Les rapports Sauvé et Braun sur la Justice et l’hôpital sont idéologiques, dénonce notre contributrice. Plutôt que de s’attaquer au laxisme de l’institution judiciaire ou au manque de lits, on y parle désengorgement des prisons et techniques de management en milieu médical…
À quelques jours d’intervalle, le gouvernement a reçu deux rapports concernant l’hôpital et la justice, deux sphères du régalien victimes d’une tiers-mondisation aggravée, avec pour conséquences ultimes : l’impossibilité de soigner et l’incapacité de juger. Après le rapport sur les urgences sinistrées remis par l’urgentiste François Braun qui est depuis devenu ministre de la Santé, c’était au tour de Jean-Marc Sauvé de remettre vendredi dernier le sien portant sur le délabrement avancé de la Justice.
Ces deux rapports, destinés à remédier à la crise des urgences et au dysfonctionnement judiciaire, vont très certainement venir alourdir les étagères des ministères et du palais de l’Elysée qui croulent déjà sous un amas de notes en tout genre pondues par des cabinets de conseils surpayés et les multiples comités Théodule dont les gouvernements français sont si friands. Et c’est hélas toujours la même histoire. Ces milliers de pages de recommandations, présentées comme majeures pour répondre aux crises existantes, ne modifient en rien la trajectoire en pente descendante que prend le pays. Et ce, en dépit de l’agitation d’un pouvoir en place qui tente de cacher derrière les apparences d’une grande puissance, les preuves de son insuffisance…
La France a mal à son hôpital
Si ces rapports ne sont pas performatifs, c’est bien souvent parce qu’ils ne s’attaquent pas aux vrais problèmes et ce principalement pour des raisons idéologiques.
Penchons-nous par exemple sur le rapport Braun. Au lieu de recruter massivement des soignants et de réintégrer les 15 000 soignants non vaccinés pour mettre un terme à la pénurie du personnel, au lieu de revaloriser les salaires à la hauteur de la moyenne de l’OCDE, au lieu de rouvrir les 17 500 lits qui ont été fermés sous le premier quinquennat Macron (dont 5 700 pendant la pandémie de Covid-19 !), au lieu de débureaucratiser l’hôpital qui compte 33% de postes administratifs (contre 22% en Allemagne), le rapport avance des préconisations quant aux techniques de management, pour mieux piloter la pénurie au lieu de la combler.
En amont, on nous dit qu’il faut fluidifier les urgences en proposant un système d’accès aux soins dont l’objectif est de filtrer les patients, afin de pouvoir accepter uniquement ceux en urgence vitale. En aval, il s’agit de mettre en place des « bed management », des chefs de projet de lits qui s’occuperaient de trouver les lits disponibles, un peu comme dans l’hôtellerie. Confronté aux déserts médicaux qui s’étendent comme des métastases cancéreuses, aux femmes enceintes sur le point d’accoucher qui doivent faire plus de 30 bornes pour trouver une maternité ouverte et à la multiplication de cyberattaques sur les systèmes informatiques vieillissants de nos hôpitaux, le rapport Braun répond par la limitation de l’accès aux soins pour éviter l’embolie. Il fallait y penser !
Autre crise, autre rapport
Après les abus sexuels dans l’église catholique, le vice président honoraire du conseil d’Etat, Jean-Marc Sauvé s’attaque à la Justice.
Là aussi, il est question de quantités. De même que, faute de soignants, l’hôpital est désarmé face à l’afflux de patients, la Justice ne compte pas assez de magistrats pour répondre à l’augmentation du nombre de jugements à prononcer. Mais là où le rapport Braun n’aborde pas le manque de moyens, le rapport Sauvé a le mérite d’axer une bonne partie de sa réflexion sur les considérations comptables, et de prôner le recrutement de 1 500 magistrats, de 2 000 juristes assistants contractuels, de 2 500 à 3 000 greffiers et d’au moins 2 000 agents administratifs.
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Certes, ce renfort ne peut être que salutaire pour une justice qui compte 10 juges pour 10 000 habitants (lorsque l’Allemagne en compte 24), et qui est dotée d’un budget frôlant à peine les 10 milliards quand l’Éducation nationale est à 51 milliards. Plus de juges réduira de facto le nombre affligeant de classements sans suite, d’infractions restées impunies et permettra de réduire le délai, aujourd’hui beaucoup trop long, entre la sanction prononcée et son exécution. « Plus le châtiment sera prompt et suivra de près le délit, plus il sera juste et utile » écrivait Beccaria. Pour l’instant, on en est loin ! Car de même que le rapport Braun ne s’attaque pas à la paupérisation de l’hôpital public et à l’accès aux soins à géographie variable selon les départements, le rapport Sauvé ne traite pas les causes profondes du dysfonctionnement de la Justice et confond la maladie (la violence devenue endémique) et le symptôme (une justice débordée).
Si les tribunaux sont engorgés, ce n’est pas uniquement une question de ressources et d’effectifs. C’est aussi parce que notre pays s’est ensauvagé à vitesse grand V avec une violence gratuite toutes les 44 secondes, un homicide ou une tentative d’homicide toutes les deux heures, un refus d’obtempérer toutes les 20 minutes. Et ne parlons même pas des profs et des policiers qui vont travailler la peur au ventre, des chauffeurs de bus qui se font tabasser jusqu’à ce que mort s’en suive, des égorgements jusque devant nos écoles, des pompiers qui tombent dans des guets-apens… Cette liste, aussi longue que la muraille de Chine, prouve combien l’insécurité est loin d’être un « sentiment » comme le prétend notre ministre de l’ « Injustice » ! Pour lutter contre cette hyperviolence omniprésente (qui atteint désormais des zones rurales jusqu’alors épargnées), on a affaire à une chaine pénale laxiste qui érige l’incarcération en exception et l’aménagement des peines en norme.
On l’a vu avec le verdict du procès des policiers brulés vifs à Viry-Chatillon en 2016 (huit acquittements sur les 13 assaillants présentés au tribunal), ou avec la décision de la cour de cassation ayant jugé irresponsable pénalement Kobili Traoré, l’assassin antisémite de Gisèle Halimi. Notre justice ne punit plus avec fermeté mais préfère avertir avec des rappels à la loi et du sursis. On l’a encore vu avec l’agresseur de la professeure de Combs-la-Ville, en Seine-et-Marne, en début d’année, condamné par le tribunal de Melun à cinq mois d’emprisonnement avec sursis et à 140 heures de travaux d’intérêt général.
Et quand la justice sanctionne, elle le fait mal avec des requalifications de crime en délit. C’est ce qui s’est passé pour les meurtriers de Philippe Monguillot, ce chauffeur de bus tabassé à mort en juillet 2020 pour avoir demandé à des racailles de porter le masque. La juge d’instruction a permis à ce que les assassins échappent aux assises et donc à la perpétuité en requalifiant les faits en homicides involontaires…
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Lâchez le mot : laxisme !
La dénonciation de ce laxisme judicaire devrait être la pierre angulaire de tout rapport visant à améliorer le fonctionnement de la justice. Il n’en est rien. Imprégné par la doxa anti carcérale selon laquelle la prison est l’école du crime et une machine à récidive, le rapport Sauvé exclut radicalement le retour des courtes peines supprimées par les lois Taubira et Belloubet pour éviter la surpopulation carcérale. Peu importe si justement les courtes peines exemplaires peuvent être envisagées pour arrêter l’escalade des délits et de la violence chez les primo-délinquants, créent de la dissuasion et donc permettent de désengorger les prisons.
En n’abordant pas la question de l’inapplication des peines et de leur sévérité et en rejetant la promesse macroniste, jamais tenue, de construire de 15 000 places de prisons supplémentaires, le rapport Sauvé risque de nourrir le sentiment d’impunité des délinquants et de confirmer que la violence même la plus radicale a droit de cité. Jean-Marc Sauvé veut sauver une corporation, en réalité il ne fait que la perdre. « Dieu rit de ceux qui se plaignent des effets dont ils chérissent les causes » : la sentence terrible de Bossuet me semble plus que jamais d’actualité !