Un coup de gueule de Sophie de Menthon quant à notre conception très baroque de l’intérêt général
Nous nous gaussons depuis dix jours d’une Assemblée ingouvernable. Chacun y va de son commentaire politique. Mais, si nous nous regardons bien, ce sont nous, les Français, qui sommes irrécupérables ! On peut considérer l’intérêt général comme rien de plus que la somme des intérêts particuliers. Mais, plutôt que de somme, il faut bien plutôt parler de division, tant nous sommes devenus individualistes.
Les syndicats, supposés nous représenter, sont une force et une menace de paralysie permanente du pays. Les veilles de vacances, par exemple, sont pour eux des occasions rêvées de grèves dans les transports. Il s’agit d’être le plus nuisible possible. Normal, disent-ils, avec leur bonne foi coutumière, si cela ne gêne personne, pourquoi faire grève ? De même, il est apparemment également salutaire de faire grève le matin des examens ou du bac, pour que nos jeunes apprennent comment se comporter plus tard. Enfin, les soirs de matchs semblent aussi une excellente opportunité. N’oublions pas que le désastre du Stade de France, le 28 mai, avait démarré par la formidable logistique des couloirs de métro et RER environnants, bloquant les accès habituels – ce qui n’avait pourtant pas empêché les loubards (pardon ! réflexion nauséabonde) d’arriver sur les lieux au bon moment.
Le droit de grève transformé en devoir de grève
Tout cela est normal, et personne n’osera dire à quel point c’est scandaleux : nous sommes le pays non pas du droit de grève mais du devoir de grève, et il y a toujours des journalistes complaisants prêts à tendre leur micro au seul passant qui comprend, voire qui approuve pareils blocages.
Nous sommes le pays qui a inventé le terme « d’incivilités » pour atténuer toutes les nuisances : les vols, les agressions, les détritus répandus avec bonheur un peu partout, les graffitis, les tags… Pour un peu, on plaindrait Anne Hidalgo, dont les équipes municipales sont condamnées à nettoyer une saleté le soir qui sera retrouvée le lendemain matin.
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Nos concitoyens se sont donc débrouillés pour obtenir une Assemblée nationale qui leur ressemble, ingouvernable ! Et en ne votant quasiment pas, quel tour de force ! D’ailleurs, ils ne se plaignent pas vraiment de ce résultat électoral distrayant, ils sont même plutôt curieux de voir débarquer dans les lieux de pouvoir ceux qui veulent la révolution, en tee-shirt, jeans et tatouages sympas – de quoi faire honte aux malheureux huissiers en queue de pie !
« Insoumis », le terme nous va si bien. Notre pays aime la gauche, elle serait la seule respectable et la garantie d’une morale partageuse et égalitariste. La France est à droite, mais respecte la gauche. La générosité est à gauche, un point c’est tout. On a honte de notre droite… Nous sommes dyslexiques devant la bonne gouvernance, que l’on n’assume pas.
Des cancres
Nous aimons notre État, tout en nous plaignant quand l’administration se substitue à lui, tout en nous plaignant de la dette abyssale qu’il creuse pour notre bien – et disons-le, à notre demande. Qui n’aime pas les chèques cadeaux, à part ceux qui les paient ? Dans les dîners, nous répétons sentencieusement que cette dette, nous la laisserons à nos enfants, mais en toute franchise, tout le monde s’en fiche, à part quelques économistes qui sont du mauvais côté : celui de l’économie. D’ailleurs, nos chers petits ont trouvé vachement cool de voter Mélenchon, le cancre talentueux de la politique économique.
Et l’emploi… Ah ! L’emploi, nous le réclamons, et nous vantons le plein emploi… mais en détestant le concept du travail qui demeure l’exploitation de l’homme par l’homme. Allez comprendre… D’ailleurs, le plein emploi, il paraît que nous y sommes, impossible de recruter ! Où sont passés les demandeurs d’emploi ? Certains sont particulièrement habiles, car en France on « se met au chômage », on joue avec les aides, les complexités, les tolérances : ils sont nombreux les profiteurs de l’État.
Nous confondons compromis et compromission
Nous nageons dans nos contradictions. Nous passons notre temps à citer les Allemands en exemple, à vanter leur capacité à créer des consensus en politique – simplement parce qu’ils acceptent de voir la vérité en face. Ce n’est pas possible pour nous, car c’est la détestation pour ne pas dire la haine qui nous définit. Nous sommes tellement fiers de nos nouveaux élus qui se targuent de ne pas être des « béquilles » éventuelles pour le gouvernement. Les nuances sont rejetées comme des compromissions. Il n’y a qu’en France qu’on confond compromis et compromission, pour reprendre la formule du politologue Pascal Perrineau.
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Pour assaisonner tout cela, nos médias nous abreuvent de réflexions sentencieuses des experts en expertise ; c’est ainsi que pour parler de programmes économiques pendant toute cette campagne électorale, on n’a pratiquement jamais vu un chef d’entreprise sur un plateau de télé ni dans un débat politique. Normal, ils incarnent un rapport à l’argent qui met tous ceux qui en gagnent ou en font gagner du mauvais côté idéologique, gauche et droite confondues…
Quels enfants allons-nous laisser à la France ?
Et notre responsabilité collective ne s’arrête pas à ces tristes constats que je viens de faire. Nous nous indignons aussi du niveau de nos enfants, dont on découvre qu’un sujet du bac banal les plonge dans un abime de perplexité (« Le jeu est-il toujours ludique ? », mais que diable peut bien vouloir dire ludique ?) Tout y passe : le niveau lamentable de notre école, les profs et leur pédagogie pourrie qui nous font chuter dans les classements, le mot trop difficile (sic) mais qui était au programme !
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Mais nous, les parents ? Nous qui sommes incapables de leur donner envie de lire, nous qui avons peur de confisquer les écrans le soir, qui leur donnons un exemple lamentable en pianotant nous-mêmes à table sur nos portables avec la télé allumée ! Ce n’est quand même pas à l’Éducation Nationale de leur lire des histoires le soir quand ils sont petits, de leur proposer des lectures, d’enrichir leur vocabulaire… Nous avons peur de sévir et d’être directifs, nous avons lâché prise en matière d’éducation, d’exigence, de tenue, de savoir-vivre… En disant cela, je suis consciente du fait que je serai accusée d’être réactionnaire, bourgeoise et inadaptée à l’époque. La belle affaire, et la belle époque ! D’ailleurs, souvenez-vous du temps, pas si lointain, il y a une quinzaine d’années encore, où le prof avait toujours raison et l’enfant puni en classe n’envoyait pas ses parents engueuler le prof. Nous exigeons de l’autorité et de la sécurité, mais vilipendons de la même façon la police, et dès que l’autorité se manifeste, nous hurlons à la dictature. J’ai évoqué le sujet dans mon précédent billet.
Résistance !!
Mais quand même, ne désespérons pas, il y a aussi cette France profonde (à ne pas confondre avec le détestable État profond !) qui est toujours là. Profonde, parce qu’elle réfléchit et raisonne avec bon sens, parce qu’elle a intégré des valeurs, qu’elle se tait, ne vote peut-être pas toujours, par déception, n’est pas droguée à l’info en continu, élève ses enfants comme elle peut, et travaille sans s’estimer exploitée (70% des salariés aiment leur boîte). Ces citoyens-là aiment vraiment leur pays, cette France qui ne se reconnait plus dans les images qu’elle se renvoie d’elle-même.
Appuyons-nous sur elle, et puis bonnes gens, résistez ! N’ayez pas peur de vos certitudes, ne tombez pas dans le politiquement correct, c’est vous qui avez raison, vous qui ne contribuez pas à rendre ce pays ingouvernable. Aujourd’hui « Le bon sens réunit d’abord la majorité… mais contre lui » (Alphonse Karr). L’invocation du « bon sens » est par ailleurs devenu le facteur discriminant du monde politique pour identifier la droite. Eh bien soit… cap à droite, alors ! Nos valeurs en dépendent.
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