Certaines œuvres littéraires sont parfois prophétiques, à l’instar de la pièce La Maladie Blanche, écrite peu avant la Seconde guerre mondiale, par Karel Čapek. Celle-ci résonne étrangement avec les épreuves tragiques que le monde traverse aujourd’hui: Covid et guerre en Ukraine.
« De la “guerre” contre le virus à l’amnésie, de la psychose collective à l’oubli total : mais comment se fait-il que nous soyons passés aussi vite à autre chose au sortir d’une crise sanitaire qui a pourtant provoqué, outre le nombre de morts, de si gros dommages psychologiques, sociaux et politiques ? » se demande le philosophe Abdennour Bidar, dans Le Monde du 14 juin, qui s’inquiète que cela n’ait pas été réellement pensé.
Peut-être, comme souvent, faut-il s’en remettre à la littérature pour répondre. Une pièce de Karel Čapek, La Maladie blanche, jouée en 1937, offre de troublantes analogies avec la pandémie que nous avons traversée depuis plus de deux ans et, cerise sur le gâteau, avec la guerre en Ukraine. Čapek, à qui on doit l’invention du mot « robot », imagine d’abord une épidémie venue de Chine, la maladie de Tcheng « qui gagne le monde entier comme un raz-de-marée. Oui, en Chine, presque chaque année, on voit surgir une maladie nouvelle et intéressante – c’est la pauvreté qui fait ça –, mais jusqu’à présent aucune n’a eu le succès de la maladie de Tcheng. C’est vraiment la maladie du moment. »
Au-delà de l’analogie géographique, ce que Čapek montre dans sa pièce, c’est qu’une pandémie est aussi liée à une époque dont elle révèle les contradictions et les craintes. Le Covid-19 a été « la maladie du moment », en montrant par exemple l’effet facilitateur de la mondialisation dans la manière dont il s’est répandu, mais aussi la mise en doute de la parole scientifique. On trouve ainsi dans La Maladie blanche des personnages prêts à tuer les médecins tenus pour responsables de la situation sanitaire.
Il est vrai, chez Čapek, que le scientifique qui a trouvé le remède ne veut le donner que si le Maréchal, un dictateur ubuesque, ne s’engage pas dans la guerre qui semble être son désir le plus cher : « N’ayez plus peur, il existe un remède à présent. Obligez vos dirigeants à signer un pacte de paix éternelle, à conclure un traité avec tous les pays du monde. Et c’en sera fini de la maladie blanche. »
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Le Maréchal déclenche, malgré tout, les hostilités contre ses voisins mais la guerre, qui devait être éclair, s’enlise. Et nous voilà renvoyés au conflit ukrainien, au mot près : « Ils ont commencé à se défendre, comme des enragés. Nous avons remporté des succès, mais l’attaque de la capitale a échoué. Nous avons perdu quatre-vingts avions… À la frontière, les chars ont rencontré une forte résistance. »
Čapek, qui meurt en 1938, imagine une fin presque heureuse à sa pièce. C’est bien là, hélas, la seule erreur de l’écrivain qui nous force aujourd’hui à repenser, en quelque sorte de manière rétroactive, l’étrange coïncidence des grandes catastrophes qui s’annulent seulement dans l’amnésie médiatique mais qui, dans la réalité, ont une fâcheuse tendance à se superposer.