pour envisager la reconstruction du pays à venir. Sheikh Tahnoun n’est pas vierge dans tout cela : alors que Washington impose des sanctions contre le régime de Damas, visant les réseaux de soutien à Bachar al Assad à l’étranger, le Washington Post révélait le 16 août 2020, que Tahnoun avait déposé près de 200 000 dollars sur les comptes bancaires de la nièce du président syrien, Aniseh Shawkat, en qualité de « parrain ». Depuis, les comptes ont été saisis, mais Tahnoun jamais poursuivi alors qu’il a clairement enfreint le droit international et le régime des sanctions imposé à Damas… Depuis des années, il semble y avoir un régime de faveur pour Abu Dhabi à Washington. De plus, en sa qualité de conseiller à la sécurité du pays, Tahnoon, a forcément un lien avec le projet Raven, ce grand projet de surveillance généralisé de cibles politiques bien déterminées, où l’on retrouvait d’anciens agents de la CIA, en charge de surveiller notamment des… Américains ! Tout cela, bien sûr, au nom de la guerre contre le terrorisme.

Ingérence durant le mandat Trump

En 2021, un businessman du nom de Thomas Joseph Barrack avait été arrêté aux Etats-Unis pour ses liens troubles avec les Émirats arabes unis et ses activités d’influence [2]. À l’époque, proche de Trump, il était un de ses principaux soutiens financiers lors de la campagne de 2016. Devenu conseiller informel pour le Moyen-Orient de l’administration Trump ensuite, il aurait intrigué en faveur d’Abu Dhabi pour influencer les politiques proches de la Maison Blanche. Lors de son procès qui a démarré en juillet 2021, et où il était accusé d’être un agent pour le compte d’un État étranger et d’avoir menti à maintes reprises au FBI, il cita plusieurs noms dont celui de MBZ, celui de Youssef Al Otaiba, l’ambassadeur émirati aux États-Unis, mais également celui de Sheikh Tahnoon en sa qualité de conseiller à la sécurité des EAU !

Derrière le ju-jitsu et cette volonté de démocratiser ce sport de combat, se cache manifestement un ardent combattant de réseaux, d’influence, et ce pour le compte de son autoritaire et combattant politique de frère. Beaucoup pensent déjà que le prochain big boss du pays, ce sera Tahnoon… L’autorité et le soufre, c’est de famille !


[1] https://www.washingtonpost.com/business/energy/meet-the-uaes-royal-troubleshooter-and-maybe-next-big-boss/2021/10/21/f33ea4e8-3234-11ec-8036-7db255bff176_story.html

[2] https://www.reuters.com/world/us/trump-fundraiser-barrack-loses-bid-dismiss-uae-lobbying-charges-2022-06-22/




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est chercheur en sciences politiques associé à l’ULB (Bruxelles) et à l’UQAM (Montréal). Publications récentes: "Les Emirats Arabes Unis à la conquête du monde" (2021, MAX MILO), "Les nouvelles menaces mondiales: La grande pandémie du déni" (2021, Mardaga).

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