La canicule aidant, les vacances arrivant, notre chroniqueur, las de commenter une actualité politique d’une nullité — prétend-il — déprimante, a choisi pour l’été de vous recommander des romans gouleyants — comme le vin rosé du même nom, dont il a apparemment abusé.
Sans doute avez-vous appris, du temps où l’on vous demandait d’écrire des dissertations, que le Je est le mot interdit par excellence. « Le moi est haïssable », disait Pascal — et comme il avait raison ! Et comme sont lâches et veules les enseignants qui tolèrent que leurs élèves, sous prétexte de « s’exprimer » — comme les citrons —, agrémentent leurs copies d’une litanie de Je / Moi introduisant à chaque fois une pensée désolante de pauvreté, remarquable de niaiserie et révélatrice d’un Ego hypertrophié pour compenser leurs insuffisances cérébrales.
Écrire au Je demande donc soit du génie dans l’ingénuité narcissique :
Jean-Jacques Rousseau : « Je forme une entreprise qui n’eut jamais d’exemple, et dont l’exécution n’aura point d’imitateur. Je veux montrer à mes semblables un homme dans toute la vérité de la nature, et cet homme, ce sera moi. »
soit du génie tout court :
Chateaubriand : « « Levez-vous vite, orages désirés qui devez emporter René dans les espaces d’une autre vie ! » Ainsi disant, je marchais à grands pas, le visage enflammé, le vent sifflant dans ma chevelure, ne sentant ni pluie, ni frimas, enchanté, tourmenté, et comme possédé par le démon de mon cœur. »
Mais l’étalage des traumatismes enfantins répétés ad libitum (Christine Angot, L’Inceste, dont Pierre Jourde et Eric Naulleau disaient fort justement que « toutes les lignes de force de l’œuvre en gestation sont ici déjà repérables : agitation, déni du réel, livres qui tiendraient aisément sur quelques centimètres carrés promis aux bennes de recyclage ») ou des petites sodomies du soir / espoir (Angot encore, éblouissement de son anus solaire dilaté par Doc Gyneco dans Le Marché des amants), ce n’est pas, ce ne sera jamais de la littérature.
Au fond, la seule excuse de l’autofiction, c’est l’auto-dérision. Et à ce jeu-là, Fabrice Caro est très fort. Son roman, constitué de courts chapitres faits pour être lus entre deux stations de métro, est hilarant d’un bout à l’autre, parce que le narrateur ne se prend jamais au sérieux.
Comme toute œuvre profondément comique, ça commence mal : « Cette semaine-là, à quelques jours d’intervalle, mon meilleur ami d’enfance s’est suicidé, Lisa m’a quitté et on annonçait qu’une météorite allait frôler la Terre à une distance suffisamment proche pour que l’on s’en inquiète. »
C’est donc d’un double deuil, en amitié et en amour, que le narrateur tente de s’affranchir — sans parler de la problématique relation à sa mère. On sait que tout roman un peu ambitieux est le travail de deuil d’un événement traumatique, travail au reste impossible à clore, mais générateur de texte(s). Lisa est une petite garce qui l’a quitté pour un quinquagénaire sorbonnard spécialiste de Ronsard, après lui avoir craché à la gueule, au vu de l’insuccès total de son premier roman : « Tu veux pas écrire un roman sérieux ? »
Alors, il va essayer. Tout en rencontrant les créatures que des amis bien intentionnés et quelque peu entremetteurs mettent sur son chemin. Tout en cherchant à écrire « un roman sérieux ». Et tout en s’occupant de la piscine d’amis partis en villégiature — une piscine envahie peu à peu de notonectes, puis d’algues, puis de choses immondes : elle se charge en fait du fatras qui occupait le crâne d’Alan Cuartero, l’anti-héros de cette pochade hilarante.
Fabrice Caro s’est fait connaître avec une BD tirée à plus de 180 000 exemplaires, Zaï Zaï Zaï Zaï (2015). « Un projet difficile à résumer, très burlesque, proche du nonsense britannique », a précisé l’auteur à Télérama — sans rien préciser du tout, c’est son style. Il avait failli devenir prof, mais la fréquentation de l’IUFM de Montpellier, l’un des plus ancrés dans le totalitarisme pédago, l’a fait dévier vers le dessin et la littérature. Un prof de perdu, un auteur retrouvé.
Je ne vous divulgâcherai pas les détails de l’intrigue : tout burlesque réussi est justement dans les détails, sur fond de drame. Buster Keaton dans le temps en avait fait sa marque de fabrique. Caro écrit très vite, mais avec un sens du rythme qui évoque justement les grands burlesques américains du cinéma muet. Ça ferait un très beau scénario, s’il se trouvait un acteur français capable d’auto-dérision en mettant son Ego de côté — mais ça, c’est mission impossible.
Fabrice Caro, Samouraï, collection Sygne, Gallimard, 220 p.