Propos recueillis par Jacques de Guillebon et Élisabeth Lévy
Causeur. Avons-nous assisté, avec les Manifs pour tous, à la naissance d’une nouvelle droite ?
Guillaume Peltier[1. Ancien militant du Front national de la jeunesse (1998), puis du Mouvement pour la France de Philippe de Villiers (2001-2007), Guillaume Peltier est aujourd’hui vice-président de l’UMP et l’un des fondateurs de « La Droite forte », motion arrivée en tête avec 28 % des suffrages lors du vote de novembre 2012.].En tout cas, au réveil d’une nouvelle génération, raison pour laquelle j’ai parlé de « Mai-68 de droite ». Il y a une droite des valeurs qui se substitue à la droite des intérêts, et c’est elle qui se mobilise, comme elle l’a fait en juin 1968 et en 1984.
Vous savez bien, pourtant, que les « valeurs de 68 » ont pénétré l’ensemble de la société – jusqu’à Causeur, c’est dire…
Les « valeurs de 68 » ne sont pas le sujet en tant que tel. Cette nouvelle génération se mobilise pour réhabiliter le patriotisme, le mérite, l’effort, l’entreprise, la famille – notions jusque-là tenues pour ringardes. Les responsables de la MPT que j’ai rencontrés n’ont pas l’intention de se laisser dicter ce qu’ils pensent par le pouvoir. Ils croient à la conception naturelle de la famille, c’est-à-dire au droit pour chaque enfant d’avoir un père et une mère. N’oubliez pas que, depuis quarante ans, cette génération paye la négation de ces évidences.
Évidences, c’est vous qui le dites ! Le « droit de l’enfant » à avoir des parents, c’est assez rhétorique – et passablement « soixante-huitard ».
Disons qu’on a droit à l’idée d’un père et d’une mère. Et c’est cette idée qu’on a voulu abîmer de façon quasi totalitaire.
« Totalitaire », comme vous y allez ! Cette inflation verbale ne contribue pas à la compréhension.
Alors, disons « autoritaire ». En ignorant un authentique mouvement populaire, le pouvoir actuel nie la démocratie. C’est son mépris pour les manifestants, et plus encore pour les organisateurs, qui a entraîné la radicalisation, ultra-minoritaire au demeurant. Mais l’UMP n’a pas cherché à récupérer le mouvement mais l’a accompagné.
Amusant : ce sont exactement les mots de Marion Maréchal-Le Pen…
Peut-être, mais on n’a pas vu Marine Le Pen, alors que Jean-François Copé a été aux côtés des manifestants tout le temps. Nous devons faire comprendre à cette jeunesse qu’après le temps de la rue vient celui des urnes : la protestation d’un hiver et d’un printemps ne peut se concrétiser que dans un engagement civique et politique. Si nous ne voulons pas nous contenter de nous réveiller à la veille du vote de lois qui nous déplaisent, il faut que ce printemps 2013 ait, comme en 1968, un prolongement électoral. Aujourd’hui, le pouvoir n’a plus le pouvoir. Il s’agit justement de le rendre au peuple car c’est à lui de fixer le cap. C’est pourquoi nous devrons organiser des référendums sur tous les grands sujets qui, bien au-delà de la famille, ont été des moteurs du mouvement : l’Europe, l’École, la valeur-travail,…
Totalitaire ou impuissant, il faudrait choisir. Passons. La radicalisation a été, dites-vous, ultra-minoritaire. Si vous pensez à la violence, c’est indéniable ; il y a eu, à la fin du mouvement, une sorte de raidissement conservateur. C’est ainsi que Frigide Barjot, qui avait réussi à fédérer des gens représentant un très large spectre d’opinions et d’options existentielles, a été mise sur la touche.
Je répète que l’État doit garantir le bien-être des enfants, mais chacun doit pouvoir vivre comme il l’entend. [access capability= »lire_inedits »] Nous devons donc nous méfier de l’instinct de revanche et nous montrer très vigilants à l’égard de toute manifestation d’homophobie. C’est par le débat d’idées qu’on désamorcera toute forme de violence.
Le mouvement a t-il basculé vers le populisme ou vers l’extrême droite ?
Pour moi le terme « populiste » n’a rien à voir avec l’extrémisme politique, ni avec la stigmatisation de telle ou telle partie de la population : il se réfère au « peuple de France ». Cela signifie qu’il faut se tenir sur une ligne de crête entre une gauche culturellement coupée du peuple, qui nous dit « il n’y a pas de problème », et le Front national, qui pointe les problèmes mais leur apporte des réponses caricaturales. Par exemple, nous devons affirmer en même temps que nous n’avons rien contre l’islam, mais que chacun doit respecter nos valeurs et nos coutumes, autre évidence niée par les élites. Sur ce socle commun, nous ne lâcherons rien car, pour reprendre un slogan de ce printemps, « nous sommes la France ».
Encore faut-il, justement, être clair sur ce « nous ». Cette France représentée par les Manifs pour tous est-elle chrétienne ?
Culturellement, oui, comme en témoignent nos 36 000 clochers. Je préfère le Puy du Fou à Disneyland.
Mais le catholicisme doit-il être l’une des « identités » qui composent la diversité française ?
La communautarisation est effectivement le principal danger. Ce mouvement porteur d’espoir est un message d’alerte lancé à la droite française. Mais il ne faut pas que ceux qui se sont mobilisés se replient dans leurs écoles, leurs paroisses, leurs familles. Nous ne sommes pas une partie de la France, nous sommes la France. Nous devons, donc, la porter dans son intégralité, avec ses racines chrétiennes et avec sa laïcité, qui garantit la saine distinction entre le politique et le religieux.
Reste à faire vivre ensemble, avec ou sans tiret, deux France, mais aussi au moins deux droites. Culturellement, vous êtes assez éloigné de NKM…
Permettez-moi d’abord de rectifier ce qu’on a dit partout : je n’ai jamais appelé à battre NKM, j’ai exprimé une préférence, ce qui, me semble-t-il, est l’objet d’une primaire. Maintenant qu’elle est désignée, je la soutiendrai sans arrière-pensées. Pour autant, je suis convaincu que les valeurs que je porte sont aujourd’hui majoritaires et que nombre de nos difficultés s’expliquent par le divorce entre une élite microcosmique et le peuple de France.
La boboïsation va bien au-delà des élites : encore une fois, l’individualisme libéral a gagné l’ensemble de la société, donc de la droite.
Je crois au contraire que cette droite, qui vit dans les grands centres urbains, attend de nous un autre discours que celui de la gauche bobo. Par exemple, elle veut qu’on réhabilite le Paris des artisans, des familles, des entrepreneurs et de la voiture. Nous ne gagnerons pas avec « les rappeurs et les webdesigners », comme dit quelqu’un de chez vous [2. Cette heureuse formule sort du sémillant cerveau du non moins sémillant Marc Cohen.]. De moins en moins de Français croient que la mondialisation et le tout-permissif issus de 1968 conduisent au bonheur. La France, dans ses profondeurs, bascule. Chacun ressent l’angoisse identitaire, économique et sociale qui monte dans notre pays.
Donc, vous ne craignez pas d’être entraîné vers des positions réactionnaires au sens strict comme celles du Printemps français ?
La France aigrie ne me parle pas. Ce qui m’intéresse, c’est la France d’après, à condition qu’elle sache puiser dans une histoire bimillénaire. C’est cela qui rend libre. Or, aujourd’hui, sur cinquante livres d’histoire en circulation dans les écoles, cinq ou six, peut-être, parlent de Clovis et de Jeanne d’Arc. Pour autant, je ne crois pas à une société figée. L’avenir, ce sont « des racines et des ailes ».
Certains maires proclament leur refus d’appliquer la loi Taubira. Approuvez-vous la désobéissance civile ?
Depuis le débat entre Antigone et Créon, au Ve siècle avant Jésus-Christ, nous savons que la conscience a des droits contre les lois quand elles sont iniques. Pour autant, le principe de la désobéissance dérange le républicain que je suis. Nous avons toujours dit qu’après le vote de la loi, la manifestation du 26 mai devait être la dernière. Aux manifestants de continuer à se mobiliser pour que nous puissions la réécrire une fois au pouvoir. Je répète que, dès l’été 2017, nous devrons organiser un référendum sur cette question.
Éclairez notre lanterne : vous abrogez ou vous réécrivez ?
Nous proposerons une union civile qui offre aux couples homosexuels tous les droits et protections afférents au mariage, à l’exception de la filiation et de l’adoption qui doivent rester réservés aux couples formés d’un homme et d’une femme. Que je sache, la gauche ne se gêne pas pour détricoter toutes les lois que nous avons votées. Jusque-là, nous n’osions pas faire la même chose. Cette fois-ci, nous ne serons pas frileux. Mais pour que la droite ose être forte, ceux qui ont milité dans la Manif pour tous doivent se battre à nos côtés.
Laissez venir à moi les petits électeurs… Seulement, si les manifestants n’étaient pas de gauche, dans leur immense majorité, êtes-vous sûrs qu’ils sont de droite ?
De fait, beaucoup détestent les idées de la gauche mais ne croient pas encore à l’existence d’une force de droite qui les représente. À nous de les convaincre que nous pouvons redevenir une droite d’idées et de valeurs. Plusieurs responsables de la MPT nous ont déjà rejoints. Les portes de l’UMP leur sont grand ouvertes ! Il appartient à chacun de construire la droite de demain, de préparer l’alternance et de changer la vie. C’est le défi intime et civique posé à chacun de nos compatriotes. Nul ne peut s’alarmer de la situation de notre pays s’il ne s’engage pas dans la Cité.[/access]
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