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Le 4 juillet 1916, un Américain est mort pour la France

Le poète Alan Seeger est mort au combat dans la Somme, le jour de la Fête nationale américaine


Le 4 juillet 1916, un Américain est mort pour la France
Alan Seeger © Wikimédia Commons

Thomas Jefferson, un des pères de la nation américaine, disait que « tout homme a deux patries : la sienne et puis la France ». Le jeune poète Alan Seeger naquit sous le ciel de la première et, par le mystère qui s’opère chez les hommes disposés à devenir soldats de l’idéal, combattit et mourut sous les drapeaux de la seconde.


Nous l’imaginons dans cette marée d’étrangers qui, le 25 août 1914, défila dans les rues de Paris pour s’enrôler aux Invalides. Ils étaient 20 000, dont 201 Américains, à répondre à l’Appel aux étrangers de Blaise Cendrars et clamant qu’ils avaient, oui ! eux aussi aimé et chéri ce pays d’accueil comme une seconde patrie. Le « besoin impérieux de lui offrir leurs bras au service de la plus grande France » s’était fait sentir, et Seeger s’engagea à la Légion étrangère dès le début de la guerre.

Dette morale

Arrivé à Paris en 1912 après des études à Harvard, il voulut dévouer sa vie à la beauté et à la poésie : seule la France était digne d’admiration à ses yeux, puisqu’elle échappait au matérialisme américain et à la banalité ambiante des relations humaines. Déçu de New York, qui n’avait pas satisfait son envie de grandeur, c’est la France qui lui fournit sa nourriture spirituelle. À l’heure où sa nouvelle patrie était menacée, il devait répondre à sa générosité, dût-il en mourir. Faisant écho à Cendrars, il confronta les étrangers résidant en France qui hésitaient à s’enrôler : naturalisés ou pas, le devoir leur incombait, puisqu’après avoir récolté « tous les bénéfices et toutes les bénédictions » que la France leur avait offerts en les accueillant, n’avaient-ils pas contracté envers leur nouvelle patrie une dette qui, n’étant certes pas légale, demeurait morale ?

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Animé d’une foi hautaine, intransigeante et infaillible en sa terre d’accueil, n’apercevant que gloire et beauté dans les paysages défigurés, puis ne se plaignant jamais du dur labeur propre aux soldats, le légionnaire Seeger avait le don de se faire remarquer, notamment par ses supérieurs. Enthousiaste et énergique, aimant passionnément la France, engagé auprès du Régiment de marche de la Légion étrangère(RMLE), Alan Seeger combattait le jour et écrivait la nuit, puis son talent littéraire prit toute son ampleur pendant la guerre. L’armée française de l’époque étant sensible au génie du soldat-poète, elle encensa son talent.

D’ailleurs, après sa mort en 1916, la ville de Paris envisageait déjà l’installation d’un monument à son effigie dans le Quartier Latin portant l’inscription de son poème le plus célèbre, J’ai un rendez-vous avec la mort. Ainsi, la ville rendait hommage non seulement au soldat, mais aussi à l’écrivain. Jean Richepin, de l’Académie française, refusa de traduire en vers ses poèmes de « premier ordre » tant leur beauté était intouchable. Un journaliste pour Le Matin déclara le 24 août 1916 que « cet admirable volontaire Américain, par ses vers, a écrit un testament que Cyrano de Bergerac eût signé ».

Fiers Français

Les Américains, eux, jugèrent que son œuvre était de « second ordre », démodée et immature, surchargée d’un romantisme périmé qui n’était convenable qu’aux jeunes garçons s’obstinant encore à lire Byron. Le mépris était réciproque : en 1916, les Américains ne s’étant toujours pas décidés à rallier l’effort de guerre, Seeger leur avait reproché l’abîme moral qui les séparait dans Un message à l’Amérique :

« …quand retentit le terrible appel aux armes et que vint le temps de régler la querelle, [les Français] s’élancèrent vers leurs canons et chaque homme fut là, prêt, ardent. Observez, et vous verrez s’ils ne combattront pas jusqu’au bout pour leurs foyers, leurs autels et leur passé.

Oui, ils lutteront jusqu’à ce que tout le sang de leurs veines soit tari, pour l’amour de ce pays qui ne veut pas mourir !

O amis ! dans votre heureux bien-être présent […] si vous voyiez comment peut s’exalter une race, qui n’a point l’amour, non plus que la crainte de la guerre ; comment chacun peut abandonner son rôle personnel pour que tous puissent agir en parfaite communion ; comment des hommes peuvent s’élever jusqu’à la place qu’ils revendiquent, et une nation, jalouse de son bon renom, être fidèle à ses traditions de fierté, – Oh ! regardez ici et que la France vous enseigne ! »

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Insatiable d’épopées, Alan Seeger ne connaissait donc qu’un langage, celui de la chevalerie. Dans son Ode à la mémoire des volontaires américains tombés pour la France, Seeger parle encore et toujours de cette seconde patrie qui, « leur ouvrant les rangs glorieux de [ses] soldats, leur a donné cette occasion unique de se surpasser, la chance de vivre une vie pure de toute souillure, et le rare privilège de bien mourir ». Force est de constater que c’est la guerre qui le fit homme et c’est la France qui le fit poète. Les États-Unis n’y firent rien.

Au début du mois de juillet 1916, le RMLE était engagé dans la Somme, ayant pour mission d’atteindre le village de Belloy-en-Santerre malgré le crachement des mitrailleuses allemandes. Dans une lettre adressée à un ami quelques jours avant l’assaut funeste, il parla comme un prince : « Nous montons à l’attaque demain. Nous aurons l’honneur de marcher dans la première vague ». Il sauta le parapet avec un sourire aux lèvres qui dédaignait la vie, sachant par avance qu’il allait mourir jeune, et donc mourir beau. Touché mortellement à l’estomac quelques instants plus tard, il parvint à se faufiler dans un trou d’obus et se prépara au trépas.

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Dans le récit des événements relatés par le colonel Montagnon, se passa alors « quelque chose de sublime ». Lors de l’assaut final, les mourants allongés sur le sol crièrent ensemble « Vive la Légion ! Vive la France ! Vive la France ! », se soulevant comme ils le pouvaient pour vivre et voir dans un ultime effort la gloire des survivants. Gisant dans le no man’s land en attendant les secours, Seeger chanta toute la nuit des chansons populaires françaises pour encourager ses frères d’armes qui continuaient le combat. À mille lieues de là, pendant qu’il chantait la France en agonie, le ciel américain brasillait de feux d’artifices pour le Fourth of July. Les secours ne vinrent pas à temps, et le légionnaire mourut sous un ciel français flambé d’obus.

Modeleuse des âmes, la Légion étrangère éleva en un seul corps et en un unique esprit des hommes qui donnèrent tout pour une patrie qu’ils aimaient à espérer et prendre pour la leur. Saluons les États-Unis d’Amérique qui, ce soir-là, donnèrent un de leurs fils à la France. Dans son miracle, elle voua cet étranger à devenir non pas un Français par le sang reçu, mais par le sang versé.

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Chercheuse québécoise en histoire et littérature militaires françaises, Mélanie Courtemanche-Dancause collabore au magazine "L’Incorrect".

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