Les images parlent. Cela signifie qu’elles peuvent mentir. Mais face à une photo, a fortiori lorsqu’elle se veut documentaire, on éprouve une dangereuse impression d’authenticité : on croit être confronté au réel quand il s’agit de sa représentation – vieille affaire de la carte et du territoire. On croit être informé quand on est manipulé, volontairement ou pas. C’est bien ce qui menace les visiteurs de « Phantom Home », l’exposition de la photographe palestinienne Ahlam Shibli, qui a ouvert ses portes le 28 mai au musée du Jeu de Paume. Et mis en ébullition la rue juive, qui dénonce une « apologie du terrorisme ».
Le sujet, il faut le dire, est déjà hautement inflammable puisqu’il s’agit du conflit israélo-palestinien.
Sur ce terrain miné, l’exposition manipule des images d’apparence quasi journalistique sans jamais fournir la mise en perspective qui permettrait au visiteur de les lire.[access capability= »lire_inedits »] Dans quatre salles, près de 300 photos sont présentées autour de cinq thèmes. C’est le dernier, « Death », qui a mis le feu aux poudres. À travers 68 clichés pris à Naplouse, Shibli évoque l’omniprésence des « martyrs » dans la société palestinienne. La plupart de ces individus ont commis des attentats contre des Israéliens. Le visiteur n’en saura rien.
Pour le président du CRIF, Roger Cukierman, il s’agit d’une pure et simple « apologie du terrorisme ». Il s’en est ému auprès de la ministre de la Culture. Résultat : le musée a placardé un avertissement à l’entrée de l’exposition et dans la salle directement concernée, puis a organisé un débat sur la liberté d’expression. Mais la polémique enfle : menaces de mort contre la directrice du musée, Marta Gili, alertes à la bombe obligeant le musée à fermer ponctuellement, manifestations devant le Jeu de Paume…
La tension est parfois palpable dans les salles. J’ai assisté à une conversation animée entre partisans et détracteurs de l’expo. Un homme dénonce une « apologie des meurtres d’enfants », tout en s’opposant fermement à ceux qui veulent la fermeture de l’exposition. « Il vaut mieux venir et débattre ! », souligne-t-il avec une telle fougue que les autres visiteurs croient (à tort !) qu’il est juif. Comme quoi, les clichés ne sont pas uniquement accrochés aux murs…
Comme l’a très bien souligné ce monsieur, la question n’est pas tant la liberté d’expression et ses limites que l’exigence d’une information honnête. Or, le musée et l’artiste ont multiplié non-dits et omissions. Les légendes, pourtant longues (rédigées par l’artiste), n’indiquent jamais que les « martyrs » ont commis des attentats dont la majorité des victimes étaient des civils. Rien non plus sur Naplouse, pourtant l’une des villes à la pointe du combat palestinien pendant les deux Intifadas. Finalement, l’oubli le plus gênant concerne l’artiste elle-même. Selon le dossier de presse, « Ahlam Shibli est née en 1970, en Palestine, où elle vit ». En fait, elle est née en Galilée, que l’Autorité palestinienne reconnaît comme appartenant à Israël, ce qui fait d’elle une citoyenne israélienne. Le Jeu de Paume ne nous dit pas non plus que Mme Shibli vit entre Berlin et Haïfa – troisième ville israélienne – et qu’elle a exposé au Musée d’art moderne de Tel Aviv. Au lieu de raconter une histoire humaine avec ses contradictions et ses aspérités, le Jeu de Paume a fait le choix des… clichés.[/access]
*Photo : MACBA.
Causeur ne vit que par ses lecteurs, c’est la seule garantie de son indépendance.
Pour nous soutenir, achetez Causeur en kiosque ou abonnez-vous !