Vous êtes de gauche, vous adorez les cultures lointaines et la 10vR6T, vous adorez partir à la rencontre de l’Autre, écouter les récits d’Ailleurs et contempler la beauté issue du bout du monde ; voici un petit listing des endroits qui sauront vous ravir, d’autant plus qu’on ne s’y retrouve …qu’entre petits Blancs (scientifiquement prouvé par votre serviteur au gré de ses sorties) :
– Les cafés citoyens et les bars alternatifs :
Ce sont ces lieux de convivialité où se rencontrent les néo-hippies et les pünques, où se marient Tiken Jah Fakoly (« ouvrez les frontièèèères ») avec les Bérus (« La jeunesse emmerde / le Front national ») dans la playlist du barman – un backpacker suédois qui a monté une asso avec des copains rencontrés en Erasmus à Budapest. Déco sommaire, cheap et récup. C’est le bric-à-brac façon « on recycle, tu vois », mais sans vraie chaleur humaine, parce qu’on ne va tout de même pas faire dans le confortable, on n’est pas chez les bourges. Un vieille chaise de chez Emmaüs rafraîchie en urgence, c’est cool et c’est bien assez pour boire un jus carotte-topinambour en terrasse. On cause d’une mission humanitaire au Togo, on se recommande un film palestinien, on parle d’un documentaire sur le Tibet. Mais comme on n’a jamais vu de pünque noir ni de hippie arabe ou aux yeux bridés, on est absolument sûr de passer une soirée entre faces de craie.
– Le Théâtre National Populaire : Destiné à faire adhérer les masses populaires aux concepts intellos, le TNP s’est très vite dépeuplé des masses populaires, pour capter finalement le seul auditoire réceptif aux concepts intellos : majoritairement les professeures de gauche (reconnaissables notamment à leurs châles, à leurs colorations capillaires rouge feu, et de façon générale à l’inélégance inhérente à la gent fonctionnaire), et les bourges de centre-ville qui prennent leurs grosses voitures pour aller se cultiver un peu en compagnie de leurs enfants de plus de 15 ans. Une soirée au TNP est l’assurance de passer une soirée entre gens de gauche – à quelques exceptions près – sans avoir à croiser le moindre petit cas social ou la moindre personne issuedeladiversité. D’où l’intérêt de l’avoir décentré dans une commune susceptible de remplir la charte « on va viser les publics populaires, tu vois ».
– Les assemblées générales de la CGT : Évidemment, il faut y avoir ses entrées, ce qui n’est pas mon cas. Mais une tripotée de reportages sur la question finit par établir ce constat : les responsab’ de la CGT sont des têtes bien chenues. Certes, leurs causes finissent toujours par les mener vers les squats de sans-papiers maliens et les halls d’aéroport où l’on expulse un Moldave et demi tous les six mois, mais les instances dirigeantes ont quand même l’air sacrément pâlichonnes. Et puis comment voulez-vous continuer à manger les bonnes vieilles saucisses-Kronenbourg en compagnie d’intoxiqués de Dieu (l’opium du peuple) qui ne touchent ni au porc ni à l’alcool ? La CGT, donc, est un bon plan pour rester entre blancos, pourvu qu’on ne soit pas obligé de faire trop de terrain pour aller draguer la clientèle sous les caméras.
– La Cité Nationale de l’Immigration : Projet destiné à flatter les néofrançais, à les inviter à se réapproprier-leur-histoire, à prouver que le péhidédrouadlom n’est pas exclusivement un truc de Gaulois, à satisfaire le trip électoral des élites bien-pensantes, et surtout à faire entrer les citoyens de la 10vR6T dans les musées, il s’est avéré un bide monumental. C’est bien simple : passés les premiers jours de buzz, l’endroit n’intéresse désormais plus personne, et les rares clampins qui s’y promènent de leur plein gré sont en immense majorité des toubabs. Je dis « de leur plein gré », parce que j’ai cru comprendre que des convois scolaires se sentaient obligés de venir y traîner de force des gamins, pour entretenir l’illusion que cet onéreux endroit est rentable et remplit son office. Raté. La Cité de l’Immigration est le lieu tout indiqué pour se faire reluire sa bonne conscience de gauchiste en restant entre Gaulois.
– Les concerts de musiques métisses : Ce genre de concert ou de festival a le don de recréer la ségrégation d’antan : les Noirs et les métis d’un côté (la scène), les Blancs de l’autre (la salle). Comme la scène et la salle sont séparées spatialement (une estrade, une barrière, les gros-bras-de-la-sécurité…), on est pratiquement sûr de s’amuser entre soi, sauf si le club de salsa du quartier est venu s’éclater sur de la bonne musique. Dans ce cas-là, il faudra compter avec le prof de capoiera [brésilien], la collègue du département consulting [argentine], et une nana luso-capverdienne trop bonne, dont le père est métis cubano-angolais. Enfin bref, ce type de festival cultive le goût du contraste entre la tête d’affiche et la tête du public.
– Les Journées du Patrimoine : La campagne publicitaire de l’an dernier a mis au jour la détresse des organisateurs : à grands coups de « Hugo, Fang, Zoubaïda, Oussine, Zoé, Malek, ON Y VA TOUS !« , le ministère de la Culture a fermement enjoint la Diversité à se cultiver, d’autant que c’est gratos. C’est que ça les inquiète sérieusement de voir leurs statistiques ethniques et culturelles désespérément pâles. Ce qu’ils ne comprennent pas, c’est que la « Culture » muséifiée est un truc particulièrement white and nerdy. Les Journées du Patrimoine sont donc très largement investies par les bobos altercitoyens, qui peuvent se promener dehors pendant tout le week-end sans croiser le moindre boubou.
– Les boutiques bio et équitables : Garnies de mille produits exotiques issues des confins de laplanète©, ces boutiques se font une joie de vous offrir le meilleur des cinq continents. Quinoa de Bolivie, café de Côte d’Ivoire, thé d’Ouzbékistan, sucre fair trade d’Amérique centrale, c’est le monde entier concentré dans votre supérette toute de vert décorée. Quiconque a un peu de jugeotte suppute immédiatement que tel produit ravira évidemment la communauté Untel qui en raffole, que tel aliment saura forcément faire le bonheur de telle autre communauté réputée pour préparer tel plat à merveille, que la présence de telle ou telle épice dans les rayonnages fera venir la famille Machin qui est originaire de là-bas… Quelle magnifique perspective de vivrensemblisme s’ouvre là, au seuil de cette épicerie-librairie-wifi ! Bah oui, mais en fait non. Car les chinois et les vietnamiens vont dans leurs échoppes à eux, les arabes vont sur les étals du marché où ils ont leurs habitudes, les arméniens ont leur fournisseur au fond d’une cour où l’enseigne est à peine visible ; si bien que finalement, dans la boutique bio et équitable, on ne trouve que des mamans à sarouels et des papas à écharpes de portage, qui s’appellent tous Dugenou, Durand, ou Michu, et qui ne sont bronzés que quand ils reviennent de leur séjour-découverte passé dans une yourte au Kazakhstan.
*Photo : simonevalitutto.
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