Avant qu’Emmanuel Macron ne prononce une allocution télévisée, à 20 heures, précisant comment il entendait légiférer avec une majorité relative, les 89 députés du Rassemblement national faisaient une entrée très observée à l’Assemblée nationale.
Notre Frétillant de la République, chu de l’Olympe et devenu, à l’issue des législatives, Vacillant de cette même République, a d’abord lancé un appel à un gouvernement d’union nationale. Celui-ci est pour l’heure évidemment refusé par la nouvelle Assemblée qui se prépare à siéger au Palais Bourbon.
En effet, les deux grandes forces d’opposition, à savoir la Nupes (pas tout à fait unie, puisque les partenaires des Insoumis ont refusé la proposition de Jean-Luc Mélenchon de ne former qu’un seul groupe avec LFI au sein de l’hémicycle) et le RN entendent bien s’opposer fermement à la politique d’Emmanuel Macron. Ils condescendront éventuellement à des alliances ponctuelles, au cas par cas. Quant aux Républicains, ils se refusent catégoriquement à tenir le rôle de la variable d’ajustement.
Finie, l’Assemblée de godillots…
En Marche (ou Renaissance), à force de jouer sur le « en même temps » semble maintenant à l’arrêt. Feue l’Assemblée des députés godillots ! Il est même question d’en appeler aux mânes de Bossuet pour une oraison funèbre qui ait de la gueule: « Madame se meurt ! Madame est morte ! »
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L’affrontement des deux grandes forces d’opposition élues à l’Assemblée nationale risque de transformer ladite Assemblée en Piste aux étoiles, voire en pétaudière.
Voyons plutôt : mercredi matin, les 89 élus du RN ont fait leur entrée au Palais Bourbon, sous l’égide de Marine Le Pen. Habituée des lieux, elle a pu les cornaquer aussi utilement qu’habilement, avec toute la tendresse d’une chatte guidant ses petits. La photo traditionnelle sur le perron du Palais donne à voir une classe sage, tout en retenue. On n’a noté ni débordements verbaux, ni tenue vestimentaire exubérante ou excentrique.
Il s’agissait d’afficher une respectabilité rassurante. Les bourgeois, pacifiés, s’étaient pour l’occasion faits gentilhommes, dûment coachés par la patronne. Celle-ci n’a pas hésité à leur dire, comme Covielle s’adressant à M. Jourdain : « Que le ciel vous donne la force des lions et la prudence des serpents. »
Attention à ne pas passer pour des amateurs ou des beaufs…
Il s’agit, avait-elle précisé au soir de la victoire des législatives, d’initier une culture parlementaire nouvelle au RN, sans coups médiatiques à la manière des Insoumis ; d’incarner une « opposition ferme, c’est-à-dire sans connivence (…) une opposition responsable, c’est-à-dire respectueuse des oppositions, et toujours constructive. »
Marine Le Pen devra, dans cette perspective, veiller à maintenir la cohésion d’un groupe qui rassemble des sensibilités différentes. Devront par exemple cohabiter : Hervé de Lépinau, catholique, libéral et conservateur, Bruno Bilde, laïcard incarnant la ligne sociale du RN, Julien Odoul qui aime à donner de la voix (il avait interpellé avec virulence une mère voilée au conseil régional) ou Pierre Meurin, autrefois proche de Marion Maréchal.
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Quant à la rentrée de la Nupes, elle s’est faite hier, sous la conduite d’un Jean-Luc Mélenchon plastronnant. Celui-ci a du reste fini par échouer à la buvette de l’Assemblée, une bière à la main, affirmant, hilare: « Je n’ai pas d’âge dans ma tête. » La formation dans son ensemble, malgré son refus de ne constituer qu’un seul groupe comme l’avait souhaité son instigateur qui se rêvait Premier ministre a, elle aussi, posé sur le perron de l’Assemblée.
L’ambiance fut nettement plus festive que celle qui régna lors de l’arrivée des élus du RN. « Regardez le bruit qu’ils font déjà ! » fit remarquer immédiatement Sonia Krimi, député LREM défaite aux législatives. « Ce sont des beaufs » lança un député marcheur atterré.
La bande à Mélenchon est arrivée, en effet, le poing levé et a entonné l’hymne des gilets jaunes : « On est là ! Même si Macron ne veut pas, on est là ! Et à la fin, c’est nous qu’on va gagner ! » Raquel Garrido a trouvé « de la gueule » au groupe Insoumis, et elle s’y connaît.
La belle ambition de Sandrine Rousseau
On a noté les pas de danse esquissés par Rachel Keke, qui a revendiqué, non sans fierté, un niveau scolaire de CM2 (Cela est-il bien judicieux à un moment où chacun déplore la chute drastique du niveau des élèves français ?). Sandrine Rousseau, elle, a affirmé: « On va redonner ses lettres de noblesse à la démocratie ». Tout ça, à défaut de fleurer bon la déconstruction, vous a un petit air de carnaval tel que l’a théorisé Bakhtine.
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Les lois, les interdictions, les restrictions qui déterminent le déroulement de la vie normale, semblent, en effet, avec la Nupes, suspendues comme lors du temps du carnaval. Les barrières hiérarchiques qui prévalent entre les hommes sont abolies et peut alors s’instaurer un contact libre et familier : le geste et la parole sont dénués de toutes les formes de domination (couches sociales, grades, âges, fortunes) qui les déterminent entièrement hors carnaval. C’est ce que Bakhtine nomme le « grand renversement carnavalesque ». Il constitue dès le Moyen-Âge une soupape ponctuelle à l’assujettissement imposé par la société. La Nupes semble proposer un carnaval pérenne et le RN revendiquer une respectabilité qu’on lui a jusque-là toujours refusée. Le choc pourrait-être frontal.
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