Le parc qui portait le nom de l’ancien secrétaire général du Parti communiste français vient d’être débaptisé par le conseil municipal de la cité du 93. Et puis quoi (qui) encore ?
Nous sommes en 1971 à la Maison de la Mutualité, au cœur de la capitale. Un militant de la cause homosexuelle interpelle Jacques Duclos et lui demande si le Parti a révisé sa position sur « les prétendues perversions sexuelles ». Le candidat communiste à la présidentielle (en 1969) s’emporte : « Comment vous, pédérastes, avez-vous le culot de venir nous poser des questions ? Allez vous faire soigner ! Les femmes françaises sont saines, le PCF est sain. Les hommes sont faits pour aimer les femmes ! »1 Et de conclure : « Vous êtes tous des anormaux ! »
Indigné par cette diatribe homophobe datant d’un demi-siècle, le conseil municipal du Blanc-Mesnil a décidé jeudi dernier de débaptiser le parc communal Jacques-Duclos, désormais nommé Anne de Kiev, guerre en Ukraine oblige.
Pandore est sorti de sa boîte. Dans le 9-3 ou ailleurs, les vents (mauvais) de la cancel culture entendent désormais nous faire respirer un air plus pur(itain). Vont-ils emporter avec eux Voltaire, réfugié au Panthéon, qui ne portait guère les pédérastes dans son cœur ? Que faire de la station de métro, du millier de rues et des 75 établissements scolaires qui portent son nom ? Dans son Dictionnaire philosophique, le penseur des Lumières assimile cette coutume grecque à un attentat infâme contre la nature, une abomination dégoûtante, un vice destructeur pour le genre humain, une honte et une turpitude, pour reprendre ses propres termes. Et Saint-Augustin (14 établissements scolaires et une station de métro éponyme), persuadé lui aussi qu’il s’agit d’un crime contre nature ? C’est d’ailleurs sous l’influence de l’évêque d’Hippone que l’empereur romain Théodose condamne au bûcher les homosexuels2. Doit-on illico rebaptiser les deux rues qui honorent la mémoire de Mahomet à Busancy, dans les Ardennes, et à Petit-Caux, en Seine-Maritime ? Fondateur de la dernière grande religion monothéiste, le mari de la petite Aïcha, neuf ans (il en a alors 53), n’est en revanche pas à l’origine de la Gay Pride.
Inversion de panneaux
Doit-on aussi effacer l’allée qui célèbre Che Guevara à Saint-Denis et au Port, à la Réunion ? Le révolutionnaire au cigarillo, qui souhaite édifier « un homme nouveau » et « recycler les déchets de la société », ouvre à Cuba des goulags tropicaux (les Unités militaires d’aide à la production) et y enferme – entre autres – les homosexuels3. Lesquels reçoivent des décharges électriques afin de retrouver le droit chemin4. Quel sort réserver à nos nombreuses rues Magellan ? Lors de son tour du monde – en fait un demi-tour puisque le navigateur portugais trépasse aux Philippines –, un des officiers de l’expédition est condamné à mort par strangulation pour homosexualité5. Et les odonymes dédiés aux si peu résistants Jacques Chardonne et Paul Morand, qui dégoisent sur les francs-maçons, les Juifs et les « pédés » dans leur longue correspondance privée ? Quid du prix Nobel de médecine, le pétaino-eugéniste Alexis Carrel, qui voit dans l’inversion sexuelle une perversion qu’il s’agit de combattre6 et à qui Clermont-Ferrand, Saint-Étienne, Rennes ou encore Avignon rendent hommage ? De Sigmund Freud (une rue à Paris et dans de nombreuses communes françaises, une école à Montpellier), pour qui il s’agit de la névrose d’un homme inaccompli ? De Dante (une avenue à Strasbourg notamment), qui fait rôtir les « sodomites » dans les flammes de l’enfer dans sa Divine Comédie ? De l’homophobe Robert Desnos (une place à Paris et 49 écoles à son nom), qui réclame le retour de la Terreur pour « les femmes de lettres depuis la Noailles jusqu’à Jean Cocteau », dans La Revue Surréaliste ?
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Vingtième personnalité la plus célébrée dans l’Hexagone avec plus de 900 rues et 149 écoles, collèges ou lycées éponymes, Georges Brassens doit-il aussi passer à la trappe ? L’auteur-compositeur des Copains d’abord chantonne que « le crime pédérastique ne paie plus » dans Les trompettes de la renommée et aggrave son cas avec Le Mécréant : « Y a tant d’hommes aujourd’hui qui ont un penchant pervers, à prendre obstinément Cupidon à l’envers, tant d’hommes dépourvus de leurs virils appas, à ceux qui en ont encore ne les enlevons pas ! » Pendant ce temps-là, Jacques Brel (plus de 600 odonymes en France) a une réaction épidermique lorsqu’il apprend que David Bowie, dont il est l’idole, veut le rencontrer : « Comment un pédé pareil peut-il croire que je pourrais avoir envie de le voir ? »7 Jeune étudiant en médecine, l’icône progressiste Salvador Allende honorée par notre République (près de 600 rues et huit établissements scolaires à son nom tout de même) présente à l’université de Santiago une thèse intitulée Hygiène mentale et délinquance dans laquelle il pointe du doigt ce « trouble endoctrinosexuel », « l’homosexuel organique (étant) un malade qui doit mériter la considération en tant que tel »8. Tandis qu’on ne plaisante pas chez les Thorez. Lorsqu’ils apprennent l’homosexualité de leur fils Paul, Maurice (plus d’une centaine d’odonymes, notamment dans les anciens bastions communistes) et Jeannette Vermeersch (une rue à Noyelles-Godault dans le Pas-de-Calais) le foutent aussitôt à la porte. Au point où l’on en est, faut-il tirer un trait sur la cinquantaine de voies rendant désormais hommage à Jacques Chirac, qui vote en 1982 contre la dépénalisation de l’homosexualité puis s’oppose en tant que président à l’adoption du Pacs ? Doit-on dissoudre l’organisation mondiale de la santé (OMS), qui a attendu le 17 mai 1990 pour rayer l’homosexualité de sa liste des maladies mentales ?
Duclos, pas un CV de pédé!
Notons au passage que Jacques Duclos (qui donne son nom à de nombreuses rues, mais aussi à une station de métro et une place à Montreuil ainsi qu’à sept établissements scolaires) est aujourd’hui effacé de la carte du Blanc-Mesnil uniquement en raison de ses propos contre les « pédérastes », le reste du CV de l’éternel n°2 du PCF semblant moins indisposer nos épurateurs en herbe. Le député communiste Duclos envoie au début de la guerre au président de la Chambre, Edouard Herriot, une lettre au nom du Parti lui demandant l’ouverture immédiate de négociations de paix avec Hitler9. Déchu de son mandat national en janvier 1940 puis condamné en avril par le tribunal militaire de Paris à cinq ans de prison pour ne pas avoir dénoncé le pacte germano-soviétique10, il dirige le PCF clandestin sous l’Occupation et n’hésite pas à prendre contact avec les Allemands afin de faire reparaître légalement L’Humanité. Journal dans lequel il fustige régulièrement le « Juif Mandel ».11 Il rédige aussi « l’Appel du 10 Juillet », un tract qui s’en prend pêle-mêle aux impérialistes, aux Anglais, à Blum, à Pétain et au général de Gaulle, dont il condamne l’Appel du 18 juin.
Après l’invasion de l’URSS par l’Allemagne en juin 1941, Duclos fait exécuter les « traîtres » à la cause par le Détachement Valmy, un groupe d’action armée du PCF clandestin, « la Guépéou du Parti » comme les militants le surnomment eux-mêmes12. Au lendemain de la guerre, le Parti désavoue officiellement l’action du groupe Valmy et un rapport interne de Marcel Servin en 1949 met en cause Jacques Duclos, ainsi que la relative impunité du groupe, dont les membres ont été étonnamment épargnés par les Nazis. Un rapport vite rangé au fond d’un tiroir.
En mai 1952 pendant la guerre « impérialiste » de Corée, une manifestation organisée par les communistes s’oppose à la venue à Paris du général américain Ridgway. À cette occasion, les policiers découvrent dans le coffre de la voiture du n°1 du PCF (il remplace alors Maurice Thorez, en convalescence à Moscou) un pistolet, une matraque et un cahier dans lequel est notamment gribouillé que « nous travaillons pour la défaite certaine [de l’armée française] au Viêt Nam, en Corée, en Tunisie. » Inculpé pour atteinte à la sûreté de l’État, Duclos est incarcéré un mois à la prison de la Santé.
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Dans les années 50, cet apparatchik stalinien est au cœur des purges menées au sein de la direction du Parti. Après la mort du tyran moustachu en mars 1953, il fait ovationner le nom de Staline (qui n’aimait pas non plus les homosexuels) lors d’un grand meeting alors même qu’il a parfaitement connaissance de ses innombrables exactions révélées dans le rapport Khrouchtchev. La politique de déstalinisation menée par le nouveau camarade en chef de l’URSS ne l’enthousiasme d’ailleurs pas des masses et c’est un euphémisme. L’année suivante, excédé par Pierre Mendès-France qui refuse de comptabiliser les voix communistes lors de son investiture à la présidence du Conseil, il éructe devant témoin : « C’est un lâche, un petit juif peureux qui bavarde et qui n’ose pas agir. C’est de la merde, mais sans le bas de soie. »13 Histoire d’ajouter une pièce à son épais dossier, Duclos soutient la répression de l’insurrection hongroise par les Soviétiques en 1956.
Notons pour conclure que le comité d’épuration du Blanc-Mesnil ne trouve apparemment rien à redire concernant l’avenue Lénine, qui traverse toujours en toute impunité la commune de Seine-Saint-Denis. Certes, Vladimir Ilich instaure la dictature du prolétariat et le Parti unique tout en créant la Tchéka, cette sinistre police politique qui exécute en deux semaines deux à trois fois plus d’individus que le régime tsariste en un siècle14. Certes, il appelle à pendre publiquement des koulaks (paysans propriétaires)15 et ordonne de réprimer dans le sang les grèves ouvrières. Sous sa férule, des milliers de bourgeois sont massacrés dans les grandes villes par les bolcheviks et la police politique. Près de 500 000 Cosaques sont tués ou déportés sur une population n’excédant pas 3 millions de personnes16. Environ 3 000 prêtres, moines et nonnes sont mis à mort dans des conditions épouvantables, les victimes étant parfois brûlées vives, crucifiées, scalpées ou contraintes d’avaler du plomb fondu17. Certes, les camps de concentration bourgeonnent dans les provinces. La classe moyenne est ruinée par l’annulation des emprunts tsaristes, les coffres-forts des particuliers dans les banques sont saisis18, les biens des églises confisqués, les grands propriétaires expropriés sans indemnités, les récoltes des paysans réquisitionnées. Certes, l’expérience tourne au désastre : au début des années 1920, une terrible famine touche plus de 30 millions de Russes et cause la mort de 5 millions d’entre eux19.
Mais au moins Lénine, lui, n’a pas tenu de propos homophobes.
1/ Dictionnaire de l’homophobie, Pierre Albertini.
2/ « Homophobie, sexisme et justification de l’ordre social établi », Gabrielle Poeschl dans L’homophobie.
3/ Loués soient nos seigneurs et Un Candide à sa fenêtre de Régis Debray.
4/ Avant la nuit, Reinaldo Arenas.
5/ « 1519-1522, Chronique du grand voyage », Juan Gil dans L’Histoire d’octobre 2020).
6/ « Les sexes doivent de nouveau être nettement définis. Il importe que chaque individu soit, sans équivoque, mâle ou femelle. Que son éducation lui interdise de manifester les tendances sexuelles, les caractères mentaux et les ambitions du sexe opposé. », écrit Alexis Carrel dans L’Homme, cet inconnu.
7/ Anecdote racontée dans David Bowie Rainbowman de Jérôme Soligny.
8/ Allende, la face cachée : Antisémitisme et eugénisme, Victor Farias.
9/ « Quelques remarques complémentaires sur Jacques Duclos », Stéphane Courtois dans Matériaux pour l’histoire de notre temps de juillet-septembre 1994.
10/ Le Kominterm et le Parti communiste français pendant la »drôle de guerre », Vladislas Smirnov.
11/ Juin 1940 la négociation secrète. Les communistes français et les autorités allemandes, Jean-Pierre Besse, Claude Pennetier.
12/ Liquider les traîtres : La face cachée du PCF, 1941-1943, Jean-Marc Berlière, Franck Liaigre.
13/ Un mythe politique : La « République juive » : De Léon Blum à Pierre Mendès-France, Pierre Birnbaum.
14/ « Crimes et violences de masse des guerres civiles russes », Nicolas Werth en avril 2008 dans Online Encyclopedia of Mass Violence – Sciences-Po.
15/ Comme en août 1918, dans un ordre envoyé aux autorités de Penza (Comprendre les génocides du XXe siècle, Barbara Lefebvre, Sophie Ferhadjian).
16/ Le Livre noir du communisme, Stéphane Courtois, Nicolas Werth.
17/ A Century of violence in Soviet Russia, Alexandre Nikolaievitch Iakoviev.
18/ Le Siècle des dictateurs, Olivier Guez.
19/ Lénine, l’inventeur du totalitarisme, Stéphane Courtois.