Que voir cet été au cinéma? Si l’offre ne s’annonce pas pléthorique, elle révèle cependant quelques pépites qui permettront un retour dans les salles obscures: pour que vive le cinéma! Jean Chauvet nous parle ici d’Ennio Morricone, de Dominik Moll ici, et du prix de la mise en scène au Festival de Cannes ici.
Il y a deux ans, le 6 juillet 2020, Ennio Morricone mourait à Rome, sa ville natale, à l’âge de 72 ans. Ennio, le documentaire réalisé par le cinéaste italien Giuseppe Tornatore (l’auteur, entre autres de Cinema Paradiso) lui rend un hommage particulièrement fouillé, en insistant sur la dimension cinématographique de l’œuvre de ce compositeur de génie. Ce qui, soit dit en passant, ne fut pas toujours évident, y compris aux yeux du maestro lui-même : longtemps Morricone a considéré la musique de film comme un sous-genre, mettant plus volontiers l’accent sur ses talents de compositeur de musique symphonique, de pianiste ou bien encore de chef d’orchestre. Cependant, collaborations prestigieuses aidant, il a dû au fil du temps se rendre à l’évidence. Non seulement la B.O., comme on dit, n’est pas un art mineur, mais son apport à lui dépasse largement la moyenne. Au panthéon des musiciens de cinéma, l’Italien occupe depuis des décennies une place à part et même un statut de commandeur tant on s’accorde pour parer sa musique de toutes les vertus. Capables d’ironie raffinée comme de lyrisme débridé, ses compositions pour Leone, Pasolini, De Palma, Bolognini, Bertolucci, Joffé, Verneuil, Enrico, Tarantino et tant d’autres sont souvent devenues des tubes aux mélodies immédiatement identifiables avec leur cortège de voix féminines, de siffleurs, de guimbarde et autres instruments décalés utilisés comme autant de marqueurs.
Mêlant très classiquement, sur deux heures et demie, entretiens et extraits de musiques et de films, le documentaire de Tornatore va à l’essentiel en donnant la parole à une pléiade de témoins. De Quincy Jones à Nicolas Piovani, en passant par Tarantino, Eastwood, Springsteen ou Bertolucci notamment, tous apportent leur pierre à l’édification d’un mausolée mérité. Même la réalisatrice italienne Lina Wertmüller quand elle déclare, non sans raison : « Il était fou, c’est certain. » Car il s’agit assurément d’une folie géniale. Tyrannique, exigeant, monomaniaque, colérique… Morricone cumulait ces qualificatifs peu amènes. Mais qu’importe au regard d’une œuvre musicale cinématographique à nulle autre pareille. Comme le dit à Tornatore le compositeur italien Nicolas Piovani, collaborateur inspiré, entre autres, de Nanni Moretti : « Morricone fut la grande exception à toutes les règles. » Autrement dit, un artiste à part, hors norme. Dans le film, Tarantino raconte la façon dont il l’aborda pour la musique de son film Les Huit Salopards. Lui l’abonné à la réutilisation de musiques de film déjà existantes désirait cette fois confier à Morricone l’écriture d’une partition originale. Surprise et incompréhension du maestro qui finit cependant par accepter la commande. Et prenant un malin plaisir à composer une œuvre symphonique en totale rupture avec les compositions dont Tarantino se servait habituellement. Le résultat est aussi déconcertant que réussi.
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C’est le grand mérite du film de Tornatore que de s’effacer devant les musiques de Morricone, en cherchant à mettre en valeur leur singularité extrême. À leur propos, Clint Eastwood affirme : « Elles étaient modernes à l’époque de leur composition, elles le sont toujours. » Le cinéaste américain évoque bien évidemment les B.O. composées par Morricone pour les fameux westerns-spaghettis réalisés par Sergio Leone. Et notamment la musique de Pour une poignée de dollars. Eastwood, qui n’était alors qu’acteur, sait combien ces partitions rythmées et iconoclastes ont participé au succès des films. Peut-on imaginer Il était une fois dans l’Ouest sans les morceaux de Morricone ? Ils lui donnent une incroyable dimension mélancolique, pulvérisant ce que le scénario peut avoir d’anecdotique. Depuis lors, le succès de Morricone n’a cessé de croître, y compris à travers des concerts dans le monde entier. Des concerts de musique de film, mais sans film. Preuve irréfutable de l’autonomie des compositions du maestro italien. C’est sa musique que l’on vient écouter, même quand il n’est plus de ce monde pour la diriger. Et il n’est pas plus bel hommage.